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L’Afrique et le droit à la non cybercolonisation. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : mardi 15 juin 2021
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Le numérique a connu une évolution extraordinaire au fil du temps à tel enseigne qu’il est un moyen indéniable pour s’affirmer sur le plan international. Les Etats d’Afrique ont donc un moyen pour enfin s’affirmer ou disons pour exister à défaut de quoi, nous assisterons à une nouvelle sorte de colonisation qu’est la cybercolonisation.

Le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui a traversé bien d’évènements assez tragiques qui constituent son histoire. Parler du monde revient à parler des personnes qui constituent sa population.

A travers un raisonnement par analogie, on pourrait donc dire que les peuples des différents continents du monde entier, particulièrement les africains ont connu des situations compliquées surtout avec l’esclavage et par la suite la colonisation. Cette colonisation, bien qu’ayant cessé de façon officielle, connait une évolution ou dirons-nous a changé de forme avec l’avènement des Technologies numériques d’où le terme « cybercolonisation ». Il convient d’ores et déjà de signifier que la véritable expression telle qu’évoquée par le Professeur Jean-Louis Corréa à partir de laquelle nous souhaitons mener nos réflexions est la suivante : « le droit à la non cybercolonisation »  [1].

D’après les explications données par le Professeur, il est important de comprendre à travers cette notion l’idée du respect de la souveraineté numérique des africains par les occidentaux. La souveraineté numérique pourrait être définie comme le pouvoir reconnu à l’Etat, aux organisations internationales, à la personne concernée ainsi qu’à toutes les entités traitant des données (peu importe la nature) d’imposer à toute autre entité la protection de ces données par un respect strict des instruments juridiques régissant lesdites données.

Ce droit très original (le droit à la non cybercolonisation) est d’une importance capitale pour l’avenir numérique de l’Afrique. Pour ce faire, il est nécessaire que soient conjugués tous les efforts sur le continent pour aider les pays les plus en retard sur le plan technologique du fait de la fracture numérique. Il est plus que nécessaire que nous sachions que le salut de l’Afrique sur le plan technologique pour entamer son développement ou son émergence ne peut en aucun cas venir de l’occident. Parler de souveraineté implique l’idée d’une maturité laquelle s’apparente quelque peu à la notion d’indépendance.

Il est certes clair qu’aucun Etat ne peut en principe vivre en vase clos et que l’union fait la force. Mais, est-il aussi important de noter que les européens n’ont eu besoin d’aucun Etat africain pour mettre en place le Règlement Général sur la Protection des Données (Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (Règlement général sur la protection des données). D’ailleurs c’est ce texte qui influence toute l’Afrique aujourd’hui au point que certains Etats veuillent réviser leurs textes pour être conformes au RGPD.

Il se pose logiquement certaines questions :

Comment l’Afrique peut prétendre dire non à la cybercolonisation et vouloir se conformer à des textes d’une organisation à laquelle elle n’appartient pas ?

Le droit à la non cybercolonisation ne devrait-il pas signifier mettre le continent au même niveau dans les rapports de force avec les pays de l’occident sur le plan du numérique ?

Si l’on part du principe que tous les Etats sont égaux, la réalité nous montre tout le contraire dans la mesure où des distinctions sont faites sur le plan économique opérant une classification entre pays développés et ceux non développés même si des notions sont trouvées pour atténuer la réalité. L’on dira que les européens ont connu aussi à un moment les problèmes que nous connaissons et c’est assurément un argument valable mais présentement inadmissible en ce 21ème siècle où presque rien ne peut se faire sans le numérique.

Des organisations comme l’UE existent en Afrique avec le financement et les intellectuels nécessaires mais malheureusement la recherche effrénée du profit fait perdre de vue l’objectif à atteindre. Logiquement, dire non à la cybercolonisation ou affirmer sa souveraineté numérique devrait signifier avoir les moyens de dire non à certain moment notamment lorsqu’on veut nous imposer explicitement ou implicitement quelque chose. Mais hélas copier est le synonyme d’innover dans nos contrées. Des efforts colossaux sont à faire pour hisser notre Afrique à la même enseigne que les pays occidentaux.

Dans cette quête de reconnaissance internationale, le numérique est plus qu’une opportunité à saisir. Notre droit à la non cybercolonisation n’aura de sens que si nous mettons en place les rudiments nécessaires sur les plans technologique et juridique pour protéger notre intégrité et par voie de conséquence concurrencer les puissances occidentales.

Dans ce sens, des pays comme le Rwanda sont des exemples phares. Un pays pour lequel personne n’aurait pu faire de prédiction pour lui donner la place de choix qu’il occupe aujourd’hui sur le plan technologique après le génocide qu’il a connu.

Cet exemple montre donc la possibilité pour cette Afrique de prendre son destin en mains et rompre avec cette culture de la passivité notoire et de la mendicité moderne dont elle fait preuve avec ses gouvernants véreux.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC

[1Jean-Louis Corréa, « [Tribune] Numérique : l’Afrique veut donner de la voix », consultée en ligne le 26/05/2021 sur le site https://www.jeuneafrique.com/1011680/economie/tribune-numerique-lafrique-veut-donner-de-la-voix/.