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L’intérêt de l’enfant en cas de séparation parentale. Par Barbara Régent, Avocate.
Parution : lundi 7 juin 2021
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L’intérêt de l’enfant, entendu comme « ce que réclame le bien de l’enfant », est un « objet juridique non identifié » : non défini par les textes, il se dérobe dans des contours flous qu’il appartient à chaque juridiction de tracer souverainement en cas de séparation de ses parents.

Placée au cœur des enjeux de société, la question de l’intérêt de l’enfant se pose avec une acuité particulière en cas de séparation parentale. C’est pourquoi elle constitue un sujet d’étude pour la doctrine mais aussi un sujet de réflexion permanent pour le législateur.

Initiée par la grande réforme du 4 juin 1970, qui a effacé la puissance paternelle du code civil, la réforme de l’autorité parentale a franchi une étape déterminante avec la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002. Comme le souligne l’exposé des motifs de ce texte d’origine parlementaire, plusieurs objectifs étaient poursuivis, en particulier :
- faire expressément de l’intérêt de l’enfant le fondement et la finalité de l’autorité parentale ;
- rappeler que la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’autorité parentale et qu’ils sont tenus de maintenir des relations personnelles avec leur enfant, et ce « contrairement à ce que peut laisser penser l’usage maintenu du concept de droit de visite et d’hébergement », précise l’exposé des motifs.

L’intérêt de l’enfant constitue l’alpha et l’oméga de la décision du juge, l’intérêt des parents devant être relégué au second plan. En effet, en application de l’article 373-2-6 alinéa 1er du code civil, le juge aux affaires familiales (JAF) « règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des mineurs ». En outre, l’article 3 § 1 de la CIDE précise que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant.

L’importance de la notion d’intérêt de l’enfant n’a d’égale que son imprécision. En effet, l’intérêt de l’enfant, entendu comme « ce que réclame le bien de l’enfant » [1], est un « objet juridique non identifié » : non défini par les textes, il se dérobe dans des contours flous qu’il appartient à chaque juridiction de tracer souverainement.

Tout au plus peut-on retenir la définition générale de M. Zermatten, ancien Président du Comité des droits de l’enfant de l’ONU :

« l’intérêt supérieur de l’enfant est une notion juridique qui vise à assurer le bien-être de l’enfant sur les plans physique, psychique et social (…). Il représente une garantie pour l’enfant que son intérêt à long terme sera pris en compte » [2].

En conséquence, les jugements des JAF relèvent de la casuistique pure.

Autrement dit, chaque situation est différente et, en cas de séparation, l’intérêt de l’enfant est toujours caractérisé in concreto, c’est-à-dire au cas par cas.
Nécessairement, les JAF apprécient l’intérêt de l’enfant avec une part de subjectivité qui peut résulter de leur sensibilité, de leur propre histoire familiale, de leurs valeurs…

Existe-t-il des solutions pour réduire la part de subjectivité du juge et garantir ainsi davantage d’égalité face à la justice familiale ?

Une des pistes pourrait consister à renforcer la collégialité. Rappelons, à cet égard, que si le JAF dans les Tribunaux Judiciaires statue généralement à juge unique, il peut organiser une collégialité pour un dossier en particulier qui lui apparaîtrait plus sensible, soit de son propre chef, soit à la demande d’une partie. La situation est différente en appel puisque la formation dite de jugement est toujours collégiale.

Cependant, en pratique, faute d’effectifs ou de moyens, les audiences sont souvent prises « en rapporteur » (un seul magistrat). L’affaire est plaidée devant lui, puis il « rapporte » le dossier à ses deux autres collègues de la chambre familiale pendant le cours du délibéré. La collégialité permet d’éviter l’écueil de « l’exercice solitaire du pouvoir du juge » et facilite l’objectivation du dossier par la confrontation des points de vue.

Faudrait-il la développer en première instance afin de ne pas figer des situations qu’il est difficile de remettre en cause en appel ? Faudrait-il que le juge de première instance s’adjoigne, dans certains dossiers, les compétences d’un médiateur, d’un psychologue ou de toute autre sachant nécessaire afin d’avoir une approche plus complète de l’intérêt de l’enfant ?

Nous aurons l’occasion de développer, dans un prochain article, les vertus du modèle de Cochem fondé sur l’interdisciplinarité, la coopération ainsi que l’implication des parents et des professionnels.

Avec un objectif ô combien essentiel : sortir l’enfant, mais aussi les parents du conflit qui est destructeur pour chacun.

Barbara RÉGENT, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice de l\'association \"Avocats de la Paix\" https://www.regentavocat.fr/

[1Voir par exemple CA Versailles, 19 mai 2020, n° RG 19/05649.

[2J. Zermatten, Cours sur l’intérêt supérieur de l’enfant, Paris VIII, mars - mai 2005.