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L’inégalité d’armes entre l’accusation et la défense selon Alexandre Plantevin, avocat et ex-magistrat.
Parution : mardi 24 août 2021
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La rédaction du Village de la Justice partage avec vous l’interview d’Alexandre Plantevin, avocat au Barreau de Lyon et ancien magistrat. Ce dernier après avoir occupé pendant douze ans la fonction de magistrat du parquet, a choisi en 2013 de devenir avocat afin d’avoir comme il le précise "une relation plus personnelle, moins « institutionnelle » avec celles et ceux qui sont confrontés à la Justice".
Cette interview est l’occasion pour lui de revenir sur l’expérience acquise en tant que magistrat et mise au service de ses nouvelles fonctions. Elle lui permet également d’expliquer pourquoi selon lui "il existe une réelle inégalité d’armes entre l’accusation et la défense".

Entretien initialement paru dans le numéro 6 d’Actus des Barreaux, notre magazine dédié aux avocats en régions.

Alain Baudin : Qu’est-ce qui vous a incité à devenir avocat ?

Alexandre Plantevin : « La profession m’a toujours intéressé. Après la fac, j’avais à la fois passé l’examen du CFPA et le concours de l’ENM par attrait pour les professions judiciaires et je m’y suis orienté. Depuis longtemps, l’idée de devenir avocat m’habitait et début 2013, j’ai choisi de demander ma mise en disponibilité pour devenir avocat. Comme toujours lors de décisions importantes dans un parcours de vie professionnelle, de multiples facteurs sont intervenus. Après douze ans de parquet, j’avais envie de passer de l’autre côté de la Barre et sans doute les avocats que j’ai eu la chance de côtoyer, et parfois d’affronter, ont joué un rôle important dans cette décision. Il y avait aussi ce besoin d’avoir une relation plus personnelle, moins « institutionnelle » avec celles et ceux qui sont confrontés à la Justice, qu’ils soient prévenus ou victimes. Un déménagement familial à Lyon fin 2012 m’a convaincu que c’était le bon moment pour engager ce changement professionnel puisque j’évitais ainsi les incompatibilités qui pendant 5 ans m’auraient empêché d’exercer à Paris. »

En quoi votre expérience de magistrat a-t-elle influé ou influe-t-elle encore sur votre métier d’avocat ?

"Mon expérience de magistrat me permet d’anticiper."

« Cette influence est diffuse mais réelle. Mon expérience de magistrat m’offre un regard croisé sur la pratique professionnelle. Dans un dossier quel qu’il soit, je sais à peu près ce que j’aurais requis ou ce que j’aurais diligenté en termes d’actes d’enquête. Cela me permet encore d’anticiper, mais avec beaucoup de précaution car personne n’a la science infuse et les pratiques des magistrats évoluent bien sûr au fil du temps. »

Vous dites vouloir vous battre aujourd’hui pour une défense dotée des mêmes moyens que l’accusation, pour quelles raisons ?

« Le contraste est saisissant et l’inégalité des armes est omniprésente. Elle l’est déjà au stade de l’enquête, c’est à dire au stade initial de la procédure pénale lorsqu’une enquête est diligentée soit en préliminaire, soit en flagrance. On voit bien, notamment par le projet de réforme actuel, que la place de l’avocat a été longtemps quasi inexistante. Quelques lois, en 2014 et 2017, l’ont un peu plus élargie dans l’enquête mais cette place est encore résiduelle, souvent restreinte à l’assistance en garde à vue ou en audition libre. »

Selon vous, le déséquilibre persiste ?

