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Contrat d’emploi pénitentiaire : que prévoit le projet pour la confiance dans l’institution judiciaire ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
Parution : vendredi 18 juin 2021
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Déposé devant l’Assemblée Nationale le 14 avril 2021 par le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, le projet de loi n°4091 « pour la confiance dans l’institution judiciaire » prévoit notamment la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire dans ses articles 11 à 16 du titre III.

Ce projet de loi a été adopté en première lecture le 25 mai 2021 avec 342 voix pour sur un total de 543 votants, avant d’être examiné au Sénat en septembre prochain.

Ce projet de loi poursuit la finalité de la loi du 8 avril 2021 relative au droit au respect de la dignité en prison, afin de « redonner du sens à la peine d’emprisonnement » selon les termes utilisés par le garde des Sceaux.

En effet, du simple acte unilatéral d’engagement qui unit encore le travailleur détenu à l’administration pénitentiaire, sans grande garantie, une rémunération faible, et aucune protection réellement efficace, le projet de loi prévoit d’instaurer de réelles relations contractuelles entre le travailleur détenu et son employeur que ce soit l’administration pénitentiaire ou autre organisme, par la consécration d’un nouveau contrat de travail : le contrat d’emploi pénitentiaire.

Il s’agit alors d’aligner les dispositions du Code du travail au statut des travailleurs détenus, jusqu’alors faisant l’objet d’une prérogative seulement réglementaire, tout en prenant en compte des spécificités de leurs conditions de détention, dans la finalité d’améliorer à la fois leurs conditions de travail par la création d’un nouveau contrat et par l’octroi de droits sociaux et favoriser aussi, leur réinsertion professionnelle pour redonner un sens à leur détention.

1) Un nouveau statut pour les travailleurs détenus.

L’article 12 du titre III intitulé « Du service public pénitentiaire » du projet de loi, prévoit la création d’une nouvelle section, nommée « Du travail des personnes détenues », dans le Code de procédure pénale pour insérer le contrat d’emploi pénitentiaire ainsi le nouveau régime du statut des travailleurs détenus.

Ainsi, le nouvel article 719-2 du Code de procédure pénale insisterait sur la vocation sociale du travail des personnes détenues, en ce qu’il doit viser « à préparer l’insertion ou la réinsertion professionnelle de la personne détenue en créant les conditions de son employabilité ».

Le second paragraphe de ce même article rappelle l’ascendant du contrôle permanent de l’administration pénitentiaire sur le travail de la personne détenue : « Le travail est accompli sous le contrôle permanent de l’administration pénitentiaire, qui assure la surveillance des personnes détenues, la discipline et la sécurité sur les lieux de travail » tout en soulignant à nouveau l’objectif du travail effectué en détention : « Les conditions d’exercice de l’activité préparent la personne détenue aux relations de travail auxquelles elle pourra participer après sa sortie ».

Aussi, cet article prévoit les modalités d’articulation entre le droit commun du travail et le régime spécifique de la détention : « Elles sont adaptées à sa personnalité et aux contraintes inhérentes à la détention ».

Ensuite, l’article 12 intègre le nouvel article 719-3 du Code de procédure pénale qui définit les différentes parties au contrat d’emploi pénitentiaire.

De cette manière, le travail du détenu n’est plus organisé par un acte d’engagement unilatéral conclu entre la seule administration pénitentiaire et le travailleur, mais plutôt entre le travailleur et son employeur direct qui peut être l’administration pénitentiaire : « Le travail pour un donneur d’ordre est accompli dans le cadre du contrat d’emploi pénitentiaire régi par la sous‑section 3 de la présente section. Les relations entre la personne détenue et le donneur d’ordre sont régies par les dispositions du présent code et par celles du Code du travail auxquelles les dispositions du présent code renvoient expressément » (paragraphe trois de l’article).

