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Le cadre légal de la profession d’agent immobilier au Gabon. Par Sylvain Obame, Avocat.
Parution : mardi 22 juin 2021
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Au confluent des transactions immobilières, la profession d’agent immobilier au Gabon est restée hors la loi.
Le législateur gabonais s’est éveillé récemment non pas spontanément, mais sous l’influence des professionnels du domaine ayant pignon sur rue, mais exerçant sans cadre légal, en adoptant la première loi réglementant la profession d’agent immobilier en République gabonaise depuis le 17 août 1960, soit 57 ans de syncope.

Cette loi soumet désormais l’exercice de la profession d’agent immobilier à plusieurs conditions :
1. L’autorisation d’exercer délivrée par le Ministère en charge de l’Habitat,
2. L’obtention préalable d’un agrément d’agent immobilier,
3. L’inscription au registre du commerce et du crédit mobilier,
4. L’inscription au registre des agents immobiliers tenu par le Ministère en charge de l’Habitat,
5. L’obtention d’une carte professionnelle.

Cette loi vient donc réglementer la profession mais également surtout l’assainir en mettant fin au phénomène de « faux agents immobiliers » qui vouent une concurrence féroce aux professionnels fiscalisés et ayant à leur charge des dizaines de salariés.

Pour veiller à l’observations de cette loi, le législateur a prévu des sanctions tant pénales qu’administratives allant de l’avertissement au retrait définitif de l’autorisation, prononcées par la commission de délivrance des autorisations d’exercer.

Mais cette loi ne prévoit aucun cadre de régularisation des agents immobiliers exerçant depuis sans aucune autorisation ni aucune transition.

Cette carence mettrait les agences immobilières gabonaises hors la loi.

Comme il est dans ses habitudes, le juriste se doit toujours de revenir au sens des mots pour en mieux cerner la portée juridique avant d’envisager toute réflexion.

Cette précaution est nécessaire car la bonne ou mauvaise compréhension des notions peut donner lieu à une bonne ou mauvaise solution.

Ainsi, convient-il de définir l’activité de l’agent immobilier.

1. Définition de la profession d’agent immobilier.

C’est la loi n°006/2017 du 9 août 2017 portant réglementation de la profession d’agent immobilier en République gabonaise, promulguée par son décret jumeau n°00236/PR du 9 août 2017 qui définit la profession d’agent immobilier.

Des articles 2 et 6 de cette loi, il ressort que l’agent immobilier est « la personne physique ou morale intermédiaire qui, dans le cadre d’activités de transactions et de la gestion immobilière pour le compte ou au profit des tiers propriétaires, met en relation un vendeur et un acheteur afin de réaliser une vente moyennant une rémunération (commission) ».

L’agent immobilier est donc un intermédiaire et un entremetteur. Il est communément dénommé « mandataire ».

Il ne peut accomplir de telles prestations de services à caractère commercial qu’en vertu d’un mandat écrit (établi sous seing privé), conféré par celui ou celle appelée mandant, qui le charge de vendre ou de rechercher un bien.

Il convient de préciser que l’agent immobilier intervient tant en matière de vente d’immeubles ou de fonds de commerce mais également de locations.

Nous prenons par contre le parti de ne traiter dans le présent article que de son activité relative aux ventes immobilières et reviendrons dans un autre numéro sur son activité relative aux locations immobilières.

2. L’agent immobilier : une profession encadrée par la loi n°006/2017 du 9 août 2017.

La profession d’agent immobilier est récemment mais désormais encadrée par les dispositions de la loi du 9 août 2017 prise en a application de celles des articles 47 et 53 de la Constitution, sous le ministère de Monsieur Ernest Mpouho Epigat (Loi n°006/2017 du 9 août 2017), et de son décret jumeau d’application (Décret n°00236/PR également du 9 août 2017).

L’objectif de la loi du 9 août 2017 (première en ce domaine au Gabon) concernant les professionnels de l’entremise est double : réglementer le cadre d’exercice de la profession d’agent immobilier au Gabon, assainir le secteur dont l’image est ternie par de « faux agents immobiliers », en subordonnant l’exercice de la profession à :

- L’autorisation d’exercer délivrée par le Ministère en charge de l’Habitat, accordée pour une durée illimitée, et ouvre droit à l’exercice de la profession sur l’ensemble du territoire national. La demandeur d’autorisation est soumise à une enquête administrative effectuée par les services compétents du Ministère en charge de l’Habitat. Ceux-ci sont tenus de faire connaître à la commission de délivrance des autorisations d’exercer leur(s) avis dans le délai d’un (1) mois à compter de leur saisine.

Que se passe-t-il en cas de refus ?

D’abord, précisons que l’autorisation d’exercer peut être refusée dans trois cas :
- Le postulant ne remplit pas les exigences requises (financières notamment) ;
- Le postulant a déjà fait l’objet d’un retrait définitif d’agrément ;
- L’enquête est défavorable.

La décision de refus doit néanmoins être motivée et notifiée par le Ministère en charge de l’Habitat au demandeur par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen légal.

