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L’encadrement du port du masque pour les enfants par le Conseil d’Etat. Par David Guyon, Avocat.
Parution : jeudi 17 juin 2021
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Une règle appliquée à l’extrême entraine une extrême injustice (summun jus summa injuria) disait Cicéron.

Dans le cadre de la crise sanitaire le gouvernement a pris un certain nombre de mesures afin de lutter contre la pandémie. L’instauration du port du masque dans les établissements scolaires à l’égard de tous les enfants dès 6 ans en est une. Elle a été particulièrement discutée au point que plus de 1 000 parents ont décidé d’engager un recours à son encontre.

C’est à cette occasion que le 1er juin 2021 le Conseil d’Etat est venu encadrer le pouvoir de l’administration dans le cadre de l’application de cette mesure (Conseil d’Etat 1er juin 2021 n°452502).

I- Le caractère non juridique du protocole sanitaire.

Le protocole sanitaire devrait être qualifié d’acte de droit souple (A). Le Conseil d’Etat lui a pourtant refusé cette qualification (B).

A) Un acte de droit souple apparent.

Dans le cadre de sa jurisprudence développant le « droit souple », le Conseil d’Etat a permis la recevabilité de recours à l’encontre de

« (…) documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ».

Conseil d’Etat 22 décembre 2020 n°439996.

C’est dans ce contexte que plus de 1000 parents ont demandé la suspension sur le fondement des dispositions de l’article L521-1 du Code de justice administrative à l’encontre du protocole sanitaire.

Ce protocole sanitaire est un document qui a permis de préciser l’application des dispositions de l’article 36 du décret du 29 octobre 2020. En effet, cet article ne prévoit aucune exception au port du masque. Il revenait donc à l’administration d’appliquer concrètement les mesures au sein de leurs établissements.

C’est sur le fondement de ce protocole qu’un grand nombre d’établissements ont pris des mesures à l’égard des élèves (sanctions, exclusions, mise à l’écart etc…).

B) Un document sans portée juridique certaine.

Le Conseil d’Etat rejette la demande et considère que le recours n’est pas recevable à l’encontre de ce protocole sanitaire.

Ce document, puisqu’il ne s’agit que de cela, constitue un recueil de bonnes conduites, un guide de bonnes pratiques, de simples recommandations selon le Conseil d’Etat.

Conseil d’Etat 1er juin 2021 n°452502.

Cette affirmation emporte plusieurs conséquences :
- Le protocole sanitaire n’a pas de caractère impératif et ne constitue pas une norme juridique ;
- Le protocole sanitaire ne peut pas constituer la motivation en droit d’une décision visant à imposer à un enfant des mesures sanitaires non comprises dans l’article 36 ;
- En l’absence de précision par l’article 36 du décret des conditions d’exemption au port du masque, il existe un vide juridique qui n’est pas comblé par le protocole sanitaire.

Pourquoi une telle solution a été reconnue par le Conseil d’Etat ?

On peut se demander si ce n’est pas par opportunité. En effet, la jurisprudence traditionnelle aurait dû voir reconnaitre le caractère de droit souple. Ce protocole modifie le comportement de ses destinataires et s’imposent à eux. Dans l’esprit des destinataires de la norme, cet acte est impératif.

Cependant, reconnaître cela, c’est reconnaître son illégalité car seul le premier ministre dispose du pouvoir règlementaire (article 21 de la constitution). Ce principe est rappelé régulièrement par le Conseil d’Etat.

Conseil d’Etat 26 juillet 2011 n° 342454.

Or, ce protocole provient du ministre de l’éducation nationale sans avoir été habilité expressément par le premier ministre. De plus, le ministre de l’éducation nationale, à le supposer habilité, ne pourrait pas préciser les modalités d’application des mesures sanitaires dans les établissements publics placés sous sa tutelle.

Conseil d’Etat 1er décembre 2004 n°260551.

Quelle que soit les raisons, il conviendra d’en tirer les conséquences.

II- L’opposabilité du certificat médical.

L’administration doit agir dans le cadre de la lutte sanitaire (A). ce pouvoir n’est toutefois pas illimité (B).

A) Le pouvoir règlementaire des établissements scolaires.

Les chefs d’établissement sont responsables du bon fonctionnement du service dont ils ont la charge. Ils détiennent ces compétences de par la loi. Ainsi les dispositions de l’article R421-10 du Code de l’éducation donne la possibilité au chef d’établissement de prendre toutes les mesures nécessaire au bon fonctionnement de son établissement.

Ils ont ainsi le droit mais également le devoir d’appliquer les lois et les règlements dans leurs établissements.

C’est à ce titre qu’ils sont dans l’obligation de mettre en place et de faire respecter les mesures sanitaires imposées par le décret du 29 octobre 2020. Ce décret a été abrogé et remplacé par le décret du 1er juin 2021. Il est donc possible d’exiger un certificat médical.

Le Conseil d’Etat a dû répondre à deux questions juridiques.

Un chef d’établissement peut-il soumettre à des conditions de forme un certificat médical ?

Un chef d’établissement peut-il refuser un enfant dans son école pour non port du masque alors qu’il dispose d’un certificat médical concluant à une dispense ?

B) L’exclusion de la compétence médicale des établissements scolaires.

Pour ces deux questions la réponse est non. L’administration ne dispose d’aucune compétence dans le domaine médical.

Dans son considérant 9, le Conseil d’Etat rappelle que les médecins de l’éducation nationale ou l’administration scolaire ne sont pas habilités à remettre en cause les constatations ou indications à caractère médical portées dans un certificat médical.

Ils n’ont pas non plus la possibilité d’apprécier les éléments médicaux en lien avec une pathologie rendant l’enfant vulnérable au risque de développer une forme grave d’infection à la covid-19 et susceptibles de déterminer les conditions de maintien de l’enfant en présence dans l’école ou l’établissement scolaire.

Conseil d’Etat 1er juin 2021 n°452502.

Il est clairement reconnu par le Conseil d’Etat que la compétence médicale n’est pas du ressort de l’administration.

Pourtant, dans la pratique, bon nombre de parents ont subi des rejets de leurs certificats médicaux. Les conséquences sont parfois désastreuses puisque des enfants se retrouvent soumis à des mesures qui ont été médicalement constatées comme étant nuisibles pour leur santé. Pour d’autres, ces derniers ont tout simplement été exclus de leur établissement scolaire, et ce, même lorsqu’il s’agissait de jeunes enfants.

Ainsi, les établissements scolaires doivent appliquer les mesures sanitaires autant que faire se peut. Si elles sont face à une difficulté elles doivent faire preuve de discernement et s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant est toujours assuré. A défaut, elles commettent une extrême injustice.

David Guyon Avocat