A cet effet, le donneur d’ordre peut aussi bien être l’administration pénitentiaire, qu’un concessionnaire, une entreprise délégataire, une structure d’insertion et bien d’autres organismes prévus par le paragraphe deux de ce même article.

2) Nouveau processus de recrutement du travailleur détenu.

Le même article 12 du titre concernant le service public pénitentiaire du projet de loi sur la confiance en la justice, prévoit de remodeler le processus de recrutement de manière à ce qu’il se fasse en deux temps, et non pas selon la seule affectation sur un poste de travail, dans le but d’optimiser l’entrée dans le travail du détenu.

De cette manière, la personne détenue doit tout d’abord adresser une demande à l’administration pénitentiaire qui donnera lieu à une décision de classement ou de refus de classement au travail, prise par le chef de l’établissement pénitentiaire dans lequel la demande a été formée. Ensuite, l’article visé 719-6 du Code de procédure pénale, précise dans son second paragraphe que lorsque la décision de classement a fait l’objet d’un avis positif, la personne détenue est alors classée au travail en fonction des régimes dans lesquels elle peut être employée ou bien selon sa propre demande d’affectation particulière adressée à l’administration pénitentiaire.

Art. 719‑6 : « La personne détenue qui souhaite exercer un travail en détention pour un donneur d’ordre mentionné à l’article 719‑3 adresse une demande à l’administration pénitentiaire. Cette demande donne lieu à une décision de classement ou de refus de classement au travail prise par le chef d’établissement, après avis de la commission pluridisciplinaire unique. La décision de classement précise les régimes selon lesquels la personne détenue peut être employée : service général, concession, service de l’emploi pénitentiaire, insertion par l’activité économique, entreprise adaptée, établissement et service d’aide par le travail. Une liste d’attente d’affectation est constituée dans chaque établissement pénitentiaire.
La décision de refus de classement est motivée.
Cette décision est susceptible de recours.
Lorsque la personne détenue est classée au travail et en fonction des régimes selon lesquels elle peut être employée, elle peut adresser à l’administration pénitentiaire une demande d’affectation sur un poste de travail. Au vu de l’avis de la commission pluridisciplinaire unique et, le cas échéant, de la demande d’affectation formulée par la personne détenue, l’administration pénitentiaire organise des entretiens professionnels entre celle-ci et le service, l’entreprise ou la structure chargé de l’activité de travail. Au vu des résultats de ces entretiens, au terme desquels la structure chargée de l’activité de travail opère un choix, et en tenant compte des possibilités locales d’emploi, le chef d’établissement prend, le cas échéant, une décision d’affectation sur un poste de travail
 ».

3) Régime de sanction du travailleur détenu.

Le projet de loi permet aussi la transposition des effets d’une sanction d’un salarié, sur le régime particulier réservé aux détenus.

Le nouvel article 719-7 du Code de procédure pénale, qui est ainsi prévu par le projet de loi dispose donc que

« En cas de faute disciplinaire, le chef d’établissement peut :
- Mettre fin au classement au travail ;
- Mettre fin à l’affectation sur un poste de travail ;
- Suspendre le classement au travail, pour une durée qu’il détermine
 ».

C’est le deuxième alinéa qui change notablement le régime de sanction applicable aux travailleurs détenus.

En effet, en permettant à ce qu’il soit seulement mis fin à l’affectation sur un poste de travail et non au travail en soi, le travailleur peut ainsi se trouver affecté ailleurs et continuer une activité professionnelle, dans l’objectif toujours, de lui permettre une meilleure réintégration tout en donnant sens à sa détention.

Quant à la suspension du travail, celle-ci peut être décidée par le chef d’établissement pénitentiaire « pour des motifs liés au maintien du bon ordre, à la sécurité de l’établissement ou à la prévention des infractions » ou bien pour une procédure disciplinaire et même à la demande d’une personne détenue, ce qui souligne encore une fois les spécificités du cadre carcéral.

4) Conditions de formation du contrat d’emploi pénitentiaire.

