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Avocats, financer sa Legaltech ou sa transformation... Des pistes et des questions.
Parution : jeudi 17 juin 2021
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A l’heure de la nécessaire évolution des métiers du droit, dont les avocats qui sont face aux clients et au développement du "marché de la prestation juridique", les solutions et propositions se multiplient, à travers de bonnes pratiques [1], des conseils d’experts, des webinaires et des legaltechs notamment.
Mais pour mettre en place une stratégie, il faut investir temps et argent, trouver des compétences... On en arrive forcément au sujet du financement.
Voici quelques réflexions pour alimenter le sujet.

Logique entrepreneuriale ou non, les questions financières font partie du management des cabinets d’avocats. Qu’il s’agisse de créer sa structure, de maintenir son activité et/ou de diversifier son champ d’action, le cabinet d’avocat n’est pas tout à fait une entreprise comme les autres... C’est aussi vrai notamment pour la déontologie et les sujets financiers. Si trouver un emprunt ou lever des fonds n’est pas nécessairement un obstacle pour une entreprise classique, ça l’est pour un cabinet d’avocat, et c’est d’ailleurs une des contraintes de la profession face à la transformation de son activité dès qu’elle implique un projet non auto-finançable.

Quel banquier ou investisseur ferait facilement confiance à une structure privée dont le chiffre d’affaires est si fortement dépendant de l’activité de chaque associé, avec des processus non modélisés, au développement fortement aux relations personnelles et centrée sur une seule profession et un seul type de compétences, l’avocat et le Droit ? Une discussion compliquée que de nombreux avocats ont déjà connu [2].

Malgré tout de nombreux avocats - de plus en plus même - se lancent dans l’aventure notamment de la Legaltech, pour reprendre possession d’un marché qui leur échappe un peu, et qui s’installent dans leur rôle d’entrepreneur, bousculant l’image classique de l’avocat [3].

En 2011 la pluri-professionnalité a apporté une première réponse avec la consécration des sociétés de participation financière de professions libérales (SPFPL, qui ouvre la voie de la holding en association avec d’autres professionnels), et en 2015 nous avons connu la possibilité d’ouvrir le capital du cabinet d’avocat directement. Ajoutons la montée en puissance des activités commerciales accessoires [4], et l’on voit bien que le sujet avance malgré le rejet, pour l’instant du moins, d’autres propositions formulées en faveur d’une ouverture des capitaux des cabinets.
Quoi qu’il en soit de nombreux cabinets ne sont pas encore structurés pour "cette ouverture à d’autres" incontournable pour développer un réseau de compétences (droit et chiffre par exemple, mais aussi droit et technologies, marketing... ), et tout cela n’est pas encore suffisant pour libérer complètement la recherche de capitaux extérieurs.

A noter :
Ce sont des sujets qui seront notamment abordés lors des RDV transformations du droit, la cinquième édition du salon de la Legaltech, des innovations et transformations [5], rassemblant en novembre chaque année une grande part de "l’écosystème du droit qui avance", des avocats aux startups, des acteurs publics aux consultants, des directions juridiques aux financiers, des étudiants en droit aux développeurs informatiques, etc.

En attendant, que faire ? Commencer par gérer son cabinet en vue d’un auto-financement, et utiliser les capitaux des professions "compatibles". Quelques idées brèves sur ces sujets.

Première piste : revoir les bases financières d’un cabinet, et développer une bonne gestion permettant l’auto-financement et favorisant le financement extérieur.

Nous vous invitons sur ce sujet à consulter le Dossier financement des cabinets (pages 22 et suivantes) que le Journal du Village de la Justice a publié en mars 2020 en collaboration avec l’ANAFAGC, qui détaille bien les différents types d’investissement et la façon de les anticiper. Les possibilités sont multiples, et nous nous contenterons de reproduire ici un extrait sur les facteurs de réussite d’un investissement de projet, résumés par Michel Lehrer, consultant chevronné en management des cabinets :

Les points clés du financement de projet réussi

Seconde piste : lever des fonds !

