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Enjeux de la régulation des cryptomonnaies dans le monde. Par Adoni Nyamuke, Juriste.
Parution : mardi 15 juin 2021
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Les cryptomonnaies et la blockchain ne sont pas des phénomènes nouveaux. C’est autour des années 1980 que l’on situe leurs naissances avec l’entreprise DigiCash Inc qui fut créée dans le but de mettre sur pied la première monnaie virtuelle utilisée dans le monde entier. DigiCash avait, cependant, échoué à faire adopter son projet au grand public [1].

C’est donc au cours de la dernière décennie, qu’il y a eu une réelle évolution dans l’acceptation et l’adoption des cryptomonnaies par le grand public en tant que, d’une part, formes alternatives de paiement, mais également et surtout, un outil d’investissement.

En effet, après le lancement et le succès des cryptos comme Bitcoin, Litecoin, Ethereum, d’autres cryptomonnaies ont rapidement suivi. Et plus récemment il y a eu le Dogecoin, créé comme une plaisanterie, qui est en train de prendre une place importante grâce notamment à l’impulsion d’Elon Musk.

Cet article fournira donc, un aperçu de l’état actuel des lois et des politiques traitant des problèmes des cryptomonnaies dans le monde. Aussi, compte tenu de l’ampleur et de la complexité du sujet, il doit être lu comme une introduction générale qui sera suivie d’autres articles plus détaillés.

Faut-il réguler les Cryptomonnaies ?

La technologie des Cryptos ne se limite pas seulement aux Fintechs. En effet, les anciennes et traditionnelles sociétés de services financiers, telles que Goldman Sachs et JPMorgan, ainsi que les géants de la technologie comme Facebook ont ​​pris note et sont dans le processus de développement de leurs propres cryptomonnaies.

Actuellement, plus de 2500 cryptomonnaies valant plus de 252,5 billions de dollars s’échangent sur le marché. Le prix des cryptomonnaies varie entre environ un millionième et des milliers de Dollars Américains, avec des fluctuations quotidiennes [2].

Des inquiétudes croissantes concernant le rôle des cryptos dans la facilitation des flux financiers illicites tels que le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, les ventes illégales d’armes et le financement du terrorisme ont fait prendre conscience de la nécessité de mettre en œuvre des réglementations.

Cependant, Il y a d’une part, ceux qui doutent de la pertinence des régulations du fait que de nombreux aspects des cryptos sont difficiles à réguler. En effet, les gouvernements ne peuvent pas facilement contrôler le contenu des blockchains, qui sont des registres abstraits. De plus, les marchés des cryptos sont internationaux et ne dépendent pas de l’aval des institutions financières des pays. C’est d’ailleurs une des raisons de leur existence.

D’autre part, il est clair que la réglementation au niveau local va, à première vue, clarifier la situation concernant la classification des cryptos. En effet, jusqu’à présent, il n’y a pas d’unanimité sur leur nature. Certains, on a tendance à les considérer comme des jetons numériques et des actifs négociables, d’autres la considèrent comme monnaie. A l’instar du Salvador qui, il y a quelques jours, a adopté une loi visant à régulariser Bitcoin et à le reconnaître en tant que monnaie ayant cours légal et illimité dans toute transaction (Salvador est donc le premier à franchir ce cap).

Par ailleurs, la réglementation sera particulièrement bénéfique pour les investisseurs car elle pourrait faciliter la création d’infrastructures d’information et de conseillers financiers certifiés formés aux actifs numériques et pourrait réduire les risques de cybercriminalité et de fraude en ligne. De plus, un système non réglementé favorise les activités illégales. En effet, aujourd’hui, la surveillance des échanges nécessite des investissements importants dans la technologie pour détecter toute transaction suspecte.

Quel est le paysage juridique et politique actuel ?

A ce jour, plus de 130 pays et organisations régionales ont publié des lois ou des politiques sur le sujet. Cette croissance expansive est principalement attribuable au fait qu’au cours des dernières années, les cryptomonnaies sont devenues omniprésentes [3].

Premièrement, il faut noter que la terminologie utilisée pour les décrire varie considérablement d’une juridiction à l’autre. Certains des termes utilisés par les pays pour faire référence à la cryptomonnaie comprennent : monnaie numérique (Argentine, Thaïlande et Australie), marchandise virtuelle (Canada, Chine, Taïwan), crypto-jeton (Allemagne), jeton de paiement (Suisse), cybermonnaie (Italie et Liban), monnaie électronique (Colombie et Liban), et actif virtuel (Honduras et Mexique) [4].

Ensuite, concernant les actes, l’une des actions les plus courantes est les avis publiés par les gouvernements sur les pièges de l’investissement sur les marchés des cryptos. Ces avertissements, principalement émis par les banques centrales, sont en grande partie conçus pour informer les citoyens de la différence entre les monnaies réelles, qui sont émises et garanties par l’Etat, et les cryptomonnaies, qui ne le sont pas. La plupart des avertissements gouvernementaux notent le risque supplémentaire résultant de la forte volatilité associée aux cryptomonnaies et du fait que de nombreuses organisations qui facilitent de telles transactions ne sont pas réglementées. La plupart notent également que les citoyens qui investissent dans les cryptomonnaies le font à leurs propres risques et qu’aucun recours juridique ne leur est disponible en cas de perte.

