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Aidant familial : un statut encore fragile ! Par M. Kebir, Avocat et Chloé Rouyer, Juriste Stagiaire.
Parution : mardi 6 juillet 2021
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Le statut d’aidant familial est, au demeurant, flou. Il est admis que la situation de fragilité économique et professionnelle de l’aidant, à laquelle s’ajoute, consubstantiellement, son état d’épuisement physique, mental, émotionnel, met en évidence les lacunes de ce nouveau concept. Cela étant, un meilleur accompagnement financier des aidants est d’autant plus légitime ; aboutissement d’une évolution législative, par ailleurs très attendue.

Louable, la consécration juridique d’un régime propre de l’aidant, catégorie à part entière dans le droit du handicap, doit, pour produire son plein effet, assurer à l’aidant actif - et par ricochet au proche aidé - une juste compensation d’une assistance permanente. Outre une perte de chance tant professionnelle qu’économique. En somme, lui conférer les garanties essentielles en vertu du principe de fraternité et de la solidarité nationale.

La durée de vie des Français connaît un allongement croissant et, partant, la lancinante question de perte d’autonomie se pose avec acuité. Face au vieillissement de la population, voit également le jour un phénomène d’accompagnement durable des personnes dépendantes par leurs proches. Actifs ou sans activité.

Selon des chiffres publiés par le gouvernement en 2020 [1], le nombre d’aidants actifs non-professionnels oscillerait entre 8 et 11 millions de personnes. Ce phénomène, loin d’être marginal, interroge le placement, au sein d’institutions spécialisées, de ces personnes en situation de dépendance.

Dès lors, en cela, au-delà du respect de la volonté des personnes aidées, l’assistance fournie par les aidants familiaux constitue une source d’économie pour l’État.

En filigrane, il est permis de penser que, à la fois, ces trois dimensions sociologique, éthique et économique ont conduit le législateur à se pencher sur le statut juridique de l’aidant familial. Il faudra néanmoins attendre l’adoption de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) du 28 décembre 2015, pour qu’une définition juridique du « proche aidant » soit insérée dans le Code de l’action sociale et des familles.

En vertu de l’article L113-1-3 dudit Code, le proche aidant peut être toute

« personne résidant ou entretenant avec elle [personne aidée] des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ».

Il suit de là que le statut de proche aidant, les tâches inhérentes à l’assistance due à la personne aidée, apparaissent vaguement définis. D’ailleurs, à cet égard, une première difficulté doit être soulevée. La distinction entre les fonctions inhérentes à l’obligation alimentaire, et celles ayant trait au rôle d’aidant sont confusément perçues par le particulier.

Cela dit, il n’en demeure pas moins que le fait, pour un aidant non professionnel, de s’occuper d’un proche en situation de dépendance, peut représenter une charge mentale et financière. Qui plus est, des difficultés de conciliation de ce devoir d’assistance avec une vie personnelle, sociale - et a fortiori professionnelle - fragilisent davantage la vulnérabilité de l’aidant.

A cet égard, peu de solutions s’offraient jusqu’en 2015 aux proches aidants actifs. Lesquels optaient pour une cessation totale de l’activité professionnelle, ou le passage à un travail à temps partiel. Solution majoritairement choisie par les femmes, qui contribue à creuser l’inégalité entre les sexes en termes de taux de travail à temps partiel [2]. Les aspects plus personnels, relatifs au bien-être des aidants ne faisaient l’objet, quant à eux, d’aucun aménagement.

Dans ces conditions, légiférer sur un sujet aux confluents d’intérêts sociaux, économiques et juridiques devenait nécessaire. Dès lors, de quelle manière le nouveau statut protège-t-il les aidants actifs non-professionnels, dans leur assistance à un proche en situation de dépendance ? Quelles sont les limites des mécanismes jusqu’ici mis en place ?

Pour les aidants actifs, une amélioration des conditions de vie sociale et professionnelle ne peut s’envisager qu’à travers l’aménagement des règles de droit. Au premier desquelles celles du droit du travail.

Aidant familial et Code du travail.

Le premier de ces aménagements s’est matérialisé par l’introduction dans le Code du Travail du congé de proche aidant (CPA), remplaçant, à compter de 2016, le congé de solidarité familiale.

En substance, ce congé offre au salarié dont l’un des proches énumérés par l’article L3142-16 du Code du Travail présentent « un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité » la faculté de suspendre temporairement ses activités au sein de l’entreprise. D‘une durée maximale d’un an pour l’ensemble de sa carrière salariale [3], le CPA permet, relativement, de concilier vie professionnelle et vie familiale de l’aidant en lui permettant de récupérer son emploi à l’issue dudit congé [4].

Par ailleurs, les conditions de mise en œuvre du CPA entrent, quant à elles, dans le champ de la négociation collective. Ainsi, c’est de manière supplétive, et à défaut de convention ou d’accord de branche conclu en la matière, que les dispositions du Code du Travail trouvent à s’appliquer [5]. Dans ces circonstances, la durée du CPA ne peut dépasser une période de trois mois, renouvelable dans la limite d’un an.

A cet égard, s’y ajoute une autre option reconnue au salarié aidant : transformer ce congé total en période d’activité à temps partiel ou fractionné [6]. Laquelle requiert néanmoins l’accord préalable de l’employeur.

De la même manière, à défaut d’accord ou convention contraire, le CPA n’est pas rémunéré par l’employeur, ce qui a pour conséquence de fragiliser la situation financière de l’aidant. Pour y remédier, s’offre au salarié la possibilité de demander l’allocation journalière du proche aidant (AJPA), auprès de son organisme débiteur des prestations familiales (CAF) [7].

