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Optimiser la négociation d’une rupture conventionnelle individuelle. Par Aurélia Marotte, Avocate.
Parution : mercredi 16 juin 2021
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Rien de plus simple en apparence qu’un départ via une rupture conventionnelle. Pourtant, en se posant quelques questions simples, il est possible pour l’employeur et le salarié d’optimiser ce mode de rupture et de l’adapter à chaque situation.

Article actualisé par son auteure le 19 avril 2022.

La rupture de contrat par le biais d’une rupture conventionnelle, mise en place et autorisée par la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 s’est imposée dans le paysage social français.

En 2021, selon les statistiques de la DARES, 453 528 départs via une rupture conventionnelle individuelle sont intervenus contre 424 000 en 2020, et 443 396 en 2019.

Entre 2008 et 2021, toujours selon la DARES, ce sont 4 661 237 ruptures conventionnelles qui ont été homologuées.

Ce dispositif est plébiscité par employeurs et salariés du fait de sa simplicité : en effet, rien de plus facile, en apparence, que de conclure une rupture conventionnelle régie par les articles L1237-11 à L1237-16 du Code du Travail.

Aucun motif à chercher à la rupture, une indemnité de rupture minimale prévue par les textes, et un formalisme aisément accessible : remplir une convention prenant la forme d’un formulaire CERFA mis à disposition en ligne [1], l’établir et la signer en trois exemplaires, et en remettre un exemplaire à chaque partie [2].

Une fois les délais imposés écoulés, il suffit de faire homologuer la rupture (et donc le formulaire CERFA dûment rempli) par la DREETS (anciennement la DIRECCTE) [3].

Attention cependant, depuis le 1er avril 2022, la demande d’homologation ne peut plus, sauf exception dûment justifiée, être transmise à la DREETS par courrier, comme c’était le cas auparavant, mais uniquement via le dispositif de télétransmission du site [4] [5].

Pour autant, plus complexe qu’il n’y parait, il est possible d’optimiser ce mode de rupture, et de protéger au mieux les intérêts des parties, en se posant quelques questions simples au cours la négociation, et en rédigeant, en plus du simple formulaire CERFA, une convention annexe qui précisera certains points en prévision d’éventuels conflits.

Les questions à se poser dans le cadre de la négociation.

Quand le contrat prendra-t-il fin ?

Les parties sont libres de fixer la date de fin du contrat de travail dans la convention de rupture comme bon leur semble, sous réserve que les délais de rétractation (15 jours calendaires) et d’instruction auprès de la DIRECCTE (15 jours ouvrables) soient respectés [6].

La date de fin de contrat peut alors devenir un enjeu stratégique.

Si vous êtes salarié sans perspective d’emploi rapide, vous avez tout intérêt à privilégier une rupture de contrat éloignée dans le temps, en demandant à votre employeur d’aménager une sorte « de préavis » pour continuer de bénéficier de tous les avantages attachés au contrat de travail pendant un temps à définir.

Dans certains cas, un préavis de plusieurs mois sera bien plus intéressant pour le salarié qu’une indemnité majorée qui entraînerait pour lui un différé Pôle Emploi très important (cf. ci-dessous).

Pour l’employeur, garder un salarié dans son effectif quelques mois peut favoriser la transition avec un successeur.

La date de fin du contrat travail et les conditions d’exécution du contrat jusqu’à son terme (dispense d’activité éventuelle, prise de congés payés) peuvent donc être des points importants d’une négociation.

Quel sera le montant de l’indemnité de rupture allouée ?

Conformément à l’article L1237-13 du Code du Travail, et à l’avenant du 18 mai 2019 de l’accord ANI 11 janvier 2008, le montant minimal de l’indemnité de rupture conventionnelle est fixé à l’indemnité légale de licenciement ou l’indemnité conventionnelle de licenciement si elle est plus favorable.

Attention cependant, cette dernière obligation ne s’impose que si l’employeur relève d’une branche d’activité représentée par le MEDEF, l’UPA et la CGPME [7].

Suivant la jurisprudence, l’indemnité conventionnelle de licenciement la plus favorable s’impose, pour la fixation de l’indemnité de rupture conventionnelle, quand la convention collective prévoit différents montants suivant les motifs du licenciement [8].