Une fois le cabinet mis en ordre de marche financière, il faudra souvent trouver des moyens financiers que l’on ne pourra pas toujours auto-financer. Et d’ailleurs parfois il vaudra mieux s’associer à des partenaires pour avancer plus vite et trouver des compétences. L’histoire (toute jeune) des levées de capitaux des cabinets nous fournit deux exemples qui illustrent bien les spécifités de la profession.

1er exemple : AGN avocats a su trouver plus d’un million d’euros de capital.
Rappelons qu’AGN avocats a été le premier réseau d’avocats en 2015 à développer un financement externe ouvert à plusieurs métiers compatibles, à hauteur de plus d’un million d’euros qui a permis de créer plus de 20 cabinets en France, relativement rapidement malgré les freins de certains Ordres.
En savoir plus à ce sujet : "Le réseau AGN Avocats à la conquête de la France ?" et "Soirée de l’installation : l’avenir de l’avocat est-il à l’entrepreneuriat ?".

Second exemple : Développer une Legaltech avec des financements de confrères, exemple très actuel avec Call a Lawyer.
Call a Lawyer est une startup d’avocats, proposant une application de mise en relation avec les avocats. Lancée en 2017, la startup a déjà levé des fonds, et fait actuellement appel au financement par le biais d’un crowdfunding [6] destiné aux avocats et autres professions du droit.
Mathieu Davy, co-fondateur, témoigne :
"Pourquoi faire appel à financement participatif des avocats ? Nous avons d’abord pensé à notre base d’avocats, en leur disant "devenez propriétaires de votre plateforme", c’est vertueux. La moitié des investisseurs sont avocats actifs inscrits sur l’appli Call a Lawyer, c’est bon signe et gage de qualité. Le crowdfunding a fait boule de neige et aussi apporté de nouveaux avocats sur la plateforme. On a découvert ainsi qu’il y avait une catégorie d’ "avocats investisseurs" notamment dans des legaltechs. Ça correspond au côté entrepreneur des avocats, et les avocats connaissent ce marché de la consultation, sont plus aptes à en comprendre les enjeux et bonnes pratiques.

Autre effet plutôt macroéconomique : les fonds d’investissement nous ont confirmé leur approbation pour solliciter la communauté des avocats, ça les rassure... Ça donne un signal de confiance aux financiers pour nous et en général pour la Legaltech. Il y a donc à mon avis un "marché" de l’avocat investisseur, c’est une expérience à développer dans le monde de la Legaltech globalement. J’ajoute que les avocats qui investissent chez nous sont aussi de très bons ambassadeurs partout en France.
Les nouveaux investisseurs adhèrent aussi à la plateforme et y retrouvent là un ROI possible au-delà de l’investissement.
On en est à 150 marques d’intérêts [7], dont une cinquantaine déjà investisseurs pour environ 250K euros. Nous avons l’ambition de clôturer à 300K euros, et nous compléterons par de l’investissement privé classique avec des business angels (ce qui complètera notre première levée de 500k€ il y a quelques années)."

Des sources pour poursuivre la réflexion :
- "Le financement des avocats par les avocats : un cercle vertueux" Par Alexandre Coratella, avocat, dans le Bulletin du Barreau de Paris.
- "Dossier financement des cabinets" du Journal du Village de la Justice.
- "Avocats, comment trouver les moyens d’investir ?"
- "Rapport sur le financement et développement des cabinets d’avocats" du CNB (2017).

Christophe ALBERT Rédaction du village

[1Que vous consultez sur Le Village de la Justice ou son Prix de l’innovation par exemple.

[2On pourra lire à ce sujet ce point de vue d’un investisseur.

[5Que le Village de la Justice co-organise avec Open Law* .

[6Financement participatif

[7Propos recueillis le 110 juin 2021.