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Le délit d’abandon de famille. Par Sarah Saldmann, Avocat.
Parution : mardi 13 juillet 2021
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Le délit d’abandon famille est le fait de ne pas honorer une obligation familiale prévue par une décision pendant une durée d’au moins deux mois. Il peut s’agir, par exemple, du non-paiement de la pension alimentaire ou de la prestation compensatoire.

1 - Les conditions.

Le délit d’abandon de famille suppose la réunion de plusieurs conditions pour être constitué. Il faut une décision (1) prévoyant explicitement une obligation familiale (2), qu’il y ait un défaut de paiement (3) et que cette absence de paiement soit intentionnelle (4).

- Une décision.

Pour que le délit d’abandon de famille soit caractérisé, il faut qu’il y ait une obligation alimentaire prévue par une décision [1].

La décision prévoyant l’obligation alimentaire peut être un jugement, une convention judiciaire homologuée, une convention de divorce ou de séparation de corps, un acte reçu en la forme authentique par un notaire ou encore une convention à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire (pour les ex-concubins ou partenaires de PACS [2].) [3].

Précisons que la décision doit être définitive (la procédure ne doit pas être en appel) et exécutoire [4]. Il faut donc que la personne débitrice de l’obligation en ait connaissance, cela implique généralement une signification par voie d’huissier.

- Une obligation familiale.

La décision doit prévoir explicitement une obligation familiale. Il peut s’agir du paiement d’une pension alimentaire. Celle-ci peut être destinée à un enfant (mineur ou majeur) mais aussi à un ascendant ou à un conjoint. Le plus souvent, il s’agit d’une somme d’argent versé à parent par l’autre parent pour la contribution à l’entretien et à l’éducation d’un ou plusieurs enfants mineurs.

Enfin, l’obligation familiale recouvre aussi toute prestation ou contribution familiale. Cela peut englober notamment le paiement d’une prestation compensatoire ou d’un devoir de secours dans le cadre d’un divorce.

Quelle que soit la forme de la décision de justice (convention homologuée, convention de divorce amiable, jugement etc.), le montant de l’obligation alimentaire ainsi que les modalités de paiement sont mentionnés.

- Un défaut de paiement.

Le défaut de paiement est caractérisé lorsque l’obligation alimentaire n’a pas été honorée intégralement pendant un délai d’au moins deux mois. Ainsi, en cas de paiement partiel, le délit d’abandon de famille peut tout de même être caractérisé.

Précisons que le paiement doit être fait directement au bénéficiaire et non à un tiers. En ce sens, il a été jugé que le délit d’abandon de famille était caractérisé lorsqu’un père versait la pension alimentaire à l’un de ses enfants au lieu de la verser à leur mère [5] :

« Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d’abandon de famille, l’arrêt attaqué retient que le versement direct de sommes d’argent à son fils Arnaud ne saurait le décharger de son obligation de verser la pension entre les mains de la créancière ; que les juges ajoutent que cette abstention réitérée dans le versement régulier d’août 2001 à juin 2002, entre les mains de Brigitte Y..., de la pension fixée pour Arnaud alors qu’il avait pleinement conscience des besoins de ce dernier qui poursuivait ses études, procède de la volonté de ne pas régler la contribution ainsi mise à sa charge ».

Si le débiteur ne s’acquitte pas de sa dette pendant ces deux mois puis l’honore ultérieurement, cela n’empêche pas la qualification de délit d’abandon de famille [6].Dès lors, à partir du moment où u paiement fait défaut pendant deux mois, une action est possible.

En pratique, le paiement peut avoir lieu par virement bancaire ou par chèque (les espèces ne sont absolument pas recommandés puisqu’il n’y aura, a priori, aucune preuve possible de paiement). Pour prouver l’absence de paiement, il suffira simplement de prouver l’absence de crédit sur le compte bancaire du débiteur.

- Une absence de paiement délibérée.

Le non-paiement de l’obligation alimentaire doit être volontaire. Il faut que le débiteur ait connaissance de son obligation mais refuse de s’en acquitter.