« Oui. Il est réel entre deux parties qui, en tout cas à l’audience, devraient être sur un pied d’égalité. Le déséquilibre existe aussi une fois l’enquête clôturée parce que le magistrat du parquet qui l’a suivie, qui a échangé avec les enquêteurs, qui a eu connaissance du dossier depuis sa constitution est le même magistrat qui, à un moment donné, va décider ou non de poursuivre. Et l’on sait à quel point cette décision est importante, puisqu’une fois saisis, les tribunaux correctionnels condamnent bien plus qu’ils ne relaxent. Les jugements correctionnels en France, c’est en 2018 un peu plus de 6 % de relaxe seulement. C’est dire à quel point l’avocat doit user de toutes les armes que la loi lui offre en amont de cette prise de décision pour éviter l’audience. Demander la communication du dossier, formuler des observations, demander des actes complémentaires, aller parfois discuter, voire négocier avec le parquet permettent parfois de faire bouger les lignes et de limiter le risque pénal. »

Que préconisez-vous ?

« Si l’avocat ne parvient pas à forcer les digues qui l’empêchent d’intervenir en amont, cette inégalité des armes entraînera un déséquilibre majeur à l’audience. Ma conviction est que le bon pénaliste est celui qui sait anticiper, conseiller, prévenir et éviter à tout prix l’audience. S’il ne le peut pas en raison d’une décision déjà prise ou d’un dossier constitué d’éléments laissant présager des poursuites, un travail préalable pour anticiper les risques pénaux liés l’audience et le cas échéant à une condamnation se révèle d’autant plus nécessaire. »

Êtes-vous favorable à une durée limitée des enquêtes préliminaires ?

"La présence de l’avocat lors des opérations de perquisitions serait une véritable avancée (...)"

« Le projet de loi en cours a le mérite de poser la question. Ces enquêtes préliminaires peuvent prendre des années sans que personne n’y trouve rien à redire, sauf le parquetier qui va lui-même considérer qu’il est temps de clôturer sans qu’aucune obligation légale ne le lui impose. L’instauration prévue de délais butoirs me paraît une bonne chose. Les enquêtes doivent
à un moment prendre fin pour que la personne gardée à vue ou entendue en audition libre puisse avoir accès au dossier, savoir précisément ce qu’on lui reproche et formuler, le cas échéant toutes les observations utiles. De même, la présence de l’avocat lors des opérations de perquisitions serait une véritable avancée tant on sait à quel point la perquisition est un acte d’enquête intrusif, violent pour ceux qui la subissent et au cours duquel bien des choses se jouent. »

Quelle serait votre vision personnelle de la défense pénale ?

« En matière pénale, les visions personnelles sont nécessairement bâties sur des réalités et des règles de droit. Il ne s’agit donc pas de contourner la règle du droit mais de faire avec et de pousser parfois un peu les lignes. Ma vision est celle de l’anticipation du risque pénal, notamment à l’égard des chefs d’entreprises, des cadres dirigeants et de tous ceux qui, d’un jour à l’autre, sont ou vont être confrontés à une procédure pénale qui, par nature, est violente. Il suffit d’avoir connu un jour une garde à vue pour savoir à quel point, on en ressort déstabilisé. L’audience est elle aussi, bien souvent, un moment de grandes tensions ou ce que vous dites et faites est scruté et revêt une importance particulière dans la prise de décision des juges. Tout cela s’anticipe. Mais, bien sûr, la prévention du risque pénal ne relève pas de la solution miracle. Il s’agit simplement d’essayer, dans le cadre de la loi et avec les outils à disposition de la Défense, de prévenir ce risque, de l’anticiper et, lorsque rien d’autres n’est possible, d’en limiter les effets. »

Qu’est ce qui a motivé la création de votre cabinet en 2020 ?

« Il y avait une forme de cohérence et de continuité dans mon parcours, à aller au bout de l’exercice libéral en développant mon propre cabinet pour promouvoir ma vision de la défense pénale. Depuis le 1er septembre, j’exerce à titre individuel avec un collaborateur à mes côtés. »

Retrouvez l’interview d’Alexandre Plantevin dans son intégralité dans le numéro 6 d’Actus des Barreaux.

Interview d'Alexandre Plantevin par Alain Baudin pour la revue Actus des Barreaux.
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