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En matière de CBD, qui décide ? La France ou l’Europe ? Par Cécile Jabaly et Georges Sauveur, Avocats.
Parution : mardi 6 juillet 2021
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Alors que la législation française prohibe expressément le CBD produit à partir des sommités florales de la plante cannabis sativa L., la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 juin 2021, vient de faire primer la jurisprudence européenne "Kanavape" dans l’ordre interne.

En se fondant expressément sur l’arrêt de la CJUE dit « Kanavape » [1], la Chambre criminelle de la Cour cassation vient de casser un arrêt de Cour d’appel ayant condamné le gérant d’une société spécialisée dans la commercialisation du CBD, pour infraction à la législation sur les stupéfiants [2].

Dans cette affaire, un contrôle de police avait eu lieu au sein d’un commerce de l’enseigne Foxseeds, pour travail dissimulé.

Au cours de ce contrôle, les policiers ont découvert, entreposés dans un réfrigérateur, divers produits retirés de la vente contenant du cannabis. Après analyse des produits saisis, l’enquête a établi qu’ils étaient constitués de sommités fleuries de cannabis contenant du THC à l’état de traces. Il s’agissait donc de CBD.

Que dit la législation française ?

L’article R5132-86 du Code de la santé publique prohibe la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’emploi du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux obtenus à partir des éléments précités, ainsi que des tétrahydrocannabinols.

L’article 1er de l’arrêté du 22 août 1990 autorise, quant à lui, la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des variétés de cannabis sativa L. (nom latin pour désigner la plante de chanvre à partir de laquelle est extrait le CBD) à condition que :
- Seules les fibres et les graines soient utilisées (et non pas les fleurs de la plante) ;
- La teneur en delta-9-THC ne soit pas supérieure à 0,20 %.

En l’espèce, si le THC était bien présent à l’état de traces, les produits saisis méconnaissaient la législation française en ce que des sommités florales de cannabis sativa L. avaient été retrouvées.

Le 22 juin 2020, la Cour d’appel de Grenoble a ainsi fait exacte application de la loi française en condamnant le mis en cause pour complicité d’infraction à la législation sur les stupéfiants à deux mois d’emprisonnement avec sursis.

Le requérant s’est alors pourvu en cassation.

Or, entre l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble et celui de la chambre criminelle, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a tranché.

Le 19 novembre dernier, elle a, à la suite d’une question préjudicielle, refusé l’application de la législation française en considérant qu’elle méconnaissait les règles de la libre circulation du marché commun.

En effet, l’article 34 du TFUE met en place la libre circulation des marchandises entre Etats membres de l’Union européenne et interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes les mesures d’effet équivalent. Ces dernières correspondent à toutes les mesures susceptibles d’entraver directement ou indirectement la liberté de circulation des marchandises.

Néanmoins, la CJUE a reconnu que de telles mesures pouvaient être admises pour des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 du TFUE sous réserve que la disposition nationale soit nécessaire et proportionnée au but poursuivi. L’article 36 prévoit notamment la protection de la santé publique, intérêt dont se prévalaient les autorités françaises.

Or, dans l’arrêt Kanavape la CJUE a considéré que le gouvernement français ne démontrait pas que l’interdiction de commercialiser des produits issus de l’entière plante de chanvre était nécessaire pour parvenir à la protection de la santé publique.

Elle en a donc déduit que l’interdiction de commercialiser du CBD légalement produit dans un autre Etat membre constituait une « mesure d’effet équivalent », et que la législation française en matière de CBD contrevenait au principe de libre circulation des marchandises.

Le 23 juin 2021, la chambre criminelle, en visant les articles 34 et 36 du TFUE et en se référant expressément à l’arrêt « Kanavape », a jugé que la législation française interdisant la commercialisation du CBD, y compris lorsque celui-ci a été légalement produit dans un autre Etat-Membre, était contraire à la réglementation de l’union européenne.

Elle en a déduit que la Cour d’appel, en ne recherchant pas si les substances avaient été légalement produites dans un autre Etat membre de l’Union européenne, n’avait pas justifié sa décision et a cassé l’arrêt attaqué.

Cécile Jabaly Avocate à la Cour, et Georges Sauveur, Avocat Associé - Membre du Conseil de l’Ordre de Paris, chargé d’enseignement au sein de l’école de formation du barreau (EFB) et ancien secrétaire de la Conférence. Barreau de Paris Cabinet Blackbird

[1CJUE,19 novembre 2020 aff. C-663/18, B.S, C.A.

[2Crim 23 juin 2021, n°20-84.212.