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Les nouveaux pouvoirs du juge de la mise en état sur les fins de non recevoir devant la Cour d’appel. Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : mercredi 9 juin 2021
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Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 pris en application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (JO 24 mars) étend les pouvoirs du juge de la mise en état en lui permettant de statuer sur les fins de non-recevoir.
L’avis n°15008 du 3 juin 2021 vient le compléter ainsi que l’avis n°22-70.010 du 11 octobre 2022.

Article actualisé par l’auteur en février 2023.

Toutefois, les articles consacrés aux compétences du conseiller de la mise en état devant la cour n’ont pas été modifiés par le décret du 11 décembre 2017.

Seul l’article 907 du Code de procédure civile a fait l’objet d’une modification pour prévoir l’application des articles relatifs à la mise en état devant le tribunal devant la cour, soit les articles 780 à 807 dudit Code.

Cela pose la difficulté du sort d’une fin de non-recevoir tranchée par le juge de la mise en état ou du Tribunal.

Cela pose la difficulté du sort d’une fin de non-recevoir qui n’a pas été jugée en première instance mais l’est en appel : recevabilité ou irrecevabilité ?

L’avis n°15008 du 3 juin 2021 vient donc compléter le décret du n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 sur l’étendue du pouvoir du Conseiller de la mise en état en matière de fin de non-recevoir soulevée devant la Cour.

Quelle était la question posée à la Cour de Cassation ?

Quelle est la solution retenue par l’avis n°15008 du 3 juin 2021 ?

I- La question posée à la Cour de Cassation.

La combinaison de l’ensemble des dispositions des articles 907, 795 et 123 du Code de Procédure Civile autorise-t-elle le conseiller de la mise en état à statuer sur une fin de non-recevoir déjà tranchée en première instance par le juge de la mise en état, ou le tribunal, ce qui revient à donner à ce dernier le pouvoir de confirmer, infirmer ou annuler la décision du premier juge alors même que ce pouvoir n’est dévolu qu’à la cour en application de l’effet dévolutif de l’article 542 du Code de procédure civile ?

Doit-on au contraire considérer, par analogie avec le régime applicable aux exceptions de procédure, que l’étendue du pouvoir du conseiller de la mise en état en matière de fins de non-recevoir est limitée aux fins de non-recevoir soulevées pour la première fois en cause d’appel et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision du juge de la mise en état ou du tribunal ?

II- La solution retenue par l’avis n°15008 du 3 juin 2021 de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation.

Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Le conseiller de la mise en état n’est pas juge d’appel.

Il est exclusivement le juge des incidents nés au cours de la procédure d’appel.

En conséquence, il n’a pas le pouvoir de confirmer ou d’infirmer la décision du premier juge.

Il ne pourra donc être saisi d’une fin de non-recevoir sur laquelle le juge de la mise en état ou le premier juge aura déjà statué, ni d’une fin de non-recevoir qui n’aurait pas été jugée en première instance qui aurait des conséquences si elles était accueillie de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge.

Ainsi seule la cour le peut en vertu de l’effet dévolutif.

C’est ce que vient de clarifier l’avis n°15008 du 3 juin 2021.

III- La solution retenue par l’avis n°22-70.010 du 11 octobre 2022 de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation.

Par renvoi de l’article 907 du code de procédure civile, l’article 789, 6°, du code de procédure civile est applicable devant le conseiller de la mise en état, sans que l’article 914 du même code n’en restreigne l’étendue. Les fins de non-recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile relèvent de la compétence de la cour d’appel.

Cet avis s’inscrit dans le prolongement de l’avis rendu par la 2ème chambre civile le 3 juin 2021, par lequel elle a jeté les fondements de la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel depuis la réforme issue du décret du 11 décembre 2019.

L’articulation de la solution de l’arrêt commenté avec ce précédent avis n’est pas reprise dans la décision, mais la référence qui y est faite exprime clairement l’ancrage du nouvel avis dans le précédent.