Cette compensation prend alors la forme d’une allocation journalière ne pouvant être versée au proche aidant pour une durée supérieure à 22 jours, au cours d’un mois civil [8].

Dans le même ordre d’idées, la situation précaire des salariés aidants conduit à la création, en 2018, une nouvelle forme de solidarité au sein de l’entreprise. Un système de don de jours de congés payés d’un salarié à l’autre a ainsi été mis en œuvre, de manière à pouvoir faire bénéficier un salarié démuni, de jours de congés payés supplémentaires [9]. Louable, il n’en demeure pas moins qu’un tel système laisse l’amélioration de la situation financière des aidants entre les mains des propres salariés, sans la transformer en obligation de l’employeur. De ce point de vue, l’engagement solidaire de l’entreprise est fortement attendu en faveur des aidants actifs.

Sur un autre registre, en rapport avec les conditions de travail, intégrer toutes les dimensions attachées au statut de l’aidant familial, par l’entreprise, dans le cadre de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), la qualité de vie au travail (QVT), deux concepts en plein essor, est de nature à offrir à cette catégorie sociale un meilleur accompagnement [10].

Compensation financière en demi-teinte.

Il est admis que l’aménagement consenti aux salariés aidants par la mise en place du CPA constitue une mesure concrète.

Or, force est de constater que ce mécanisme apparaît, à lui-seul, insuffisant pour leur permettre de continuer à apporter une aide, autant adaptée que durable, à leurs proches.

Ainsi, le nouveau « droit au répit », second aménagement législatif en faveur du renforcement effectif des droits des aidants, est perçue comme une compensation légitime d’une dépendance indirecte, du fait de l’assistance plongée apportée au proche.

Introduit par la Loi ASV, ce droit au répit constitue l’une des modalités de concrétisation de l’action publique en faveur des aidants. En somme, il s’agit d’une allocation supplémentaire versée aux proches aidant les personnes bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), une fois le plafond de l’allocation atteint. Laquelle somme supplémentaire permet aux aidants de financer l’accueil de jour de la personne aidée, son hébergement temporaire en établissement ou une aide à domicile [11].

Au fond, ce droit s’érige comme un support financier permettant à l’aidant de se faire ponctuellement remplacer dans sa tâche d’aide à la personne [12]. Néanmoins, force est d’admettre que cette initiative se heurte aux réalités pratiques. Dans la mesure où ce droit suppose une aide vraiment provisoire, exceptionnelle, réservée, par ailleurs, à une part peu signifiante des aidants.

C’est pour ainsi dire qu’une aide durable, ouverte à un nombre conséquent de bénéficiaires serait, à ce titre, préférable.

Un statut aux contours imprécis.

Nouvellement consacré par législation, le statut des aidants familiaux a connu des avancées notables, appelées à être renforcées. Au demeurant, la réalité est que ces derniers se sentent, indirectement, victimes collatérales de la dépendance de leurs proches.

Au niveau européen, la Directive européenne du 20 juin 2019 introduit dans cette perspective un « congé aidant », en application duquel l’aidant actif a droit à « cinq jours ouvrables de congé » par an [13]. Elle propose également aux États membres d’assouplir les formules de travail des aidants, de manière à leur permettre de s’occuper de la personne aidée [14].

A cet égard, certains États membres ont, en outre, pris le parti d’aller plus loin dans la reconnaissance du statut et du droit des aidants familiaux y afférents. La Belgique reconnaît ainsi le statut « d’aidant proche » depuis septembre 2020 [15], et adopte une conception extensive de la notion de personne aidée. Ce statut prévoit la possibilité pour l’aidant de prendre, entre autres, un congé rémunéré, dont les conditions d’obtention ont vocation à être élargies, facilitées.

En définitive, depuis 2005, en France, les réformes ne sont plus centrées uniquement sur les personnes âgées, accordant désormais aux proches aidants un statut - au demeurant fragile.

De nouvelles mesures en leur faveur sont à la fois légitimes et compensatrices d’une assistance, souvent lourde et pesante.

M. KEBIR Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Chloé ROUYER, Juriste stagiaire. CABINET KEBIR AVOCAT www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1« Le congé proche aidant est devenu une réalité », gouvernement.fr, 6 octobre 2020 : https://www.gouvernement.fr/le-conge-proche-aidant-est-devenu-une-realite

[2A. Meyer-Heine, J-C. Escarras, « Aidants familiaux et personnes âgées dépendantes en Europe : vers une promotion de l’égalité hommes-femmes », Revue de l’Union européenne, 2019, p. 507.

[3Article L3142-19 du Code du travail.

[4Article L3142-22 du Code du travail.

[5Article L3142-27 du Code du travail.

[6Article L3142-19 du Code du travail.

[7Article D168-10 du Code de la sécurité sociale.

[8Article D168-11 du Code de la sécurité sociale.

[9Article L3142-25-1 du Code du travail, issu de la loi n°2018-84 du 13 février 2018.

[10A-L. Fabas-Serlooten, « Aider les aidants : quand la relation privée devient affaire publique », AJ Famille 2019, p. 453.

[11F. Kessler, « Le risque de perte d’autonomie : quelle place pour les aidants ? », RDSS 2021, p.45.

[12Volet 3, §2.1 de la loi AVS du 28 décembre 2015.

[13Article 6 de la directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil.

[14Article 9 Ibid.

[15Arrêté royal du 16 juin 2020 portant exécution de la loi du 12 mai 2014 relative à la reconnaissance de l’aidant proche et l’octroi de droits sociaux à l’aidant proche.