Mais les parties peuvent naturellement négocier un montant supérieur.

Il faut alors prendre en compte un certain nombre de paramètres dans la négociation, et, parmi les plus importants :

- Le différé d’indemnisation Pôle Emploi (délai avant de percevoir des allocations chômage) assis sur le montant des indemnités de rupture (en ce compris l’indemnité de rupture conventionnelle) qui excède le montant de l’indemnité légale de licenciement et d’une durée maximale de 150 jours.

Ce délai est d’une durée maximale de 150 jours [9].

Or, même si elle est limitée à l’indemnité conventionnelle de licenciement, l’indemnité
spécifique de rupture conventionnelle peut s’avérer supérieure à l’indemnité légale de
licenciement et entraîner, de ce fait, un délai de différé d’indemnisation pour le salarié, qui ne l’a pas forcément anticipé.

Et plus l’indemnité de rupture négociée sera importante, plus le différé sera long, dans la limite du plafond de 150 jours susvisés.

Dans certains cas, l’intégralité de l’indemnité négociée et payée sera absorbée par le délai de différé d’indemnisation qui sera supporté par le salarié (période de chômage non indemnisée), si ce dernier ne retrouve pas immédiatement un emploi.

- Les contributions sociales sur l’indemnité.

Dans le cadre de la négociation directe, il est rare que l’employeur et le salarié évoquent les notions de brut ou de net, les chiffres montants étant évoqués sans précision.

Lors du paiement de l’indemnité, des déceptions peuvent surgir.

L’indemnité de rupture est exonérée de toutes charges et contributions dans la limite du montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

En revanche, au-delà, elle est assujettie à CSG/CRDS pour un taux global de 9,7%, qui vient donc en déduction de l’indemnité brute visée dans la convention de rupture.

Et au-delà d’une limite fixée à 2 fois la rémunération brute perçue par le salarié l’année précédant la rupture [10], (ou, si ce montant est plus élevé, le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, ou 50% de l’indemnité de rupture payée), cette limite étant, dans tous les cas, plafonnée à 82 272 euros en 20212022 (2 PASS), l’indemnité est soumise à charges sociales comme du salaire.

A noter que si l’indemnité dépasse les 10 PASS, soit 411 360 euros en 2021, l’intégralement 2022, elle est intégralement soumise à charges sociales.

Il en est de même si le salarié remplit les conditions pour partir à la retraite, à taux plein, ou non, à la date de rupture du contrat fixé dans le cadre de la rupture conventionnelle.

Et l’employeur s’acquitte, dans tous les cas, du forfait social au taux de 20% sur le montant total de l’indemnité jusqu’à 2 PASS (82 272 euros en 20212022).

Il est donc important de déterminer, dans le cadre de la négociation, qui aura la charge de ces contributions.

Est-ce qu’il ne serait pas plus intéressant de combiner l’indemnité de rupture avec d’autres avantages ?

Au vu des difficultés pouvant surgir avec le paiement de l’indemnité de rupture conventionnelle, des solutions alternatives peuvent donc être envisagées dans l’intérêt de l’employeur et du salarié.

Ainsi, plutôt qu’une indemnité majorée (ou en complément de celle-ci), il est possible de prévoir et de négocier d’autres avantages alloués au salarié dans le cadre de la rupture (financement d’une formation, d’un MBA, droit de conserver un ordinateur, un numéro de téléphone, financement d’un out-placement, coaching…).

Ce type de mesure est privilégié par l’employeur, qui peut imputer certaines d’entre elles sur son budget formation.

Pour le salarié, cela permet d’envisager une meilleure transition professionnelle qu’une simple indemnité.

Qu’est ce qui sera versé dans le solde de tout compte à la fin du contrat ?

Pour éviter des difficultés à la sortie du salarié, il apparait important de clarifier, dès la signature de la rupture, ce que comprendra le solde de tout compte et d’anticiper, à ce stade, notamment la question du bonus annuel, sujet souvent sensible à la sortie (exigibilité et montant), ou le paiement du 13ème mois.

Le salarié doit également s’interroger sur son souhait de liquider, ou non, son compte épargne temps s’il en a un.

Attention, les droits ainsi liquidés seront pris en compte dans le différé d’indemnisation assis sur les indemnités de rupture supra-légale évoqué ci-dessus.

