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Le pharmacien, la presse locale et la Chambre de discipline du CNOP. Par Laura Baroukh, Avocat.
Parution : vendredi 9 juillet 2021
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La Chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des Pharmaciens (CNOP) demeure attentive au respect des principes cardinaux de la procédure répressive. Sans être expressément nommés, les principes mobilisés dans la décision commentée n’échappent pas à l’analyse et méritent d’être soulignés. Sur le fond, l’appréhension de la notion de publicité via la parution d’un article dans la presse locale doit elle aussi retenir l’attention.

La décision est d’abord annulée en raison de l’atteinte portée au principe du contradictoire (I), puis la plainte est rejetée à l’encontre de l’un des deux pharmaciens sur le fondement du principe de responsabilité pénale personnelle (II). C’est enfin une appréciation renouvelée de la pratique de la publicité par les pharmaciens qui est mise en avant, même si une approche plus ambitieuse aurait encore davantage emporté l’adhésion (III).

I. L’annulation de la décision d’une Chambre de discipline régionale en raison de la violation du principe du contradictoire.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme juge depuis longtemps, et notamment par un arrêt du 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays Bas [1], que la procédure disciplinaire, du fait des enjeux qu’elle renferme et particulièrement l’incidence qu’elle peut avoir sur « le droit de continuer une profession [2] », entre dans le champ d’application de l’article 6§1 de la Convention.

Il ressort en effet de l’échelle des peines prévue par l’article L4234-6 du Code de la santé publique que les chambres de discipline peuvent légalement décider de prononcer une sanction d’interdiction définitive d’exercer la pharmacie. L’appel est alors suspensif mais le dernier alinéa du même texte prévoit explicitement que les décisions prononcées par les chambres de discipline « non frappées d’appel dans les délais légaux, ont force exécutoire ».

Inutile de rappeler ici l’incidence que peuvent revêtir certains contentieux disciplinaires dans la trajectoire professionnelle des personnes concernées, laquelle impose une rigueur totale du début à la fin de la procédure, de sorte qu’aucun moyen, ni aucune voie de droit ne soient sous-estimés.

Dans le sillon de la Cour Européenne, le Conseil d’Etat confirmait, dans une décision du 26 juillet 1996 rendue dans le cadre d’une procédure disciplinaire intéressant la profession de chirurgien-dentiste, qu’aucune sanction ne saurait être valablement prise sans que les garanties du procès équitable n’aient été respectées. Le Conseil d’État considère ainsi que le droit d’exercer sa profession, auquel la sanction prononcée par une instance disciplinaire est susceptible de porter atteinte, constitue un « droit de caractère civil » au sens des stipulations de l’article 6§1 de la CEDH. Partant, et compte-tenu de l’étendue du pouvoir de sanction des instances disciplinaires, les stipulations de l’article 6§1 CEDH s’appliquent à la procédure suivie devant elles.

Parmi celles-ci, le principe du contradictoire impose que soit écarté tout élément de fait ou de droit qui n’aurait pas été préalablement porté à la connaissance de toutes les parties, soit initialement dans le cadre de la plainte, soit ultérieurement dans le cadre des échanges d’écritures ou de pièces entre les parties.

Dans le cadre d’une procédure écrite, le respect de ce principe renvoie donc à une notion de traçabilité.

Est dès lors insuffisant le seul fait de donner aux Parties la possibilité de s’expliquer sur un grief le jour de l’audience, sans que ce grief n’ait été présenté dans le cadre d’écritures échangées avant la clôture de la phase d’instruction de l’affaire. Le débat à l’audience n’a donc de prise sur la décision qui en résultera qu’à la condition que les éléments débattus aient été préalablement échangés par écrit entre les Parties et la juridiction.

Si ces règles paraissent évidentes, leur rappel n’est cependant pas inutile puisque c’est en raison de l’atteinte portée au principe du contradictoire que la Chambre de discipline du CNOM est très récemment venue annuler la décision d’une Chambre régionale.

En réalité, l’évidence théorique d’un tel principe se trouve confrontée à une particularité de la procédure disciplinaire, selon laquelle ni la saisine, ni l’office de la juridiction ne sont limités par la plainte. Ainsi, et comme le rappelle la Chambre de discipline nationale, une fois saisie, la juridiction disciplinaire peut

« légalement connaitre de l’ensemble du comportement professionnel de l’intéressé, sans se limiter aux faits dénoncés dans la plainte, ni aux griefs articulés par le plaignant ».

Dans la décision d’espèce, c’est ce qu’a fait la juridiction régionale, en indiquant, pour justifier la sévère sanction d’interdiction d’exercice de la pharmacie de trente jours, dont quinze jours avec sursis prononcée à l’encontre des deux pharmaciens, qu’existait un autre article de journal de la presse locale faisant état du transfert de l’officine.

