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Devenir avocat : un choix du cœur et des pieds.
Parution : lundi 7 juin 2021
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Comment un étudiant en droit a embrassé la carrière d’avocat : un choix du cœur et des pieds.

Jim avait passé un bac scientifique sans conviction. Sans mention d’ailleurs. Il avait rejoint les amphis de la fac de droit de Rennes. Il avait un peu subi les cours du lycée. Il se délectait désormais des cours de philosophie politique et de droit constitutionnel.

Les années de fac se succédaient. Jim n’avait pas encore vraiment réfléchi à sa carrière. Autour de lui, certains ne juraient que par science-po ou l’ENA. D’autres se voyaient déjà notaires ou magistrats. En maîtrise, Jim avait croisé un étudiant qui lui avait annoncé : "Je viens d’être pris à l’école d’avocat."
Cela provoqua un déclic : "Si lui qui ne fiche pas grand-chose a pu être admis à l’examen du barreau, alors moi-aussi je peux le passer avec succès !"

Cette réflexion, pas très flatteuse pour son interlocuteur, avait eu l’heur de rassurer Jim sur ses aptitudes. Elle ne faisait cependant pas un choix. Ce n’est pas que Jim se laissait aller : il animait avec passion un groupe de réflexion philosophique et voyageait régulièrement. Mais il ne s’était pas fixé sur son job.

Quelques verres d’Amadour contribuèrent à délier les langues.

Jim prit une résolution. L’été de son master devait être celui de son orientation. Il commença des vacances studieuses par une lecture de manuels sur les métiers du droit. Il rencontra dans le même temps des avocats, des notaires, des magistrats et des juristes d’entreprise. La tête farcie de légistes, il prit le parti de ruminer par les pieds son marathon légal. Une marche de trois semaines. Départ de chez lui, objectif Rocamadour.

Il avait institué un rituel pour murir sa réflexion : phosphorer en profondeur un métier sur une ou deux journées de marche. Il pensait que l’exercice intellectuel allié à l’inlassable répétition des pas devrait l’aider à faire un tour exhaustif de chaque profession abordée. Ce jour-là, il avait jeté son dévolu sur la fonction de magistrat. Il s’efforçait de se mettre dans la peau d’un juge et déroulait dans sa tête ce que pourrait être sa journée : étude de dossiers, audiences, rédaction de jugements.

C’était la fin du huitième jour. Tout à ses pensées professionnelles, il avait perdu le fil de son chemin creux. La nuit tombait. Il se mis à pleuvoir des cordes. Jim frappa à la porte d’une longère aperçue en bordure de la forêt qu’il longeait. Un vieil homme lui ouvrit et lui proposa le clos et le couvert. Notre marcheur ne se fit pas prier. Il était trempé jusqu’aux os. Une fois changé, il rejoignit l’homme dans la salle à manger où dansait une belle flambée. Son hôte lui avait préparé un dîner plantureux. Quelques verres d’Amadour contribuèrent à délier les langues :
« Alors comme cela, vous marchez vers Rocamadour ? C’est un pèlerinage ? »

« En quelque sorte » répondit Jim. « Je cherche mon sanctuaire professionnel. »

« Une question que je ne me suis pas posée à l’âge de la retraite », dit le vieil homme. « J’ai eu deux vies. A la fin de la première, j’ai repris l’exploitation agricole de mes parents qui venaient de mourir. Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai essayé de rester un homme libre. N’est pas-cela le plus important ? »

Jim avait acquiescé à ce qu’il prenait pour une évidence. Presque une de ces banalités destinées à meubler une discussion.

La soirée se termina autour de l’âtre. L’homme remuait les braises du feu avec une pince à bûches. Il semblait réfléchir. Jim, un peu en retrait se balançait doucement sur un fauteuil à bascule. Son hôte lui avait servi une fine pour terminer la soirée. Il n’avait pu refuser.

« C’est la tradition sous mon toit » avait insisté l’homme en lui mettant presque d’autorité un verre entre les mains.

Le nectar, par lentes poussées, anesthésiait agréablement toutes les douleurs musculaires de la marche.

Il n’y a que trois métiers pour un homme : roi, poète et capitaine.

