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Juridiquement, les pesticides constituent-ils des déchets ? Par Sylvain Bouchon, Avocat.
Parution : jeudi 24 juin 2021
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Plusieurs maires, déboutés d’une première action en vue de réglementer l’utilisation des pesticides sur leurs communes, ont interdit les pesticides en se fondant sur leur compétence en matière de déchets. Alors peut-on assimiler les pesticides volatiles à des déchets au sens du droit de l’environnement ? Le point sur les premières réponses judiciaires.

Droit de l’environnement, droit vivant. A force d’initiatives locales pertinentes, le droit de l’environnement se façonne désormais jour après jour devant les Tribunaux, et notamment les tribunaux administratifs ou se règlent les différends entre les maires et l’Etat.

I- Pourquoi se demander si les pesticides sont des déchets ?

Au commencement était la détermination de certains édiles locaux à imposer des « arrêtés anti-pesticides », restreignant l’usage de ces produits dans leur commune.
Pour ce faire, les maires en question se fondaient sur le pouvoir de police général que leur confère l’article L2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales, et en particulier relatif à la salubrité publique, le maire ayant le devoir de « prévenir, par précautions convenables […] les pollutions de toute nature », selon l’alinéa 5 de cet article.

Mais à côté de ce pouvoir de police générale du Maire, le Code Rural et de la pêche maritime confiait un pouvoir de police spécial en matière phytosanitaire détenu exclusivement par le Ministre de l’Agriculture [1].

Or la question du concours entre police spéciale et police générale est tranchée depuis longtemps en jurisprudence : l’existence d’une police spéciale empêche en principe l’intervention de l’autorité de police administrative générale [2].

Le Conseil d’Etat a logiquement appliqué cette jurisprudence au cas des arrêtés municipaux anti-pesticides dans un arrêt du 31/12/2020, 3et 8e ch réunies, 439253, Commune d’Arcueil.

Dès lors, la solution est claire, les maires ne peuvent prendre d’arrêté anti-pesticide sur leur commune car ils n’en ont tout simplement pas la compétence. Un peu comme en matière d’antenne-relais, le maire est radicalement exclu du contrôle au profit du Gouvernement, et, au niveau local, du Préfet.

Loin de se décourager, certains maires, notamment l’édile de La Montagne en Loire-Atlantique, ont alors trouvé un autre fondement juridique pour intervenir.

Et si l’on considérait les pesticides projetés dans l’air hors des limites du site dans lequel ils sont destinés à agir comme des déchets ?

Dans cette optique, le déchet n’est pas le bidon, ou le contenant, mais bien le produit lui-même.

C’est qu’en la matière, le pouvoir de police du maire est difficilement contestable, puisque le Code de l’Environnement lui donne expressément le droit de prononcer des amendes administratives et astreintes en ce qui concerne l’abandon de déchets sur le territoire de la commune.

Autre avantage, et non des moindres : il s’agit là d’un pouvoir de police spécial. Ainsi, l’idée de se fonder sur la police des déchets est des plus pertinentes. Encore que le pouvoir de police spécial entre en concours avec un autre pouvoir de police spécial.

Néanmoins, pour être très clair : ça se tente.

II- Pesticides = déchets ?

La notion de déchets en droit de l’environnement est assez complexe - Voir l’article Les notions de déchet, produit et sous produit en droit de l’environnement.

La définition de déchets de l’article L541-1-1 du Code de l’Environnement, elle, est relativement simple : est un déchet toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait, ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

A première vue :
- Un pesticide est bien une substance,
- Dont le détenteur se défait.

Les éléments constitutifs du déchet paraissent donc caractérisés. Plusieurs arrêtés municipaux interdirent alors les rejets de produits phytosanitaires au-delà des limites du terrain auxquels ils étaient destinés. Le produit étant volatile par définition, ces arrêtés revenaient à quasiment interdire l’utilisation de pesticides sur la commune.

