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L’accès aux cantines scolaires : l’exigence de motifs légitimes pour refuser une demande. Par Abdoul Bah, Juriste.
Parution : mardi 29 juin 2021
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Face à l’allongement de la liste des motifs de refus d’accès en cantines scolaires des enfants, le juge a fixé les limites du pouvoir d’appréciation des maires en la matière, conciliant ainsi la liberté de ces derniers de créer des services de restauration scolaire et la lutte contre les discriminations dans l’accès à ces services une fois crées.

Selon une enquête sur la restauration scolaire publiée en 2020, l’AMF a constaté que

« le droit d’accès de tous les élèves au service existant, lorsque les parents en font la demande, continue de soulever des difficultés pour 14% des collectivités ».

Autant le principe de libre administration des communes comprend la liberté accordée au maire de créer un service public facultatif [1] (comme celui de la restauration scolaire), autant il ne lui accorde pas, une fois créé, un pouvoir d’appréciation souverain quant au droit d’y accéder [2].

Mais en pratique, face parfois à l’augmentation de la fréquentation et des demandes, certaines communes, pour des raisons notamment financières semble-t-il, se permettent d’ériger de critères d’accès ou motifs de refus d’accès complémentaires des enfants en cantines scolaires.

C’est ainsi que certains de ces critères et motifs ont fait l’objet de censure par le juge administratif, une occasion qui a permis en outre de relever de certaines dispositions intégrées aux règlements intérieurs de cantines scolaires.

A titre d’illustration, le juge a retenu l’illégalité d’un certain nombre de critères sur lesquels se sont fondées des communes pour refuser l’accès en cantines scolaires :

L’âge des enfants.

Il s’agissait d’une restriction aux enfants de moins de 4 ans sans que la commune n’établisse que la cantine n’était pas équipée, à la date de la modification de son règlement, pour accueillir de très jeunes enfants [3].

La situation professionnelle des parents.

Suite à une modification, le règlement de la restauration scolaire communal a prévu que les enfants dont les 2 parents travaillent, ainsi que ceux qui bénéficient de dispositifs particuliers, pourraient seuls manger à la cantine tous les jours, tandis que les autres enfants ne pourraient être accueillis qu’une fois par semaine, dans la limite des places disponibles, sauf urgence ponctuelle dûment justifiée.

Dans ces conditions, le juge a retenu le caractère discriminatoire du critère : la situation professionnelle des parents est sans rapport avec l’objet du service en cause [4].

Le lieu de résidence de la famille.

D’autres règlements communaux restrictifs avaient été invalidés par le juge dès lors qu’ils interdisaient l’accès des élèves à la restauration scolaire en fonction leur lieu de résidence [5].

Ainsi, il a été jugé que la commune ne saurait réserver l’accès au service de restauration aux seuls élèves résidant sur le territoire de la commune siège de l’école [6]. De même, a été jugé irrégulier un règlement intérieur réservant l’accès aux enfants dont les deux parents travaillent ou suivent une formation et qui résident à plus d’un kilomètre de l’école [7].

Cependant, pour les élèves d’autres communes, un tarif différent peut être appliqué, sans méconnaître le principe d’égalité, dans la limite du coût de revient du repas [8].

Les allergies alimentaires des enfants.

Il incombe aux communes accueillant tout enfant atteint d’une allergie et/ou intolérance alimentaire de définir des aménagements appropriés afin de lui permettre de profiter des services de restauration collective [9].

En effet, soit :
- Le service de restauration dispose des moyens de fournir des repas adaptés à la situation particulière de l’enfant, conformément aux prescriptions médicales de son médecin,
- L’enfant apporte et consomme en restauration collective son panier-repas entièrement et exclusivement pris en charge par sa famille selon les modalités définies dans le projet d’accueil individualisé (PAI).

Toutefois, lorsque l’alimentation en restauration collective est impossible sous ces 2 formes, il convient dans ce cas d’envisager d’autres modalités d’accompagnement des familles concernées en s’appuyant éventuellement sur des expériences pilotes mettant en œuvre un régime spécifique.

Ainsi, les règlements intérieurs de crèches communales ne peuvent exclurent de manière systématique l’accueil de tout enfant atteint d’une allergie alimentaire, sans prendre en compte notamment le degré ou la complexité de l’intolérance alimentaire dont il est affecté. Une telle situation est constitutive de discrimination fondée sur l’état de santé des enfants [10].

Néanmoins, il arrive que le juge ne retienne pas la méconnaissance du principe d’égalité : une commune qui a limité l’accès des enfants présentant une allergie médicalement constatée à son service de restauration en raison d’une part, de la variété des allergies d’origine alimentaire et leurs conséquences possibles sur la santé des enfants, d’autre part les conditions de fonctionnement d’un service de restauration collective [11].

Abdoul BAH Juriste

[1CE, sect., 5 oct. 1984, n°47875, Commissaire de la République de l’Ariège c/ Commune de Lavelanet, Lebon315.

[2V. art. L131-13 du Code de l’éducation.

[3TA Versailles, 3 mai 2002, M. et Mme H, n° 985889.

[4CE 23 oct. 2009, no 329076 ; TA Versailles 13 juin 2012, n° 1202932.

[5TA Grenoble, 13 juin 2002, no 014609.

[6CE Sect., 13 mai 1994, Commune de Dreux, n° 116549.

[7TA Grenoble, 13 juin 2002, Mme E, n° 014609.

[8CE 5 octobre 1994, Commissaire de la République de l’Ariège, n° 47875.

[9V. circulaire ministérielle n°2003-135 du 8 septembre 2003.

[10CAA Marseille, 9 mars 2009, n° 08MA03041.

[11TA Versailles, 10 avr. 1998, no 97654 A.