S’il était tout à fait loisible à la juridiction disciplinaire de se saisir d’un autre article de presse intéressant le comportement professionnel des deux pharmaciens, cette saisine ne pouvait se faire, dans le respect du principe du contradictoire, qu’à la condition que cet élément nouveau, non dénoncé dans la plainte initiale, ait été valablement communiqué aux défendeurs, avant la clôture de l’instruction, de façon à leur permettre de présenter utilement leur défense.

La Chambre nationale jugeait ainsi qu’

« il résulte de l’instruction que cet article n’a pas été versé au dossier de première instance, cet élément étant ressorti des débats à l’audience, et il n’est pas contesté que les pharmaciens poursuivis n’ont pas été mis à même de présenter utilement leur défense ».

En l’absence d’élément rendant compte de cette communication, la décision de la Chambre de discipline régionale se trouvait entachée d’irrégularité et devait donc être annulée.

II. Au fond, le rejet de la plainte pour violation du principe de responsabilité du fait personnel.

Amenée à évoquer l’affaire sur le fond, la Chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des pharmaciens se trouvait confrontée à la question de savoir si un pharmacien titulaire d’officine pouvait être sanctionné en raison de la publication, dans la presse locale, d’un article relatif au transfert de son officine, étant précisé que seul son associé avait répondu aux questions du journaliste et figurait sur la photo illustrant l’article.

En d’autres termes, un pharmacien pouvait-il être sanctionné sur le fondement de l’interdiction de publicité alors qu’il n’était pas démontré qu’il avait apporté son concours actif à la publication litigieuse ?

En l’espèce en effet, seul un des deux pharmaciens associés de l’officine avait répondu aux questions du journaliste, ce qui, prosaïquement, se manifestait par le fait que (i) les propos de cette seule personne étaient repris entre guillemets dans l’article, (ii) cette personne apparaissait seule sur la photo illustrant l’article.

Du point de vue des principes essentiels du droit répressif, cette question nous semble renvoyer au principe de responsabilité pénale personnelle, rappelé par l’article 121-1 du Code pénal selon lequel « nul n’est pénalement responsable que de son propre fait ».

Dans un avis du 29 octobre 2007, le Conseil d’Etat reconnaissait expressément son application aux « sanctions administratives et disciplinaires ».

Selon les conclusions du Commissaire du Gouvernement Emmanuelle Prada Bordenave, prises dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision de la Haute juridiction administrative, ce principe signifie qu’

« une personne ne peut voir sa responsabilité pénale engagée si elle n’a pas elle-même participé à la perpétration de l’infraction. Il exclut toute responsabilité collective qui permettrait de punir tous les membres d’un groupe à raison de l’infraction commise par un seul d’entre eux et toute responsabilité pénale du fait d’autrui ».

Il nous semble que la notion de « concours actif » dégagée par la jurisprudence disciplinaire dans le cadre d’affaires relatives à la participation de pharmaciens à des opérations de communication ou article journalistique, est tout droit issue de ce principe de valeur constitutionnelle.

Dans une décision du 16 mars 2011, la Chambre de discipline nationale différenciait ainsi « les modalités publicitaires auxquelles ils [les pharmaciens] peuvent avoir recours de leur propre chef » des « opérations de communication et les articles journalistiques auxquels ils prêtent leur concours actif », en précisant que pour ces derniers, les pharmaciens sont tenus de veiller à ce qu’ils « ne revêtent pas le caractère d’une publicité illicite en faveur de leur officine ».

Il en ressort qu’avant d’analyser si la publication revêt le caractère d’une publicité illicite, le préalable indispensable est bien de s’assurer que le pharmacien y a apporté son concours actif, sans quoi, en vertu du principe précité de responsabilité pénale personnelle, aucune sanction ne pourrait de toute façon être valablement prise à son encontre.

C’est ainsi qu’en l’espèce, la Chambre de discipline du CNOP a d’abord statué « sur la responsabilité des deux pharmaciens » avant d’aborder « les griefs tirés de la publicité ».

Sur le premier grief, ayant retenu que l’un des deux associés « n’était pas présent dans l’officine lors de la venue inopinée du journaliste dont il n’a pas été informé » ce dernier, qui n’avait donc pas pu répondre aux questions et donc prêter son concours actif à cette sollicitation journalistique, la Chambre nationale a jugé que celui-ci ne pouvait être regardé comme « responsable du contenu de l’article litigieux ».

Sur le second grief, la Chambre nationale s’est penchée, comme elle y était d’ailleurs invitée par l’intimé, sur le contenu de l’article litigieux. Ce faisant, la Chambre nationale dédit le raisonnement de la juridiction régionale de première instance en rappelant implicitement que la parution d’un article de presse concernant un transfert d’officine auquel l’un des titulaires a incontestablement porté son concours actif n’est pas en soi illégale. Encore faut-il démontrer que le contenu de cet article revêt le caractère d’une publicité.

