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Harcèlement moral et fonction publique : deux issues de secours. Par Jean-Yves Trennec, Avocat.
Parution : mardi 29 juin 2021
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Le harcèlement moral est toujours traumatisant pour ses victimes. Dans la fonction publique il peut prendre, de plus, des formes insidieuses qui tiennent à la rigidité du statut et à la stabilité des agents en fonction. On propose ici deux voies contentieuses pour le combattre.

Vous êtes dans la fonction publique et subissez un harcèlement moral. Ce harcèlement peut émaner d’un supérieur hiérarchique ou d’un collègue.

Le harcèlement moral est trop souvent ignoré ou nié dans la fonction publique. Il est mal vu de porter plainte, voire même, la victime d’un harcèlement qui porte plainte est trop souvent considérée comme procédurière. La loi reconnaît cependant le harcèlement moral dans la fonction publique et le dénonce. Il est ainsi indispensable de le signaler et de se défendre.

Cette défense peut prendre la forme d’une action en responsabilité dirigée contre la collectivité publique qui emploie le harceleur. En effet, l’employeur est tenu pour responsable des agissements de ses agents (I). Elle peut également s’incarner dans une action en référé-liberté devant le juge de l’urgence (II).

(I.) Pour bien se défendre en qualité d’agent public, il faut non seulement connaître les textes propres à la fonction publique qui incriminent le harcèlement moral, mais encore réunir les preuves concrètes du harcèlement, puis connaître le mode de raisonnement des juges qui va les conduire à considérer le harcèlement comme une réalité.

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a repris l’article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui condamne

« les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale de l’agent, ou de compromettre son avenir professionnel ».

Ainsi, le texte nous indique que le harcèlement moral n’est identifié que s’il correspond à des agissements répétés. Un seul acte isolé ne saurait donc constituer un harcèlement moral. Ces actes doivent entraîner une dégradation des conditions de travail du fonctionnaire ou de l’agent public.

A noter : l’élément intentionnel n’est pas requis pour qualifier le harcèlement moral.

Concrètement, au nombre des actes pouvant être considérés comme du harcèlement moral on peut relever :
- une surcharge de travail malicieuse,
- des ordres contradictoires,
- des atteintes directes à la santé du fonctionnaire,
- des pressions psychologiques,
- des critiques incessantes et injustifiées,
- une humiliation publique,
- un changement d’affectation injustifiée,
- des menaces, etc.

Avant d’engager une action en responsabilité contre la collectivité responsable devant le tribunal administratif, la victime de ces actes de harcèlement moral doit bien entendu apporter la preuve de ceux-ci.

Cette preuve peut être apportée par tout moyen. Cela peut consister en des témoignages de collègues, des mains courantes, des courriels, des attestations médicales. La victime doit également justifier de la dégradation de ses conditions de travail et d’une atteinte à son droit, sa dignité ou sa santé physique ou morale.

Avant de saisir le juge administratif, la victime du harcèlement prendra soin d’adresser à son employeur public une demande préalable indemnitaire dans laquelle elle précisera les faits, et fixera le montant de ses dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.

Une fois le juge administratif saisi, celui-ci va déterminer si le fonctionnaire est bien victime de harcèlement moral.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement.

Il incombe ensuite à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

Le juge administratif doit ainsi tenir compte des comportements respectifs de l’auteur présumé de ces agissements et de la victime présumée.

(II.) Lorsque le harcèlement moral est patent, qu’il ne souffre aucune discussion, il peut être combattu de façon plus directe et frontale.

Le Conseil d’Etat le 19 juin 2014, a en effet jugé que :

« le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un fonctionnaire une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L521-2 du Code de justice administrative » [1].

Le fait que le droit de ne pas être harcelé ait été élevé au rang de liberté fondamentale est important procéduralement, car il ouvre à la victime de harcèlement, la voie du référé-liberté qui est une procédure d’urgence permettant au juge d’ordonner à l’administration de mettre fin aux situations de harcèlement.

L’article L521-2 du Code de justice administrative dispose que

« saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Le juge pourra ainsi ordonner à l’autorité administrative de prendre toutes mesures nécessaires pour faire cesser le trouble et protéger la victime. En pratique lorsque la responsabilité de l’auteur du harcèlement est établie, cela peut se traduire par des mesures de changement d’affectation, d’éloignement ou de suspension des fonctions.

L’administration peut aussi introduire une procédure disciplinaire contre l’auteur du harcèlement.

La voie du référé liberté ne doit être empruntée par la victime que dans les hypothèses où les preuves du harcèlement sont flagrantes, car autrement le juge administratif aura tendance à rejeter la requête si les éléments de preuve sont lacunaires ou si la victime ne caractérise pas suffisamment la gravité des agissements dénoncés.

On ne saurait trop insister dans cette matière délicate sur la qualité de la préparation du dossier avant toute introduction de recours contentieux.

Jean-Yves Trennec, Avocat, Barreau de Seine-Saint-Denis [->contact@scp-arents-trennec.com]

[1CE, juge des référés, 19 juin 2014, req. n°381061.

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