Par ce nouvel avis, la deuxième chambre civile a répondu à deux questions nouvelles posées par cette réforme : la première relative au caractère limitatif ou non de l’article 914 du code de procédure civile ; la seconde relative à la compétence du conseiller de la mise en état ou de la cour d’appel pour statuer sur les fins de non- recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile.

1° - La première question - qui est préalable à la seconde - concernait l’articulation des textes pertinents depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2020, de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, dans sa version issue du décret du 11 décembre 2019, qui prévoit désormais que le juge de la mise en état a compétence pour statuer sur les fins de non-recevoir.

Par renvoi de l’article 907 du même code, le conseiller de la mise en état se voit attribuer la même compétence que le juge de la mise en état.

Or, jusqu’au 1er janvier 2020, l’article 914 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret du 6 mai 2017, limitait la compétence du conseiller de la mise en état à certaines irrecevabilités limitativement énumérées (irrecevabilité de l’appel, irrecevabilité des conclusions d’intimé et d’intervenant et irrecevabilité des actes de la procédure d’appel en application de l’article 930-1 irrecevabilité de l’appel).

Aussi bien la deuxième chambre civile a-t-elle dû préciser la portée de la réforme issue de ce texte.

En effet, le décret précité a, s’agissant de la compétence du conseiller de la mise en état, opéré par renvoi des textes relatifs au juge de la mise en état. Il n’a pas modifié pour autant l’article 914 du code de procédure civile. Fallait-il, dès lors, considérer que ce texte restreignait désormais l’application des dispositions nouvelles relatives aux fins de non-recevoir ?

La deuxième chambre civile a répondu par la négative.

Elle ne s’est pas engagée dans la voie contraire qui aurait eu pour conséquence de neutraliser les effets de la réforme du décret du 11 décembre 2019.

Elle a donc résolu la confrontation des textes en cause en jugeant que l’article 914 du code de procédure civile ne limitait pas la compétence du conseiller de la mise en état. C’est donc bien l’article 789, 6°, du code de procédure civile, qui vise de manière générale l’ensemble des fins de non-recevoir, qui s’applique.

2. - La seconde question portait sur la compétence du conseiller de la mise en état ou celle de la cour d’appel pour statuer sur les fins de non-recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile

On rappellera que le premier de ces textes prohibe, à peine d’irrecevabilité, les prétentions nouvelles en appel et que le second oblige la partie à formuler ses prétentions dans les premières conclusions.

Interprétant la norme réglementaire de manière dans un sens conforme à la norme législative, la deuxième chambre civile a considéré que les deux fins de non-recevoir considérées relevaient de la compétence de la cour d’appel et non de celle du conseiller de la mise en état.

Cette analyse s’inscrit dans la logique de l’avis du 3 juin 2021, qui avait souligné que la réforme issue du décret du 11 décembre 2019 s’inscrivait dans le cadre fixé par le code de l’organisation judiciaire, et notamment de ses dispositions de nature législative (articles L.311-1, L.312-1 et L.312-2).

Celles-ci donnent compétence à la cour d’appel pour connaître des décisions judiciaires, civiles ou pénales rendues en premier ressort.

Elles précisent que cette juridiction statue souverainement sur le fond des affaires, cet adverbe devant être compris en ce sens que la cour d’appel dispose, en matière d’appel, d’une plénitude de juridiction.

C’est donc bien le principe de la hiérarchie des normes et la méthode d’interprétation conforme qui fondent principalement ce nouvel avis dans la suite logique du précédent.

Références :

ORF n°0288 du 12 décembre 2019.
Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.
Avis n°15008 du 3 juin 2021 de la Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation.
Voir du même auteur le guide pratique détaillé de cette réforme.

Benoit HENRY, Avocat [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau RECAMIER Membre de GEMME-MEDIATION https://www.facebook.com/ReseauRecamier/