En cas de refus de la demande d’autorisation d’exercer, le requérant peut introduire un recours écrit auprès du Ministère en charge de l’Habitat, accompagné de nouveaux éléments d’information ou de justification, en vue d’obtenir un complément d’examen.

La demande de recours doit parvenir au Ministère en charge de l’Habitat dans un délai d’un (1) mois à compter de la notification de refus.

Dans ce cas, le Ministère en charge de l’Habitat se prononce dans un délai n’excédant pas un (1) mois suivant la réception de la demande de recours.

L’on notera d’une part que la loi accorde des délais de recours plus courts aux requérants à l’exercice de la profession d’agent immobilier pour déposer son recours et à l’administration décisionnaire pour réexaminer sa demande et se prononcer. S’il est de 1 mois en l’espèce, en revanche le Code des Juridictions administratives (CJA) accorde à l’administré un délai de trois mois à compter de la notification qui lui est faite de la décision pour former un recours administratif (article 42). On peut conclure que la loi du 9 août a fait le choix de la célérité dans le traitement de la réclamation.

L’on observera d’autre part que la loi du 9 août 2017 ne prévoit pas de recours contentieux devant le tribunal administratif mais uniquement un recours administratif et ne se prononce pas non plus sur les suites procédurales en cas de second refus.

Ce silence peut-il s’expliquer par application des dispositions de l’article 42 du CJA, lequel pose le principe du recours administratif préalable obligatoire (RAPO).

Autrement dit, aucune requête n’est recevable si elle n’a été précédée d’un recours administratif (gracieux ou hiérarchique).

Une telle carence fait donc naturellement revivre le droit commun de la procédure administrative, telle qu’issue du Code des juridictions administratives, laquelle reconnait à tout administré un droit de saisine du tribunal administratif pour contester toute décision administrative faisant grief (article 43).

Il subsiste néanmoins une difficulté procédurale : le CJA dispose que l’administration dispose d’un délai de 4 mois pour se prononcer sur le recours qui lui est adressé. A l’expiration de ce délai de 4 mois, la partie lésée dispose d’un délai de 3 mois pour saisir le tribunal administratif (article 43 al.2).

La question est de savoir dans quel délai la partie le postulant à l’exercice de la profession d’agent immobilier doit saisir le juge administratif, sachant que l’administration répond à sa demande dans le mois suivant son recours et que le CJA accorde un délai de 4 mois à l’administration pour se prononcer ?

Doit-elle introduire la requête contentieuse immédiatement ?

A y réfléchir, il tombe sous le sens, que dans le silence de la loi du 9 août 2017, la partie lésée doit introduire sa requête dans le délai de trois mois suivant la notification qui lui est faite de la décision négative conformément à l’article 42 du CJA.

- L’obtention préalable d’un agrément d’agent immobilier, lequel est personnel et révocable, inaliénable et non cessible ;
- L’inscription au registre du commerce et du crédit mobilier ;
- L’inscription au registre des agents immobiliers tenu par le Ministère en charge de l’Habitat ;
- L’obtention d’une carte professionnelle délivrée par la Commission de délivrance des autorisations d’exercer les professions d’agent et de courtier immobiliers (CDAEPAICI).

Ces conditions formelles s’inscrivent dans l’objectif d’assainir la profession.

Ces obligations sont certes nécessaires et s’imposent d’ailleurs mais elles restent insuffisantes pour endiguer le phénomène de faux agentes immobiliers qui exercent une concurrence déloyale sans égale contre les agents installés, qui sont assujettis à une fiscalité pesante.

Monsieur Philippe Chandezon, Directeur du Bureau international de conseil et de promotion (BICP), ne peut pas être plus éloquent, lorsqu’il dit avec précision que

« si le décret n°00236 du 9 août 2017 apporte un début de solution face au problème des "faux agents immobiliers", ce texte à lui seul reste insuffisant, à tel point que deux associations ont été fondées pour appuyer ce texte : l’Association gabonaise des agences immobiliers (AGAI) de et l’Association Immobilier Durable (AID) ».

L’insuffisance de ce texte peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit du premier en la matière en droit gabonais.

Cette loi devra donc faire l’objet d’une révision, notamment pour alourdir les sanctions pénales encourues par les intermédiaires de l’immobilier en cas de non-respect de la législation.

En revanche, qu’en est-il de la mise en conformité par les professionnels de l’immobilier en exercice avant la promulgation de la loi du 9 août 2017, lesquels disposaient d’un délai d’un (1) an pour solliciter leur autorisation d’exercer prévue par l’article 9 de ladite loi ? Et quelles sanctions encourent-ils ? Ont-elles au demeurant été prononcées ?

A priori, un agent immobilier qui ne se serait pas conformé à la loi ne peut exercer la profession et encore moins obtenir une quelconque rémunération ou commission du vendeur.

Il serait opportun de réaliser une étude bilan de la mise en conformité trois ans après la publication de cette loi dans un bulletin ultérieur.

3. Champ d’application de la loi du 9 août 2017.

La loi du 9 août 2017 s’applique exclusivement à toute personne physique, exerçant à titre individuel de nationalité gabonaise, résidant au Gabon et aux personnes morales de droit gabonais qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations d’intermédiation dans le domaine des transactions et de gestion immobilière portant sur les biens d’autrui (article 7).