Tout d’abord, le projet de loi précise en son nouvel article 719-8 nouveau du Code de procédure pénale, que « la personne détenue ne peut conclure un contrat d’emploi pénitentiaire sans avoir été préalablement classée au travail et affectée sur un poste de travail ».

Ensuite, le projet de loi reprécise la nature des parties au contrat d’emploi pénitentiaire, dont le monopole de l’administration pénitentiaire est renversé, en son nouvel article 719-9 du Code de procédure pénale : « Lorsque le donneur d’ordre est l’administration pénitentiaire, le contrat d’emploi pénitentiaire est conclu entre le chef d’établissement et la personne détenue » tandis que « Lorsque le donneur d’ordre est un de ceux mentionnés au 2° de l’article 719‑3, le contrat d’emploi pénitentiaire est conclu entre la personne détenue et le représentant légal du donneur d’ordre ».

Néanmoins, dans le second cas, l’administration pénitentiaire subsiste en raison de la particularité du statut des détenus, car « une convention signée par ces deux personnes et par le chef d’établissement pénitentiaire est annexée » à la première convention, à la manière caricaturale de la relation triangulaire illustrée par le contrat de prestation de service et de mise à disposition dans le cadre des intérims.

De même que le contrat de travail conclu entre un salarié et un employeur détermine les obligations respectives de l’un et de l’autre, de même le contrat d’emploi pénitentiaire « détermine les obligations respectives de l’établissement, du donneur d’ordre et de la personne détenue et prévoit notamment les modalités de remboursement par le donneur d’ordre des rémunérations et cotisations avancées par l’établissement » selon le troisième paragraphe de ce même article prévu.

5) Durée du contrat d’emploi pénitentiaire nouveau du Code de procédure pénale.

Le quatrième alinéa de l’article projeté 719-9 prévoit que la durée du contrat d’emploi pénitentiaire dépend de la durée de la mission ou du service confié à la personne détenue, et la durée peut ainsi être indéterminée.

Tout comme le Code du travail prévoit une période d’essai pour les salariés, les travailleurs détenus peuvent aussi en faire l’objet, afin de mieux calquer les deux régimes et préparer une meilleure insertion professionnelle sans grand écart, conformément à l’article 719-10 nouveau du Code de procédure pénale.

Néanmoins tandis que la durée de la période d’essai est fixée selon la nature du salarié dans le Code du travail, en son article L1221-19, la durée de la période d’essai du contrat d’emploi pénitentiaire est commune à tous les détenus quand bien même la nature de l’affectation serait différente :

« Le contrat d’emploi pénitentiaire prévoit une période d’essai dont la durée ne peut excéder :
1° Deux semaines, lorsque la durée du contrat est au plus égale à six mois ;
2° Un mois, lorsque la durée du contrat est supérieure à six mois ou indéterminée.
Toutefois, dans le cas prévu au 2°, la période d’essai peut être prolongée pour une durée maximale de deux mois lorsque la technicité du poste le justifie
 ».

6) Fin du contrat d’emploi pénitentiaire.

L’article 719-11 nouveau du Code de procédure pénale que prévoit l’article 12 du projet de loi sur le service public pénitentiaire, rapproche le régime de la fin du contrat de travail à celui applicable au nouveau contrat d’emploi des travailleurs détenus.

Par conséquent, il peut être mis fin au contrat d’emploi pénitentiaire de différentes manières assez semblables aux diverses modalités de rupture prévues par le Code du travail :

« D’un commun accord entre la personne détenue et le donneur d’ordre ou à l’initiative de la personne détenue ;
- Lorsque la détention prend fin ;
- En cas de transfert définitif de la personne détenue dans un autre établissement ;
- Lorsqu’il est mis fin au classement au travail dans les conditions prévues au I de l’article 719‑7
 ».

7) Possibilité du maintien du contrat d’emploi pénitentiaire au-delà de la détention.