Tel n’était pas l’avis du Préfet de Loire-Atlantique qui saisit le Tribunal Administratif de Nantes d’un déféré préfectoral, ni des préfets confrontés à de tels arrêtés qui saisirent tous dans la foulée le tribunal administratif compétent.

La logique de l’Etat est la suivante : le code Rural et de la pêche maritime contient une règlementation précise quant à l’autorisation et la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques qui met en application le paquet pesticide adopté par le Parlement Européen en 2009. Les principes directeurs de ce paquet européen sont précisément la prudence et l’utilisation raisonnée des pesticides - tout en renforçant la compétitivité. Nul besoin donc, aux yeux des pouvoirs publics, d’édicter davantage de normes puisque l’utilisation et les effets sur la santé sont contrôlés en amont, sans parler de la pagaille juridique si les normes ne sont pas identiques sur l’ensemble du territoire.

III- Les réponses provisoires des Tribunaux administratifs.

Toutes les décisions administratives ne sont pas connues de l’auteur de ces lignes ni forcément rendues à l’heure de la publication de cet article.

Mais il est deux ordonnances tout à fait notables -il s’agit de deux procédures de référé-suspension qui obligent le Juge administratif à se pencher sur le fond du problème.

En réalité, deux problèmes juridiques se posent :
1 : Les pesticides sont-ils des déchets ?
2 : Si les pesticides sont des déchets, la police spéciale du maire, qui est en concours avec la police spéciale de l’Etat quant à l’utilisation des pesticides, peut-elle s’appliquer ? Autrement dit, même si l’on retient la qualification de déchets, le maire peut-il interdire les pesticides au titre de son pouvoir de police quant aux déchets sur sa commune ?

La première décision est l’ordonnance rendue par le Tribunal Administratif de Nantes le 9 avril 2021, n° 2102877.

Le Tribunal répond à la première question par la négative d’une formule lapidaire
« alors qu’un tel produit n’est pas, par nature, qualifiable de déchet » (Considérant 8).

A la seconde question, le Tribunal répond là aussi par la négative :

« que les conditions de stockage, de manipulation, de dilution et de mélange avant application tout comme les modalités de manipulation, d’élimination et de récupération des déchets issus de ces produits, ainsi que la définition des dispositifs et techniques appropriés à mettre en œuvre lors de l’utilisation pour éviter leur entraînement hors de la parcelle, ressortissent de la compétence exclusive du ministre chargé de l’agriculture » (Considérant 8).

Ainsi, au terme de cette ordonnance :
- Les pesticides ne sont pas des déchets,
- Et quand bien même, le maire n’aurait pas de compétence puisque sa police spéciale s’efface devant la police spéciale de l’Etat.

La deuxième décision est l’ordonnance rendue par le Tribunal Administratif de Melun du 12 mai 2021, n° 2103408.

Contrairement à la juridiction nantaise, le TA de Melun considère que les pesticides constituent bien des déchets !

« Il résulte de ces dispositions que, d’une part, doit être regardée comme déchet toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine. Par suite, les substances à base de produits phytopharmaceutiques ou de pesticides non utilisées à leurs fins initiales, c’est-à-dire qui se dispersent au-dessus de la parcelle traitée, doivent être qualifiés, au sens des dispositions précédentes, de déchets puisque leur utilisation ultérieure est exclue » (Considérant 14).

Mais le TA de Melun donne néanmoins raison au Préfet de Seine-et-Marne en estimant que la police spéciale de l’Etat reste applicable, au contraire de la police du Maire.

L’apport de cette ordonnance n’en demeure pas moins fondamental, car la reconnaissance du caractère de déchet démontre bien la pertinence de la question posée par les élus locaux.

Gageons que ces jurisprudences vont se préciser et s’harmoniser avec le temps…

Sylvain Bouchon Avocat au barreau de Bordeaux [->bouchonavocat@gmail.com]

[1Art L253-1 et suivants.

[2CE, 30 juillet 1935, S.A.T.A.N.

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