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La Haute Autorité de Santé, acteur médiatisé de la soft law : interview de Christine Vincent, Secrétaire générale.
Parution : mardi 21 décembre 2021
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Les Autorités Administratives Indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API) sont quotidiennement évoquées dans les médias. Dernièrement, crise sanitaire oblige, la Haute Autorité de Santé (une de nos 8 API) a particulièrement été mis sous les feux de la rampe.
Identifiées comme des pouvoirs publics par les citoyens, ces autorités ne pâtissent cependant pas des critiques que ces derniers adressent souvent à l’Administration et aux juridictions. Si leurs décisions n’ont, la plupart du temps, pas de force contraignante, leurs prises de position font néanmoins autorité et les avis qu’elles émettent comptent bien parmi la « matière juridique » dans laquelle les juristes puisent au quotidien.
Le Village de la Justice donne ici la parole à Christine Vincent, Secrétaire générale de la Haute Autorité de Santé, qui décrypte les rouages et le rôle de cette API.

Village de la Justice : API pour Autorité Publique Indépendante, quel sens placez-vous derrière chacun de ces mots ?

Christine Vincent : "Pour la HAS, il faut entendre "Autorité scientifique" avant tout. La HAS fait autorité dans son champ de compétence, d’une part parce que le législateur lui a conféré cette autorité, d’autre part parce que la rigueur scientifique, l’indépendance et l’impartialité ainsi que la qualité méthodologique avec lesquels elle rend ses décisions et avis lui confèrent un positionnement spécifique.

"Pour la HAS, il faut entendre "Autorité scientifique" avant tout."

La HAS est une autorité publique, elle a la personnalité juridique, elle est responsable de ses actions, mais son action est évidemment soumise au contrôle du juge administratif. A l’égard du public, la HAS a par ailleurs une obligation générale de transparence sur ses travaux et les conditions dans lesquelles ils sont menés à bien.

Enfin, la HAS est une autorité publique indépendante. Elle est indépendante du pouvoir exécutif, à la différence des agences ou établissements publics administratifs qui agissent sous la tutelle d’un ministère. Son indépendance est d’ailleurs marquée par l’irrévocabilité de ses membres, qui sont nommés pour 6 ans.

Mais son indépendance ne signifie pas pour autant que la HAS fait ce qu’elle veut. Le législateur lui a confié un grand nombre de missions qu’elle doit remplir, dont celle de rendre des avis au ministre de la santé en vue d’éclairer ses décisions. C’est notamment le cas dans le domaine de la politique vaccinale ou de la prise en charge par la collectivité des actes et produits de santé. Elle rend compte chaque année de son action devant le parlement. 

La HAS est aussi et surtout indépendante scientifiquement vis à vis des industriels et des différents groupes d’intérêts. Pour garantir cette indépendance, la HAS a mis en œuvre des règles extrêmement strictes de prévention des conflits d’intérêts. Nous avons un déontologue (magistrat honoraire de la Cour de cassation) qui veille à cette indépendance."

V.J : Les AAI/API sont-elles, selon vous, suffisamment connues du grand public ? Comment interagissez-vous avec le grand public (saisine, communication, etc.) ?

C.V : "La HAS est bien connue des professionnels de santé ainsi que des professionnels des secteurs social et médico-social puisqu’elle élabore chaque année pour eux un certain nombre de recommandations de bonne pratique.
Elle est également très connue des établissements de santé qu’elle certifie périodiquement.

La HAS n’a pas de mission « grand public ». Les productions de la HAS s’adressent principalement aux pouvoirs publics et aux professionnels de santé et, plus récemment, aux professionnels du champ social et médico-social qui suivent ses recommandations. C’est la raison pour laquelle elle est restée longtemps assez méconnue du grand public.

La HAS est restée méconnue du grand public. La crise sanitaire que nous traversons a changé la donne.

La crise sanitaire que nous traversons a toutefois changé la donne. Depuis plus d’un an, la HAS est en effet très présente dans les médias, notamment par la voix de sa Présidente, pour expliciter les avis scientifiques qu’elle rend sur les tests de dépistage du Covid-19 et les vaccins contre le Covid-19 notamment.
Cette popularité soudaine s’est d’ailleurs accompagnée d’un nombre très important de sollicitations de la part du grand public qui, en raison de notre nom « Haute Autorité » peut raisonnablement penser que la HAS est compétente pour répondre à toute question individuelle de santé.

Quoiqu’il en soit, le grand public a, grâce à notre site internet, accès à l’ensemble de nos publications, et des recommandations qui le concernent. Nous élaborons d’ailleurs depuis quelques années des « fiches usagers » pour répondre aux questions les plus fréquentes.
Enfin, nous le faisons intervenir par le biais de nos commissions, auxquelles des usagers participent."