En revanche, si la personne débitrice ne s’acquitte pas du paiement intégral en raison d’une impossibilité matérielle, cette condition n’est bien entendu pas remplie. Toutefois, l’impossibilité matérielle est souvent appréciée assez strictement par les juridictions. En général, on peut considérer qu’un cas de force majeure peut être retenu comme justificatif mais que le paiement doit être honoré une fois l’incident terminé.

Toutefois, l’impossibilité matérielle est souvent appréciée assez strictement par les juridictions.

Précisons enfin qu’il a été jugé que le paiement d’une pension alimentaire était prioritaire sur toutes les autres dépenses [7] :

« Attendu qu’en cet état, si c’est à tort que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve de l’insolvabilité du prévenu, sa décision n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des pièces de procédure que M. Z... percevait des revenus mensuels d’un montant total de 8 632 euros au cours de la période visée par la prévention et qu’il s’en déduit qu’il pouvait faire face à l’ensemble de ses obligations alimentaires, en affectant, de manière prioritaire, ses ressources au paiement des pensions alimentaires mises à sa charge, plutôt qu’au remboursement d’emprunts destinés à financer des investissements immobiliers ».

2 - Les recours.

S’agissant d’une infraction pénale, il faut saisir le tribunal correctionnel du lieu de l’infraction, de la résidence du prévenu (ou celui du lieu d’arrestation ou de détention de ce dernier) ou encore du domicile/résidence de la personne qui doit recevoir la pension, la contribution, les subsides ou l’une des autres prestations [8].

Peuvent engager des poursuites concernant le délit d’abandon de famille :
- Le ministère public ;
- La victime (le bénéficiaire) ;
- Une association reconnue d’utilité publique.

En général, c’est souvent le débiteur (victime) qui intente une action pénale pour recouvrer la somme due.

Si les conditions précitées sont remplies, la personne victime du défaut de paiement peut porter plainte auprès d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie. Il est nécessaire d’apporter les éléments probatoires (SMS, relevés bancaires par exemple, mails de relance etc.)

La plainte peut également être adressée directement au procureur de la République.

Pour plus de rapidité, il est possible d’opter pour une citation directe. Précisons que dans cette configuration, le Tribunal demande le versement d’une certaine somme en guise de consignation, dans le but d’éviter les procédures abusives ou dilatoires.

Compte tenu de la technicité des procédures, il est recommandé de se tourner vers un avocat pénaliste.

3- Les sanctions.

L’auteur d’un délit d’abandon de famille encourt deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende [9] :

« Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou l’un des titres mentionnés aux 2° à 5° du I de l’article 373-2-2 du code civil lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Les infractions prévues par le premier alinéa du présent article sont assimilées à des abandons de famille pour l’application du 3° de l’article 373 du code civil.
 »

Si le débiteur d’une obligation familiale ne prévient pas le bénéficiaire qu’il change de domicile dans un délai d’un mois, la peine est de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende [10].

Ces sanctions peuvent être assorties de peines dites complémentaires. Il peut s’agir, par exemple, « d’interdiction, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs » [11] : En effet :

« Les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités définies à l’article 131-26 ;
2° La suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle ;
3° L’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant cinq ans au plus ;
4° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, de quitter le territoire de la République ;
5° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ;
6° L’interdiction, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
7° (Abrogé) ;
8° Pour les crimes prévus par les articles 227-2 et 227-16, l’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d’exercice peuvent être prononcées cumulativement. 
 »

Sarah SALDMANN Avocat au Barreau de Paris [->s.saldmann@saldmann-associes.com] https://sarah-saldmann-avocats.com

[1Cass, crim., 14 février 1984, n°82-91.119.

[2Article 582-2 du Code de la sécurité sociale.

[3Article 373-2-2 du Code civil.

[4Cass, crim., 14 février 1984, n°82-91.119.

[5Cass, crim., 26 octobre 2005, pourvoi n° 05-81.053.

[6Cass, crim., 23 mars 1981, n° 74-94.340.

[7Cass, crim., 20 juin 2018, n°17-86.732.

[8Article 382 du Code de procédure pénale.

[9Article 227-3 du Code pénal.

[10Article 227-4 du Code pénal.

[11Article 227-29 du Code pénal.