De nombreux avertissements émis par divers pays notent également les opportunités que les cryptomonnaies créent pour des activités illégales, telles que le blanchiment d’argent et le terrorisme. Certains vont au-delà du simple avertissement du public et ont élargi leurs lois sur le blanchiment d’argent, la lutte contre le terrorisme et les crimes organisés pour inclure les marchés de la cryptomonnaie, et exigent des banques et autres institutions financières qui facilitent ces marchés de respecter toutes les exigences de diligence raisonnable imposées en vertu ces lois. Par exemple, l’Australie, le Canada et l’île de Man ont récemment adopté des lois pour placer les transactions et les institutions de cryptomonnaie qui les facilitent dans le cadre des lois sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme [5].

D’autres part, il y a certains pays qui sont allés encore plus loin et ont imposé des restrictions sur les investissements dans les cryptomonnaies. Des pays tels que l’Algérie, la Bolivie, le Maroc, le Népal ou le Vietnam interdisent toutes les activités impliquant des cryptomonnaies. D’autres comme Le Qatar et Bahreïn interdisent à leurs citoyens de s’engager dans tout type d’activités impliquant des cryptomonnaies localement, mais permettent aux citoyens de le faire en dehors de leurs frontières. Il existe également des pays qui, sans interdire à leurs citoyens d’investir dans des cryptomonnaies, imposent des restrictions en interdisant aux institutions financières situées à l’intérieur de leurs frontières de faciliter les transactions impliquant des cryptomonnaies. La Chine à titre d’exemple qui vient de durcir ses restrictions. Il y a également le Bangladesh, l’Iran ou la Lituanie.

La France ne régule pas actuellement le marché des cryptomonnaies. Cependant, le pays évolue dans le sens de la mise en place de restrictions réglementaires. En effet, dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-1544 du 9 décembre 2020 renforçant le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux actifs numériques, il est proposé qu’une nouvelle ordonnance soit présentée avec des normes plus strictes afin de lutter contre l’anonymat des transactions de cryptomonnaies [6].

Aux Etats-Unis, au niveau fédéral, alors qu’il y a un projet de création d’une monnaie virtuelle officielle, la tendance est encore à la mise en place de mesures restrictives afin de lutter contre les activités illégales et l’évasion fiscale. En effet, le département du Trésor a récemment annoncé qu’il prenait des mesures pour sévir contre les marchés et les transactions de cryptomonnaie [7]. Au niveau des Etats, certains ont réglementé tandis que d’autres envisagent des lois pour les réglementer. A titre d’exemple, le Wyoming qui a déjà adopté un projet de loi autorisant la création d’une banque spécialement conçue pour permettre aux entreprises de détenir des actifs numériques en toute sécurité et légalement [8].

Quelles perspectives ?

Les cryptomonnaies deviennent de plus en plus incontournables. Alors que la tendance actuelle est à la mise en place de restrictions, il est important que les Etats sachent s’y associer en mettant plutôt en place des mesures de reconnaissance et d’encadrement afin de protéger les investisseurs qui sont de plus en plus nombreux.

Au Salvador, le président a déclaré que la reconnaissance du Bitcoin générerait des emplois à court terme, aiderait à mieux inclure les milliers de personnes qui sont en dehors du système et stimulera les investissements dans son pays [9]. Il sera donc important d’observer les effets de cette loi dans le pays.

Quoi qu’il en soit, que nous considérons les cryptos comme devises ou comme actifs numériques, les gouvernements ne devraient pas continuer à les ignorer et seulement les restreindre mais plutôt les encadrer.

Adoni Nyamuke

[1Berné, R., 2018. Qu’est-ce que la crypto-monnaie ? Histoire et Philosophie - Cryptoast. En ligne Cryptoast. Disponible sur : https://cryptoast.fr/crypto-monnaie-explication-definition/ Page Consultée le 12 Mars 2021.

[2Lee, I., 2021. The crypto market has doubled in value to $2 trillion in just 3 months amid a massive rally. En ligne markets.businessinsider.com. Disponible sur : https://markets.businessinsider.com/currencies/news/crypto-market-cap-bitcoin-doubles-to-2-trillion-rally-surges-2021-4-1030274638 Page Consultée 1 June 2021.

[3Loc.gov. 2018. Regulation of Cryptocurrency Around the World. En ligne Disponible sur : https://www.loc.gov/law/help/cryptocurrency/world-survey.php Page consultée le 12 Avril 2021.

[4Ibid.

[5Ibid.

[6Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-1544 du 9 décembre 2020 renforçant le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux actifs numériques in JORF n°0298 du 10 décembre 2020 Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/rapport/2020/12/10/ECOT2024817P/jo/texte Texte n° 15.

[7Franck, T., 2021. U.S. Treasury calls for stricter cryptocurrency compliance with IRS, says they pose tax evasion risk. En ligne Disponible sur : https://www.cnbc.com/2021/05/20/us-treasury-calls-for-stricter-cryptocurrency-compliance-with-irs.html

[8Fields, C., Kohen, M. and Wales, J., 2021. State Regulations on Virtual Currency and Blockchain Technologies (Updated March 2021) | JD Supra. En ligne JD Supra. Disponible sur https://www.jdsupra.com/legalnews/state-regulations-on-virtual-currency-2160466/ Consultée le 5 May 2021.

[9Cagan, A., 2021. Le Salvador devient le premier pays à approuver le bitcoin comme monnaie légale. [En ligne] Numerama. Available at : https://www.numerama.com/tech/717217-donner-cours-legal-au-bitcoin-le-salvador-devrait-etre-le-premier-pays-a-sauter-le-pas.html Page Consultée le 10 June 2021.

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