Que devient la clause de non-concurrence ?

Il parait indispensable de régler cette question dès la signature de la convention de rupture.

Si la levée est prévue dans le contrat de travail, et si c’est le souhait de l’employeur, il apparait recommandé de le prévoir expressément dans la convention de rupture.

Ce point est d’autant plus important au vu des dernières évolutions jurisprudentielles.
En effet, il a récemment été jugé qu’en matière de rupture conventionnelle, l’employeur, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toute stipulations ou dispositions contraires [11].

Le plus sûr apparait donc de régler cette question dès la convention de rupture pour éviter toute déconvenue.

Formalisation.

Si un formulaire Cerfa suffit pour formaliser une rupture conventionnelle valable, il ne permet pas de formaliser l’ensemble des points de négociation prévus ci-dessus.

Pour sécuriser les parties sur les conditions de la rupture, il est évidemment conseillé qu’employeur et salarié régularisent une convention annexe qui précisera l’ensemble des points d’accord des parties :
- Eléments qui figureront dans le solde de tout compte,
- Levée ou non de la clause de non-concurrence,
- Conditions d’exercice du contrat jusqu’à la rupture (prise de congés, dispense d’activité, accompagnement du remplaçant…).

Cette convention annexe pourra être l’occasion de rappeler faire reconnaître expressément au salarié qu’il a bien reçu un exemplaire du formulaire CERFA signé original, ou encore de lui rappeler ses obligations de loyauté et de confidentialité du salarié post contractuelles et les sanctions encourues en cas de non-respect de ces obligations.

Cependant, pour rappel, la convention de rupture conventionnelle ne vaut en aucun cas transaction.

Ainsi, les litiges éventuels au titre de l’exécution du contrat de travail (et éventuellement de la rupture en cas, notamment, de vice du consentement de l’une des parties) ne sont absolument pas réglés définitivement par cette convention et des contentieux peuvent apparaître.

Cependant, plus la convention sera précise sur les engagements pris par les uns et les autres, moins il y aura de risque de contestation.

En conclusion, si la négociation d’une rupture conventionnelle se profile, que l’on soit employeur ou salarié, il est important de se faire conseiller au mieux pour optimiser cette sortie en tenant compte de la situation particulière du salarié.

Aurélia Marotte, Avocate Barreau de Paris Cabinet Obema Conseils www.obema-conseils.com [->amarotte@obema-conseils.com]

[1Via le site www.telerc.travail.gouv.fr

[2Les employeurs doivent être très vigilants et conserver la trace de cette remise sous peine de lourdes déconvenues ; en effet, il a été jugé que c’est à l’employeur de prouver la remise d’un exemplaire du formulaire de rupture conventionnel signé en original au salarié. A défaut d’apporter cette preuve, le salarié pourra obtenir la nullité de la rupture conventionnelle, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans avoir à prouver un quelconque grief, ni à rapporter d’élément de nature à prouver ce qu’il avance (Cass. soc. 23-9-2020 n°18-25.770).

[3Cette procédure simplifiée n’est pas applicable aux salariés protégés, pour lesquels une autorisation de l’inspecteur(trice) du travail est nécessaire. Dans ce cas précis, la demande doit toujours être adressée à l’unité de contrôle compétente par voie postale et en recommandé avec accusé de réception, l’absence d’accord de l’Inspection du Travail sur la rupture conventionnelle dans les deux mois de la réception de la demande valant refus.

[4www. telerc.travail.gouv.fr

[5Décret n°2021-1639 du 13 décembre 2021.

[6Articles L1237-13 et L1237-14 du Code du Travail.

[7Soit la très grande majorité des entreprises du secteur privé.

[8Cass. Soc. 5 mai 2021 n°19-24650 et Soc 27 juin 2018 n°17-15948.

[9Article 21 du Décret 2021-346 du 30 mars 2021.

[10Lorsque le salarié a été absent et/ou a eu une décote de rémunération sur l’année civile précédant la rupture (du fait de la maladie, d’un congé sabbatique, congé parental, congé sans solde…), cette limite d’exonération peut s’avérer assez basse.

[11Soc. 26 janvier 2022 n° 20-15.755.