V.J : Et avec les professionnels du droit : interagissent-ils de façon particulière avec les AAI ? Pour quelles raisons ?

C.V : "La HAS a son propre service juridique qui répond à l’ensemble des questions juridiques auxquelles la HAS est confrontée, tant dans le cadre de son fonctionnement d’API que pour l’accomplissement de ses missions.
Les contentieux sont assez nombreux et nous intervenons souvent en qualité d’observateur. Dans la quasi-totalité des cas, le service juridique gère seul les contentieux devant le tribunal administratif et le Conseil d’État sans avoir recours au ministère d’avocat.

Il peut cependant nous arriver de faire appel à des avocats pour des consultations sur des questions très spécifiques. De leur côté, ces derniers nous questionnent régulièrement, nous leur apportons notre aide en leur indiquant notamment où trouver la réponse à leurs questions. 

Nous échangeons par ailleurs avec le Conseil d’État, en lien avec le ministère de la santé, dans le cadre de la rédaction de décrets ou d’arrêtés qui concernent les missions de la HAS."

V.J : Les décisions des AAI sont-elles une source du droit et peut-on parler de « soft law » ? Quelle est leur influence sur notre système juridique ?

C.V : "La HAS n’a pas de pouvoir de sanction, pas de compétence juridictionnelle. Les avis qu’elle rend s’adressent aux pouvoirs publics pour les éclairer dans leurs décisions. C’est le cas notamment des avis qu’elle rend au ministre pour lui permettre de définir la politique vaccinale ou de décider si un médicament doit être remboursé par la sécurité sociale.
Ces avis ne sont pas susceptibles de recours devant le juge administratif. Le Conseil d’État a eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises.

Mais la HAS rend également des décisions qui peuvent être contestées, soit devant le tribunal administratif s’il s’agit de décisions individuelles, soit directement devant le Conseil d’État si elles ont un caractère réglementaire, c’est à dire qu’elles ont une portée générale et impersonnelle.

Les recommandations de la HAS n’ont pas de caractère impératif mais elles influent sur les pratiques.

Dans les décisions réglementaires que prend la HAS, on peut notamment citer les recommandations de bonne pratique qui s’adressent aux professionnels de santé. Ces recommandations n’ont pas de caractère impératif mais elles influent sur les pratiques. Elles font partie des données acquises de la science qui doivent guider les professionnels de santé dans leurs pratiques. On peut donc parler de soft law. Les professionnels de santé sont censés les suivre. S’ils s’en écartent, ils doivent pouvoir justifier, éventuellement devant le juge, que le cas particulier de leur patient nécessitait une autre prise en charge que celle recommandée.
A plusieurs reprises, tant devant le juge civil que le juge administratif, des médecins ont été condamnés au motif qu’ils n’avaient pas respecté des recommandations de la HAS. Au contraire d’autres ont vu leur responsabilité écartée après avoir pu démontrer qu’ils avaient scrupuleusement suivi ses recommandations.

En 2011, pour la première fois, une recommandation de la HAS a été contestée devant le juge administratif. C’est à cette occasion que le Conseil d’État a jugé que les recommandations de bonne pratique de la HAS faisaient grief et étaient donc susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir [1]."

V.J : Une dernière question liée à la crise sanitaire : quel a été le rôle de la HAS pendant la crise ? Quelles sont maintenant vos orientations ?  

C.V : "La HAS a été très mobilisée pendant la crise sanitaire sur les sujets liés au Covid : elle a évalué les tests de dépistage et a fait de nombreuses recommandations pour définir la politique vaccinale. Elle a également produit plus de 80 recommandations pour guider les professionnels de santé et les professionnels des champs social et médico-social, notamment pour la prise en charge des patients atteints par le virus.

Ce que nous avons fait durant la crise sanitaire, c’est que nous faisons au quotidien ; mais nos travaux ont été beaucoup plus médiatisés !

Tous les travaux ont été produits dans des temps très courts, parfois en seulement trois jours.
Le service juridique a lui aussi été particulièrement sollicité pour analyser quotidiennement la multitude de textes parus au Journal Officiel pour la gestion de la crise sanitaire.

Toute l’institution s’est mise en télétravail du jour au lendemain et nous n’avons pas connu de période de flottement grâce à une mobilisation forte de chacun d’entre nous, conscients des enjeux et de la nécessité d’éclairer dans l’urgence les pouvoirs publics.

Finalement, ce que nous avons fait durant la crise sanitaire, c’est que nous faisons au quotidien ; la différence est que nos travaux ont été beaucoup plus médiatisés et qu’ils ont été réalisés dans des délais beaucoup plus serrés !"

(Crédit-photo Mme Vincent : DR/HAS.)

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Arrêt FORMINDEP, CE, 27.04.2011

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