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Le droit à la dignité en prison. Par Simon Takoudju, Avocat et Wissal Hmoune, Stagiaire.
Parution : lundi 14 juin 2021
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La loi n°2021-403 promulguée le 8 avril 2021 et publiée au Journal Officiel le 9 avril 2021 tend à garantir le droit au respect de la dignité en détention. En effet, cette loi met en place un recours pour les personnes détenues dans un établissement pénitentiaire.

Ce dispositif leur permet de saisir le Juge de la liberté et de la détention (détention provisoire) ou le Juge de l’application des peines (condamnation), en cas de conditions de détention sont indignes.

La sauvegarde de la dignité humaine est un principe à valeur constitutionnelle, garanti également en Droit international par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne Convention européenne des droits de l’Homme ainsi que par la Convention européenne des droits de l’Homme. Il ressort de ces textes que le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde se trouve dans la reconnaissance de la dignité.

En matière pénale, les mesures privatives de libertés telles que la détention ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne. Ce droit fondamental est inviolable et doit être respecté et protégé.

L’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’homme impose notamment aux Etats de « s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine » [1].

Toutefois, les conditions de détention portent, de manière fréquente, atteinte à la dignité des personnes détenues comme en témoignent les jurisprudences de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel et enfin, de la Cour européenne des Droits de l’homme.

L’article 13 de la Convention européenne des Droits de l’homme dispose à cet effet que : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». Cet article garantit en droit interne le droit à un recours effectif pour toute personne s’estimant victime d’une violation des droits reconnus par la Convention. Puis, permet à la victime d’obtenir réparation si nécessaire.

C’est par un arrêt rendu le 30 janvier 2020 (J.M.B et autres c/ France) que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu à se prononcer sur la question de la surpopulation carcérale, de la vétusté et de l’insalubrité de six établissements pénitentiaires (Nîmes, Nice, Fresnes, Ducos en Martinique, Baie-Mahaut en Guadeloupe et Faa’a Nuutania en Polynésie).

A l’origine, saisie de 32 requêtes individuelles, la CEDH a prononcé la condamnation de la France, au visa de deux articles :
- l’article 3 qui interdit les traitements inhumains et dégradants,
- l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif.

Autrement dit, la France a été condamnée en raison de conditions de détention indignes dans plusieurs établissements pénitentiaires et pour l’absence de voie de recours permettant d’y mettre fin.

Ainsi, la CEDH dans l’arrêt précité recommandait à la France de remédier à la situation en supprimant notamment le surpeuplement, en améliorant les conditions de détention, et enfin, en établissant un recours préventif.

Influencée par la décision rendue par la Cour européenne des Droits de l’homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de la condamnation de la France.

Dans un arrêt rendu le 8 juillet 2020, elle a consacré une extension de l’office du juge judiciaire quant au respect de la dignité en matière de détention.

Gardien de la liberté individuelle, il incombe au juge judiciaire de veiller à ce que les conditions de détention soient dignes. Pour cela, il doit dans un premier temps réaliser les vérifications nécessaires, et le cas échéant, prononcer la mise en liberté de la personne détenue.

Par la même occasion, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité afin que les articles 137-3, 144-1, et 144-1 du Code de procédure pénale soient examinés.

Les requérants ont souhaité savoir si ces textes n’étaient pas contraires au principe de la dignité de la personne humaine et au droit à un recours effectif.

A l’origine, les juges ne disposaient d’aucun moyen leurs permettant de faire « redresser la situation dont sont victimes les détenus » et « dont les conditions d’incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant » (QPC 2 octobre 2020).

Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il y avait atteinte aux droits et libertés constitutionnels a ordonné la censure des trois articles cités ci-dessus. Ainsi, cette censure a notamment permis d’inciter le législateur à légiférer.

Dès lors, le Conseil constitutionnel dans sa décision a ordonné aux autorités judiciaires et administratives de prévenir et réprimer les comportements portant atteinte à la dignité.