Jim, le visage éclairé par les derniers rougeoiements du feu s’endormait bercé par les ondoiements réguliers de son rocking-chair.
Il entendit soudain la voix du vieil homme qui ne s’était pas retourné, toujours à trifouiller de sa pince les brandons du foyer :

« Il n’y a que trois métiers pour un homme : roi, poète et capitaine » [1].

Ce furent presque les derniers mots de leur rencontre.

Jim se réveilla le lendemain. Son bienfaiteur lui avait laissé un mot : Je suis parti sur le marché. Bonne route ! De la salle à manger où son hôte lui avait préparé un petit déjeuner, Jim aperçut une bibliothèque. Un grand bureau au centre de la pièce et les murs couverts de livres. Il crut reconnaitre un code civil parmi les nombreux ouvrages qui envahissaient les étagères.

Qui était cet original qui se targuait d’avoir vécu deux destinées ? Hobereau ou juriste ? Il déposa sur la table une lettre de château à l’intention de vieil homme. Après avoir fermé la porte, il glissa les clefs sous une pierre suivant les instructions de son bienfaiteur. Un dernier regard sur la gentilhommière couverte de glycine et Jim reprit le cours de son drôle de pèlerinage.

Je m’ennuie avec ces gens de tout repos.

L’apophtegme du vieil homme lui revenait inlassablement en mémoire. — Roi, poète et capitaine. La formule semblait lui avoir retourné la tête. A partir de ce jour, sa marche prit un autre tour.

Jim délaissa sa randonnée professionnelle, froide et raisonnée. Il cessa d’attribuer un métier du droit à chaque journée.

L’aphorisme du vieux lui cinglait les profondeurs et faisait remonter des images romanesques. Le roi Saint Louis rendant la Justice sous un arbre côtoyait un capitaine à la barre d’un sloop remontant au près dans la plume.

Des bribes de poésies que Jim croyait avoir oubliées surgissaient aux détours du chemin. Toute occasion était bonne pour les vers de sourdre en surface. Un troupeau de chèvres faisait jaillir des rimes de Marie Noël « Moi la chèvre je suis le surplus du troupeau, Et je m’ennuie avec ces gens de tout repos, Qui font tout bonnement tous une même chose. Je m’ennuie à mourir sur ce chemin morose. Je n’aime pas- j’en ai le cerveau courbatu- marcher en foule ainsi sur un terrain battu. »

Une sieste, assis contre un chêne envahi par le lierre faisait débouler Cyrano dans la seconde : « Et que faudrait-il faire, chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce, grimper par ruse au lieu de s’élever par force ? Non, merci. »

La raison civile avait plié bagages. L’enfant reprenait ses droits. Jim termina son périple plus en homme d’épître qu’en homme de loi.

Arrivé à Rocamadour, Jim avait choisi de devenir avocat. Comment avait-il pris cette décision ? Était-ce Notre-Dame de Rocamadour désignée dans certaines prières comme Advocata Nostra qui lui avait soufflée cette vocation ? Secret des dieux aimait-il répondre à qui l’interrogeait.

Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination.

Deux années plus tard, Jim prêtait serment devant les conseillers de la Cour d’Appel de Rennes réunis en séance solennelle.
Un mois après, il reçut une lettre du Lot. Elle était signée du vieil homme de la gentilhommière. La missive était brève.

Cher ami marcheur.

Vous voilà donc avocat. Rappelez, vous il n’y a que trois métiers pour un homme : roi, poète et capitaine.

Comme moi, vous n’avez pas voulu choisir. Vous avez voulu être tout à la fois.
L’avocat est un roi : s’il sert la Justice et doit à ce titre assumer les obligations de sa charge, il est souverain dans son argumentation et sa manière de mener ses procès.

L’avocat est un poète : Comme l’a écrit Jean Giraudoux, « Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »

L’avocat est un capitaine : quand le moment est venu, il monte à l’assaut plaider la cause dont il a mûrement élaboré le plan de bataille.

Le fauteuil et la fine vous attendent toujours devant la cheminée et ce sera une joie de trinquer avec un nouveau confrère : Avocat, sinon rien !

La signature en bas de lettre apparaissait comme lancée sur le papier. Elle était illisible mais on pouvait lire en dessous la mention : Avocat honoraire, ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats du Lot.

[1Pierre Schoendoerffer – Objectif 500 millions

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