Dans la décision commentée, la juridiction va faire l’effort d’une appréciation concrète, nécessitant de distinguer selon la nature des données fournies par le texte, entre celles qui selon la Chambre nationale relèvent de la publicité (telles que l’agrandissement de la superficie de la nouvelle officine ou de la gamme de parapharmacie) et celles qui, « énoncées avec tact et mesure », sont autorisées en raison de leur dimension informative pour le public (transfert en tant que tel pour lequel la publicité est autorisée en vertu de l’article R5126-26 du Code de la santé publique, accessibilité de l’officine aux personnes à mobilité réduite, accès par l’extérieur pour les gardes, composition de l’équipe officinale notamment).

Sur la base de cette analyse détaillée du contenu de l’article litigieux, la Chambre nationale a pu censurer la décision de la Chambre régionale ayant prononcé à l’encontre du pharmacien ayant prêté son concours actif au journaliste la sanction d’interdiction d’exercer la pharmacie, pour prononcer la sanction de l’avertissement.

Si cette nouvelle décision fut évidemment bien accueillie par le pharmacien concerné, il n’en demeure pas moins que la Chambre de discipline aurait pu œuvrer pour une approche plus ambitieuse encore, fondée sur les évolutions portées par le droit de l’Union européenne d’une part, et par le Conseil d’État d’autre part.

III. Le traitement journalistique d’un transfert d’officine, le délicat équilibre entre information et publicité prohibée.

La Cour de Justice de l’Union Européenne tout d’abord, avait considéré, dans un arrêt 4 mai 2017, qu’une législation nationale ne pouvait interdire de façon générale et absolue tout recours à la publicité pour les professionnels médicaux. Pour mener à bien son raisonnement, la Cour de Justice a nécessairement admis que le fait de les autoriser à recourir à des procédés publicitaires était compatible avec les objectifs de protection de la santé publique et de sauvegarde de la dignité́ des professions de santé qui sous-tendent ces restrictions.

Or la reconnaissance de cette compatibilité au regard des objectifs précités aurait pu inciter la Chambre de discipline nationale, dans la décision commentée, à ne plus avoir recours à une appréciation aussi stricte des limitations posées aux modalités de recours à la publicité pour les pharmaciens lesquelles, in fine, ne constituent rien d’autre que des mesures restrictives de concurrence.

En début d’année 2017 pour cette raison, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens avait élaboré un projet de décret portant Code de déontologie des pharmaciens et modifiant le Code de la santé publique.

Dans ce projet était notamment prévu d’autoriser le pharmacien à communiquer / faire de la publicité sur son officine et sur ses produits ne relevant pas du monopole du pharmacien (parapharmacie, compléments alimentaires et dispositifs médicaux), sur tous supports, alors que les dispositions actuelles ne permettent que de communiquer dans la presse écrite, et uniquement ses coordonnées et ses activités selon une nomenclature déterminée.

Ce projet était soumis à l’Autorité de la Concurrence, laquelle rendait le 16 juin 2017 un avis [3] défavorable en raison de la persistance, dans ce projet de décret « de restrictions injustifiées à l’exercice de la profession de pharmacien ». L’Autorité de la Concurrence énonçait ainsi clairement, suivant la même logique de raisonnement que la Cour de Justice, que

« Ces dispositions ne sont pas fondées sur des impératifs de santé publique et constituent dès lors des entraves disproportionnées aux principes de libre concurrence, de liberté d’établissement et de libre exercice de la profession de pharmacien ».

Le Conseil d’État, a développé une approche complémentaire à celle tenant à la libre-concurrence, selon laquelle cette nécessité d’assouplissement des restrictions portées à la publicité des professionnels de santé trouvait également une justification dans le besoin croissant de transparence et d’information du public.

Dans une étude adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018 [4], intitulée « Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité », le Conseil d’Etat indiquait notamment qu’

« Afin de répondre aux attentes légitimes de la population, il est souhaitable que les professionnels de santé puissent diffuser publiquement des informations supplémentaires sur leurs compétences et pratiques professionnelles ».

Dans ces conditions, alors qu’il apparait que la publicité n’est plus, en tant que telle, incompatible avec les objectifs de santé publique si tant est qu’elle est réalisée avec tact et mesure par le professionnel de santé, il nous semble que les contentieux fondés sur des griefs tirés de la publicité illicite devraient être de moins en moins nombreux d’une part, et, d’autre part, faire l’objet d’analyses détaillées de la part des instances disciplinaires afin que ne soit plus sanctionné le principe de la publicité mais bien l’abus dans ses modalités d’exercice.

Laura Baroukh Avocat au Barreau de Paris [->contact@baroukh-avocat.fr]

[1https://hudoc.echr.coe.int/fre# "itemid " :"001-62037".

[2https://hudoc.echr.coe.int/fre# "itemid" :"001-62080".