Autrement dit, elles doivent veiller à ce que les mesures attentatoires aux libertés soient mises en œuvre dans le respect de la dignité des personnes.

C’est ainsi, qu’un recours devant le juge judiciaire a été mis en place par la loi du 8 avril 2021. Désormais, on retrouve cette procédure dans le Code de procédure pénale à l’article 803-9.

Par conséquent, les personnes placées en détention provisoire qui considèrent que leurs conditions de détention sont indignes peuvent saisir le juge de la liberté et de la détention, et celles condamnées définitivement, le juge de l’application des peines.

Pour cela, les allégations de la requête doivent être « circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve ». Avec ces éléments, le juge judiciaire dispose d’un délai de dix jours pour estimer si la requête est recevable. La personne placée en détention dans des conditions indignes ne peut pas déposer une nouvelle requête lorsque ce délai commence à courir, et avant que le juge judiciaire ne statue sur sa demande.

Dès que le juge a prononcé la recevabilité de la requête, il disposera d’un nouveau délai lui permettant de procéder aux vérifications des conditions de détention dénoncées par la personne détenue. Le juge doit recueillir ces informations notamment auprès de l’administration pénitentiaire, dans un délai maximal de dix jours dès que la décision de recevabilité a été rendue.

De nouveau, dans un délai de 10 jours, la requête est transmise à l’administration pénitentiaire.

Cette dernière peut apprécier les conditions de détention dénoncées et dispose d’une compétence exclusive pour y mettre fin par tout moyen entre dix jours et un mois. Elle doit de ce fait, tenir informé le juge des moyens mis en place pour faire cesser les atteintes à la dignité de la personne détenue.

Au terme de ce délai, si l’administration pénitentiaire n’a pas permis à la personne d’être détenue dans des conditions dignes, le juge peut ordonner l’une des trois mesures prévues par l’article :
- La possibilité de demander son transfèrement,
- (En cas de détention provisoire) Remise en liberté immédiate, et le cas échéant la placement sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence avec surveillance électronique,
- (En cas de condamnation) Aménagement de la peine si elle est éligible (placement en extérieur, détention à domicile sous surveillance électronique, libération conditionnelle, libération sous contrainte…).

En outre, le juge a la possibilité de refuser de prendre une de ces trois mesures.

C’est le cas notamment lorsque l’administration pénitentiaire a proposé un transfèrement à la personne détenue, et que cette dernière a refusé. Le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit au respect de la vie familiale de la personne placée en détention doivent être pris en considération ici.

Par ailleurs, il est possible de faire appel de la décision rendue devant le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines. Un délai de dix jours doit être respecté à compter de la notification de la décision. Dans un délai d’un mois, l’affaire devra être jugée de nouveau.

En raison des nombreux délais prévus par l’article 803-8 du Code de procédure pénale, la personne détenue qui n’a pas respecté ces délais peut toutefois saisir directement le Président de la chambre de l’instruction ou le Président de la chambre de l’application des peines.

Si cette loi du 8 avril 2021 peut paraître à première vue efficace pour lutter contre le non respect de la dignité en détention, il n’en demeure pas moins que la question de la surpopulation carcérale en France est toujours d’actualité. En effet, le transfèrement d’une personne détenue pose de nombreuses questions. Quid de la place libérée ?

La loi ne règle pas ces questions, dans la mesure où elle ne contraint pas l’administration pénitentiaire à procéder à des éventuels travaux de conformité (hygiène, surpopulation, équipements...) pour rendre l’établissement cohérent avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles de dignité.

Simon Takoudju, Avocat Et Wissal HMOUNE, Stagiaire Barreau de Bordeaux CANOPIA AVOCATS mail: [->st@canopia-avocats.com] site web : https://www.stakoudju-avocat.fr

[1CEDH, gr.ch., 26 oct.2000 Kudla c/ Pologne.