4. L’activité soumise à la loi du 9 août 2017.

a. L’entremise.

La loi du 9 août 2017 vise toute activité ou prestation consistant pour toute personne physique, exerçant à titre individuelle, résidant au Gabon et aux personnes morales de droit gabonais, à se livrer ou prêter son concours, de façon habituelle, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens de tiers propriétaires.

Qu’entend-t-on par personnes physiques ou morales ? Il s’agit de tout individu, toute société ou groupe s’entremettant de manière habituelle dans les activités et prestations ci-dessous à l’article 2, à l’exception de ceux et celles énumérés dans l’article 4.

Que signifie se livrer ? il faut entendre par là participer directement à la réalisation de l’opération grâce à une intervention déterminante ou l’accomplissement de certains actes. Par exemples : procéder aux visites des biens immobiliers, faire publicité des biens, mettre en relation vendeurs et acheteurs ; négocier.

Que doit-on entendre par Ou prêter son concours ? Cela signifie intervenir efficacement dans l’accomplissement des opérations portant sur les biens d’autrui.

En exemples : rédiger les actes sous signature privée ; réceptionner les fonds en qualité de séquestre.

Que veut dire de manière habituelle ? Cela signifie que l’intermédiation ou l’entremise doit avoir un caractère habituel. Elle ne peut être un acte réalisé isolément. Elle suppose la répétition d’actes de même nature.

Par exemple : un individu qui s’entremet pour la seule et unique fois dans la vente d’un bien immobilier n’est pas soumis à la loi du 9 août 2017.

b. Les professions et les personnes non soumises à la loi du 9 août 2017.

Ne sont pas soumises aux dispositions de cette loi en application de son article 4 :
- Les personnes ou leur(s) conjoint(s) intervenant à titre non professionnel dans les opérations relatives aux biens sur lesquels elles ont des droits réels divis ou indivis ;
- Les personnes agissant pour le compte de leur(s) parent(s) en ordre successible ou pour le compte de personnes protégées majeures ou mineures selon le Code Civil ;
- Les notaires, avocats, huissiers de justice, géomètres, conseils juridiques inscrits, mandataires liquidateurs et administrateurs judiciaires agissant dans le cadre de leurs règles professionnelles ;
- Les sociétés filiales de sociétés nationales ou d’entreprises gérant exclusivement les immeubles de celles-ci ;
- Les conventions passées entre deux commerçants professionnels de l’immobilier ;
- Les marchands de biens ;
- Les courtiers immobiliers ;
- Toutes personnes agissant dans le cadre des relations de particuliers à particuliers.

La délimitation de ces activités et prestations répond donc à différents critères liés à la personne concernée et à la nature de son intervention.

Pour que puisse s’appliquer la loi du 9 août 2017, il suffit que les critères ci-dessus soient remplis.

c. Les professions et les personnes soumises à la loi du 9 août 2017.

La loi du 9 août 2017 prévoit :
- Administrateur de biens,
- Chasseur d’appartement,
- Courtier en immobilier,
- Gérant d’immeuble,
- Marchand de biens,
- Marchand de listes,
- Négociateur immobilier,
- Promoteur immobilier,
- Syndic de copropriété.

5. Les opérations encadrées par la loi du 9 août 2017.

La loi du 9 août 2017 ne régit que les activités et prestations limitativement énumérées par son article 2.
Il s’agit :
- L’achat, la vente, la location ou la sous-location en nu ou en meublé d’immeubles bâtis ou non bâtis ;
- L’achat, la vente, la location ou la location-gérance de fonds de commerce ;
- L’entremise dans la prospection, la négociation et la conclusion de contrats d’acquisition, de location, de vente ou d’échange de biens immobiliers ou de fonds de commerce ;
- La souscription, l’achat, la vente d’actions ou de parts de sociétés immobilières donnant vocation à une attribution de locaux en jouissance ou en copropriété ;
- L’achat et la vente des parts sociales non négociables, lorsque l’actif social comprend un immeuble ou un fonds de commerce ;
- Le courtage immobilier ;
- La gestion immobilière ;
- La promotion immobilière ;
- Le syndicat de copropriété.

6. Les sanctions administratives et pénales.

Sans préjudice des sanctions pénales, l’inobservation de la présente loi et des textes qui régissent les professions d’agent et de courtier immobiliers expose le contrevenant aux sanctions suivantes :
- L’avertissement ;
- Le blâme ;
- La suspension de l’autorisation d’exercer pour une période n’excédant pas six (6) mois en cas de :
- Inexécution des engagements convenus avec la clientèle,
- Non-respect des règles et usages de la profession.
- Le retrait définitif en cas de :
- Méconnaissance volontaire, de façon grave et répétée, des règles de la profession,
- Liquidation judiciaire.

Ces sanctions sont prononcées par la commission de délivrance des autorisations d’exercer.

Sylvain Obame Avocat au Barreau de Paris Docteur en Droit Public