Le véritable point positif du contrat d’emploi pénitentiaire à l’égard des travailleurs détenus, se situe dans la possibilité du maintien de ce contrat à l’issue même de la détention, dans la finalité de garantir une meilleure insertion professionnelle, et ainsi, donner un sens à la détention.

C’est le cinquième alinéa de l’article 719-11 nouveau du Code de procédure pénale qui prévoit cette possibilité :

« Avant qu’il ne soit mis fin au contrat d’emploi pénitentiaire, le chef d’établissement, s’il l’estime approprié et après avoir recueilli l’accord de la personne détenue, sollicite du donneur d’ordre, qu’il examine la possibilité de conclure avec la personne détenue, à l’issue de sa détention, un contrat de travail permettant à celle-ci de continuer à exercer le même travail, ou une autre activité pour ce même donneur d’ordre, selon les dispositions du Code du travail ».

C’est la même possibilité qui est retenue « lorsque la personne détenue fait l’objet d’une libération sous contrainte ».

Dès lors que le contrat d’emploi pénitentiaire est prolongé au-delà de la détention, ce même article précise que « La convention annexée au contrat d’emploi pénitentiaire est remplacée par une nouvelle convention signée par la personne détenue, le représentant légal du donneur d’ordre et le chef du nouvel établissement pénitentiaire ».

8) Suspension du contrat d’emploi pénitentiaire.

L’article 719-12 projeté prévoit plusieurs cas de suspension du contrat d’emploi pénitentiaire.

Ce dernier peut dans un premier temps, être « suspendu de plein droit lorsque le classement au travail de la personne détenue ou son affectation sur le poste de travail est suspendu en application des I ou II de l’article 719‑7 ».

Il peut aussi être suspendu dans le cadre du service général, ou bien en cas d’incapacité temporaire de travail, ou encore en cas de baisse temporaire d’activité.

9) Compétence du juge administratif.

Contrairement aux litiges opposant le salarié à son employeur, les litiges qui opposent le travailleur détenu à son donneur d’ordre ne sont pas de la compétence du juge judiciaire, mais du juge administratif, comme le précise le nouvel article 719-13 du Code de procédure pénale.

10) Durée du travail, repos, jours fériés et rémunération.

Enfin, l’article 12 du projet de loi prévoit d’insérer toute une sous-section concernant la durée du travail des travailleurs détenus, dont le régime s’aligne à celui des salariés.

A cet effet, contre la présente rémunération trop faible et qui participe à la très forte paupérisation de la population carcérale, le projet de loi prévoit de fixer une rémunération fixée par décret, et non plus par voie réglementaire, en son article 719-14 :

« Le montant minimal de la rémunération et les règles relatives à la répartition des produits du travail des personnes détenues sont fixés par décret. Le produit du travail des personnes détenues ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire. La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l’article L3231‑2 du Code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ».

De même, l’article 719-15 nouveau du Code de procédure pénale prévoit de définir par décret :

« Les durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail effectif de la personne détenue ainsi que les conditions dans lesquelles peut être mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une durée supérieure à la semaine ;
- La durée du travail effectif à temps complet ;
- Le régime des heures supplémentaires ;
- Le régime des temps de pause, du repos quotidien, du repos hebdomadaire et des jours fériés dont bénéficient les personnes détenues
 ».

11) Bénéfice des droits sociaux.

L’article 14 du projet de loi pour la confiance dans la justice, autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures facilitant l’accès aux droits sociaux pour les personnes détenues, ainsi que le droit au :
- Régime de l’assurance chômage ;
- Régime de retraite complémentaire ;
- Assurance maternité ;
- Assurance invalidité ;
- Assurance décès ;
- Assurance maladie ;
- Droit au versement d’indemnité journalière au titre régime d’indemnisation des accidents du travail ou de maladie professionnelle.

Source :
Projet de loi n°4146 pour la confi...

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum