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Les clauses RSE dans les Traités d’investissement. Par Issiaka Guindo, Juriste.
Parution : mardi 29 juin 2021
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L’expropriation indirecte enjoint de se demander sur le dissentiment entre la protection du droit de propriété de l’investisseur des interférences souveraines et la protection du droit de réglementer de l’Etat d’accueil dans l’intérêt général. Cette tension permanente entre deux types d’intérêts se traduit également par des tensions en jurisprudence avec des positions plus ou moins favorables à l’un ou à l’autre. Les clauses RSE dans les Traités d’investissement pourraient prendre une place importante ?

Les Etats protègent les droits patrimoniaux aussi bien pour ses nationaux que les étrangers par le truchement des protections substantielles (Protection contre l’expropriation, Traitement juste et équitable (TJE) ; Traitement national ; Traitement de la nation la plus favorisée (TNF) ; Liberté de transférer des fonds ; et Protection et sécurité complètes) qui leurs sont accordées dans le droit interne de l’Etat hôte, et parfois droit international et droit international d’investissement (DII).

Ces protections sont couramment accordées aux investisseurs étrangers et pour lesquelles il existe un patchwork de jurisprudence arbitrale.

Dans cette étude, notre intérêt porte sur la protection contre l’expropriation dans sa forme expropriation indirecte, nous allons la détailler et ainsi que les réactions résultantes.

Chacune des protections a une signification définie en droit international, bien que la portée de ces protections soit toujours en débat. En outre les investisseurs s’assurent pour la protection de leurs biens par d’autres dispositions telles, les clauses de stabilisation dans les contrats, ces clauses ont renforcé la sécurité juridique des investisseurs, mais qui selon certains juristes, a affaibli celle des Etats hôtes dans leurs missions de protection de l’intérêt général (Protection environnementale, protection sociale, de manière générale, le respect des objectifs du développement durable).

Tout au plus, pour certains les Etats ont tendance à manquer de respecter leurs engagements, pour les autres, les investisseurs abusent de leurs droits.

Dans cette présente étude, il s’agit incontestablement de la protection des biens des étrangers, le domaine le plus sensible du droit international des investissements ainsi qu’en témoignent les échecs de codification de la matière par la SDN en 1929 puis par l’OCDE en 1962 avec son projet de « convention sur la protection des biens des étrangers ».

En effet le droit international ne conteste point le droit de chaque pays à des expropriations de biens des étrangers au nom de la souveraineté, encore a-t-il soumis leur licéité au respect de certaines conditions « compensation, indemnisation » (Carreau). Toute expropriation doit s’accompagner d’une indemnisation « prompte, adéquate et effective » pour rependre l’expression célèbre du secrétaire d’Etat américain Cordell Hull en 1938 à la suite des nationalisations du secteur pétrolier par le Mexique à l’époque.

Aujourd’hui, la question centrale concernant l’expropriation ne porte plus sur le montant de l’indemnisation. En effet, la période des expropriations formelles avec transfert du titre de propriété de l’investisseur à l’Etat semble dépassée.

A l’heure actuelle, il y a une pression de plus en plus importante en faveur de l’adoption par les autorités étatiques de réglementations pour protéger l’environnement, la santé publique ou encore l’économie nationale. Les Etats souverains se voient reconnaître par le droit international le pouvoir de réglementer sur leur territoire dans l’intérêt général. L’idée est qu’il peut y avoir une interférence à cause d’une mesure étatique avec le droit de propriété de l’investisseur mais sans qu’il n’y ait un transfert du droit de propriété à proprement parler mise en œuvre par cette mesure, cela s’appelle l’expropriation indirecte. L’investisseur se plaint d’avoir été victime d’une expropriation indirecte. Ces investisseurs, s’appuyant sur l’autre innovation majeure des traités bilatéraux d’investissement et de contrats d’investissements à savoir la clause d’arbitrage, avançant des allégations devant un tribunal arbitral, estimant avoir droit à une indemnisation au sillage de mesures de réglementation portées par les autorités étatiques, ayant porté atteinte à leur investissement.

Dans un plan modeste, nous allons mettre l’accent sur les affaires arbitrales ayant fait l’objet d’une expropriation indirecte (I) pour essayer de comprendre sa teneur.

Force est de constater ses affaires arbitrales vont en effet engendrer des réactions de par et d’autre, bien évidemment les clauses Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) dans les TBI (II) seraient-ils une réponse ?

I. Les affaires arbitrales.

L’arbitrage d’investissement, peu connu du public, mais qui constitue la cheville ouvrière d’une construction juridique liée aux capitaux étrangers ; l’essentiel est qu’il constitue une procédure de règlement des différends entre investisseurs étrangers et Etats d’accueil. La possibilité juridique et extra-judiciaire offerte à un investisseur étranger de poursuivre un Etat hôte, en cas de litige, telle, l’existence d’une garantie juridique et l’accès à des arbitres indépendants qui régleront le différend et rendront une sentence exécutoire.

Cela permet à l’investisseur étranger bien entendu de contourner les juridictions nationales qui pourraient être perçues comme manquant d’indépendance, et de régler le différend conformément aux différentes protections accordées par les instruments juridiques (Contrats d’investissements, Traités bilatéraux d’investissement TBI, les accords multilatéraux d’investissements).

L’arbitrage d’investissement ne peut être engagé que lorsqu’un Etat hôte a donné son accord à cette fin, exclusivement dans un contrat d’Etat avec l’investisseur étranger par le truchement de la clause compromissoire ou convention d’arbitrage, cette situation semble révolue, depuis 1990 l’arbitrage se fonde sur d’autres instruments, à commencer par un TBI (affaire AAPL c. Siri Lanka), dans une loi nationale, ou dans un accord multilatéraux (Alena, Protocole de Colonia Mercosur, Le traité sur la charte de l’énergie) et surtout avec le développement de la clause parapluie (le tribunal d’arbitrage dans l’affaire SGS c. Philippines).

A cet effet, le nombre de nouveaux arbitrages d’investissement devant CIRDI a considérablement augmenté à la fin des années 90 avec dix affaires arbitrales contre une seule affaire en 1972, le CIRDI enregistre 56 affaires en 2018.

Parmi ces affaires, ce sont celles qui se rapportent à l’expropriation indirecte qui nous intéresse, avant faudra-t-il la définir ? l’une des définitions qui semble intéressante est celle donnée par l’ALENA en son alinéa 1er de l’article 1110

« Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d’une autre Partie, ni prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation d’un tel investissement ».

D’autres instruments comme les TBI, la charte de l’énergie, et même les codes d’investissements précisent en effet ce type d’expropriation.

Les investisseurs conscients de l’existence d’une telle clause d’expropriation en plus de clause d’arbitrage, n’hésitent point à s’en servir, ainsi dans les années 2000, on a assisté à un développement du contentieux relatif à l’expropriation indirecte.

Naguère, des mesures de réglementation générale sont vues par l’investisseur sur autres fondements juridiques à savoir, la clause du traitement national ou de la clause de la nation la plus favorisée parce qu’elles étaient discriminatoires.

L’Affaire Metalclad Corporation c. Mexique est l’exemple emblématique, en octobre 1996, Metalclad Corporation, une entreprise américaine ayant investi dans un centre de traitement de déchets toxiques au Mexique, intentait une action contre ce dernier, devant un tribunal arbitral. L’investisseur prétendait que le refus des autorités municipales de lui accorder un permis d’exploitation au motif que l’activité présentait des risques écologiques d’une part et l’adoption d’un décret gouvernemental déclarant la zone concernée de zone écologique d’autre part, constituaient une mesure d’effet équivalant à l’expropriation contraire à l’article 1110 de Alena précité.

Dans une décision du 30 août 2000, le tribunal constata que l’investisseur avait effectivement été privé d’une part significative du bénéfice de son bien et que le Mexique devait lui verser une indemnisation. Cette sentence a été la première à condamner un Etat à une indemnisation pour une mesure ayant un effet équivalent à une expropriation.

En outre, une autre affaire attire notre attention, il s’agit de l’affaire Vattenfall, en mai 2012, l’entreprise de production et de distribution d’électricité suédoise, Vattenfall a déposé auprès du CIRDI une demande d’arbitrage international contre le gouvernement fédéral allemand. Vattenfall invoque ses droits émanant du traité sur la charte de l’énergie, le contentieux fait suite à une loi adoptée par le Bundestag allemand pendant l’été 2011, qui prévoit la sortie du nucléaire d’ici l’année 2022, cette sortie entraine la fermeture de deux centrales nucléaires construites par Vattenfall. L’article 13 du TCE stipule que les investissements d’un investisseur d’une partie contractante réalisés sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas nationalisés, expropriés ou soumis à une ou plusieurs « mesures ayant des effets équivalents à une nationalisation ou à une expropriation », sans être accompagnés du prompt versement d’une compensation adéquate et effective. Sur le fondement duquel, Vattenfall estime qu’il fait l’objet d’une expropriation indirecte, engage des poursuites afin d’obtenir une « compensation pour les pertes occasionnées par la sortie du nucléaire », puisque la nouvelle loi sur l’énergie atomique ne prévoit pas de versement d’indemnisation.

Malgré, l’essor de ce type d’affaires, le droit de l’Etat de réglementer reste indiscutable. Mais les investisseurs étrangers disposent toujours du droit de « discuter » cette prérogative. Et pourtant la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) donne la parfaite réponse en prévoyant que le droit que toute personne a au respect de sa propriété « ne porte pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ». Une telle formulation aussi explicite du droit de l’Etat se trouve ignorer fréquemment.

Et une autre réponse, cette fois prétorienne, dans l’affaire de la cour permanente de justice internationale relative à la réparation des pertes et dommages qu’aurait subis le sujet britannique Oscar Chinn du fait de certaines mesures prises par le Gouvernement belge. La cour a décidé que les mesures reprochées au Gouvernement belge ne sont pas en opposition avec ses obligations internationales, n’est donc tenu d’aucune réparation.

II. Les réactions occasionnant des reformes juridiques.

Considérant les problèmes de fonds et les cas litigieux du droit international des investissements, de plus en plus de voix s’élèvent au niveau international pour demander une réforme profonde de ce système.

Dans une affaire plus ancienne, International Bank of Washington, le tribunal a constaté qu’un décret dominicain interdisant l’exportation de bois d’origine nationale dans le but de conserver les ressources forestières de l’Etat, n’était ni discriminatoire ni arbitraire mais au contraire fondé sur des critères et objectifs raisonnables et ne constituait donc pas une expropriation.

Ce type de décision arbitrale se font rares, ainsi les Etats sont poussés à cherché d’autres mécanismes pour précautions et dans l’optique de se prémunir des contentieux arbitraux. Au-delà de la légitimité des tribunaux arbitraux, celle des arbitres est mise en cause, et d’ailleurs face aux pressions, certains mécanismes (CNUDCI, Protocole de l’Alena en 2003, l’amendement de CIRDI du règlement de différend en 2006) ont mis in situ pour plus de transparences de dispositifs de la participation des tiers (amicus curiae) à l’instance.

Certains spécialistes de la question prônent de manière radicale d’exclure les contentieux environnementales liées à l’expropriation indirecte du champ de l’arbitrage qui selon eux à tendance à favoriser les investisseurs au détriment des Etats. L’Alena et le modèle de TBI du Canada contiennent un dispositif étatique, qui permet à deux Etats d’estimer en commun accord pour déterminer si l’affaire relève de l’expropriation indirecte avant que l’investisseur ne saisisse le tribunal arbitral. A cet effet, l’une des principales innovations qui semble intéressante est la clause RSE.

Les clauses RSE.

On a longtemps chercher à ce que les Sociétés Transnationales (STN) respectent certaines pratiques de bonne conduites, cela a entrainé l’élaboration de codes de conduites dans le cadre de stratégies de développement durable et de responsabilité sociétale d’entreprise. La Chambre de commerce internationale a publié en 1991 une charte, qui tient en 16 principes directeurs, plutôt orientés sur l’environnement, et conçus à l’attention des entreprises de tous secteurs.

La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) désigne ainsi l’ensemble des pratiques et règles auxquelles les STN, s’engagent volontairement pour limiter les externalités négatives générées par leurs activités au plan social et environnemental, faisant l’objet d’un encadrement par certaines institutions internationales comme l’OCDE (avec les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales) ou les Nations Unies (avec les Principes du Conseil des droits de l’homme sur les entreprises et les droits de l’homme). Ces instruments, non contraignants relèvent de la soft law.

Cependant, on a pu observer depuis quelques années une tendance du droit des investissements à prendre en considération d’ailleurs explicitement la RSE par le biais de clauses incluses dans les TBI. L’insertion de clauses RSE dans les traités d’investissement est une pratique relativement récente et ces clauses n’ont pas encore fait l’objet d’un arbitrage d’investissement. Il existe une trentaine de clauses RSE inclues dans des traités d’investissements. Les Etats invitent directement les investisseurs à respecter des obligations relatives aux droits de l’homme ou l’environnement.

S’agissant du préambule des TBI, qui ne créent pas forcement de droit, selon la CNUCED 170 sont actuellement en vigueur , qui contiennent « des références aux droits humains, au travail, à la santé, à la RSE, ou à la pauvreté » dans leur préambule. Et 23 traités bilatéraux contiennent des dispositions ou chapitres dédiés à l’adoption ou le renforcement des initiatives RSE.

La plupart des traités auxquels le Canada est partie, contiennent ce type de clause y compris avec l’Union Européenne. Ainsi, pour ne citer que ce dernier accord, ses parties s’engagent à : encourager l’élaboration et l’utilisation, par les entreprises, de pratiques volontaires exemplaires de responsabilité sociale, comme celles énoncées dans les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, en vue d’accroitre la cohérence entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Mais de telles dispositions demeurent juridiquement non opposables en réaffirmant simplement le caractère volontaire du concept de la RSE.

Il en va ainsi de l’article 24 du Code d’investissement panafricain (PAIC) qui recourt au conditionnel pour inviter les investisseurs à respecter les droits de l’homme internationalement reconnus.

Par contre, certaines clauses se démarquent en posant des obligations juridiquement contraignantes, notamment le TBI Qatar- Argentine contient une clause RSE à l’article 12, un article 11 posant une obligation pour les investisseurs de se conformer au droit interne. De même pour l’article 11 de l’Accord de Coopération et de Facilitation des investissements signé entre le Brésil et le Malawi.

De même, le TBI Maroc-Nigeria prévoit un libellé plus direct, explicite et complet sur les obligations des investisseurs étrangers, inclus dans le corps du traité. En effet, plutôt que d’« encourager », le traité indique que les investisseurs « doivent respecter » les obligations RSE ; il étend également la portée des activités couvertes à l’évaluation d’impact (article 14), aux droits humains, au droit de l’environnement (article 18).

Ces clauses peu développées restent imprécises quant aux obligations internationales des investisseurs étrangers, leur invocation par les Etats d’accueil pourrait néanmoins s’avérer utile dans le cadre du règlement des différends opposant lesdits Etats à des investisseurs étrangers. Ces clauses pourraient aussi fonder utilement des demandes reconventionnelles qui permettraient à l’Etat d’accueil non pas d’échapper à sa propre responsabilité, mais d’engager au fond la responsabilité des investisseurs. Par exemple, dans Urbaser v. Argentine, Affaire CIRDI n °. ARB / 07/26, le tribunal a confirmé sa compétence à l’égard de la demande reconventionnelle de l’Etat hôte pour violation présumée des droits de l’homme par les investisseurs étrangers en vertu de la Traité bilatéral d’investissement entre l’Espagne et l’Argentine (BIT).

Plus loin, Dans une autre affaire, Burlington Resources c. Equateur, la demande reconventionnelle a été actée relative aux dommages à l’environnement découlant de la conduite de l’investisseur étranger, ce dernier fut condamné en faveur de l’Equateur à une indemnisation.

On verra bien dans l’avenir si ces clauses vont être incluses aussi bien de plus en plus dans les TBI que les contrats d’investissements dans l’optique de permettre de donner plus de rôle à la doctrine des « police powers » de l’Etat. C’est-à-dire son pouvoir de réglementer les activités sur son territoire reconnu par le droit international. Cela entraine d’éviter les affaires arbitrales contre les nouvelles règlementations en ce sens que la doctrine des « police powers », considère des mesures de réglementation prises par les autorités étatiques de l’Etat d’accueil dans la gestion des affaires publiques ne sont pas des mesures ayant un effet équivalent à l’expropriation indirecte.

Références :

- Carreau, Dominique et Juillard, Patrick. Droit international économique. Dalloz, 2013.
- Claire Cutler, Intégrer la responsabilité sociale des entreprises au droit des traités d’investissement et à la pratique de l’arbitrage : progrès ou solution utopique ?
- Robert, S. (1999). La Protection du Pouvoir de Réglementation Environnementale de l’Etat dans le Cadre du Contentieux de l’Expropriation Indirecte. Investissement International et Protection de l’Environnement. Golden Gate University Law Review, 518.
- Vattenfall AB et autres contre la république fédérale allemande, (CIRDI, cas n°. ARB/12/12).
Déjà en 2009 Vattenfall avait porté plainte contre le gouvernement fédéral allemand auprès d’un tribunal d’arbitrage administré par le CIRDI, il s’agit du premier arbitrage investisseur-Etat de ce genre contre l’Allemagne. À l’époque, la construction d’une nouvelle centrale à charbon était en cause, L’arbitrage fut réglé par un compromis judiciaire au printemps 2011. Le compromis consistait principalement en un arrangement devant le tribunal administratif supérieur de Hambourg en août 2010.
- Burlington Resources Inc. c. la République d’Équateur, Affaire CIRDI n° ARB/08/5.

Issiaka Guindo, Juriste et chercheur en droit international des investissements, Stagiaire au Cabinet Act05