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Comment devenir propriétaire d’un chemin rural ? Par Sylvain Obame, Avocat.
Parution : vendredi 16 juillet 2021
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Les chemins ruraux sont des biens immobiliers incorporés dans le domaine privé des communes.
Ils peuvent donc s’acquérir soit par aliénation, décidée par la commune, soit par usucapion, initiée par le riverain.
L’aliénation est soumise à une procédure stricte [1].
L’usucapion impose de faire état d’une possession continue, paisible, publique, non équivoque, exercée à titre de propriétaire pendant trente ans.
La cession du chemin rural par échange de terrain est prohibée et l’usucapion en la matière demeure.
En effet, une proposition de loi n°292, déposée le 16 janvier 2014 tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales sans enquête préalable [2].

Vous êtes propriétaire d’une parcelle.

Un chemin rural, longeant la façade de votre maison principale et séparant votre patrimoine en deux parties a été créé pour desservir la parcelle derrière la vôtre.

Vous vous prévalez qu’il n’est plus affecté à l’usage du public depuis des décennies, et vous l’entretenez seul depuis plus de 30 ans.

Vous souhaitez l’acquérir ou à défaut l’échanger en proposant à la commune un itinéraire bis.

Vous soumettez votre demande à la Commune, ayant à l’esprit que les chemins ruraux sont des biens intégrés dans le domaine privé communal et qu’il peut en faire ce qu’il veut, donc les vendre voire les échanger.

La commune vous a donné un accord de principe aux termes d’un compte-rendu du Conseil municipal.

Mais c’est sans compter sur la contestation d’un de vos voisins, excipant que le chemin est toujours affecté à l’usage du public et que l’accord de principe de la commune n’a pas été précédé d’une enquête publique.

Vous voilà bien agacé !

Ne vous mettez pas la rate au court-bouillon.

Vous avez la possibilité d’obtenir la propriété d’un chemin rural et de deux manières : par l’aliénation ou l’usucapion.

1. L’aliénation d’un chemin rural.

Selon l’article L161-10 du Code rural et de la pèche maritime (CRPM),

« Lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l’article L161-11 n’aient demandé à se charger de l’entretien dans les deux mois qui suivent l’ouverture de l’enquête ».

Le Conseil d’Etat fait une lecture stricte de cet article et considère [3] que cet article exclut toute possibilité d’échange.

La cession d’un chemin rural ne s’opère donc que par sa vente.

De son corps, il s’évince plusieurs conditions devant précéder l’aliénation, donc deux sont principales, sans le respect desquelles celle-ci ne peut intervenir :

a) Sa désaffectation préalable à l’usage du public.

Il s’agit d’un simple constat qui n’a pas à être formalisé par un acte [4].

Le chemin perd ainsi, de fait, sa qualité de chemin « rural » par le non-usage conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat [5].

Cette désaffectation peut également intervenir de facto, dès lors qu’il est démontré que le chemin rural n’est pas entretenu par la commune depuis de nombreuses années et qu’il n’est plus régulièrement utilisé [6].

Il a par ailleurs été jugé récemment qu’en cas d’aliénation sans désaffectation préalable, la vente peut être régularisée rétroactivement [7]. Ce qu’avait déjà semblé admettre implicitement le Conseil d’Etat dans un arrêt du 24 février 1992 [8].

Un projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » actuellement en discussion au Parlement prévoit que « a°) la désaffectation préalable ne peut résulter que d’une cause naturelle et spontanée consécutive à un désintérêt durable du public » et que « b°) la désaffectation est réputée nulle lorsqu’elle est la conséquence d’un acte visant à entraver la circulation ou du non-respect des articles D161-14 à D161-19 ».

Le a) vise à empêcher la « désaffectation administrative » d’un chemin rural, rendue possible par une jurisprudence récente [9].

Cette disposition vient remettre en cause cet arrêt en gravant simplement dans un texte de loi la jurisprudence constante jusqu’à cet arrêt « Commune de Langesse ».

Les juges considéraient en effet jusqu’ici que la désaffectation relevait d’un état de fait. Il en découlait qu’un chemin encore utilisé par le public ne pouvait être considéré comme désaffecté, condition préalable à l’aliénation.

Le b) a pour but d’empêcher la vente des chemins ruraux dont la désaffectation résulte d’un « accaparement » par un riverain (clôtures, labours, rochers, encombrements…). Ces accaparements sont légion.

b) La réalisation d’une enquête publique préalablement à l’aliénation.

Cette enquête publique est réalisée conformément aux dispositions du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, comme il est désormais précisé à l’article L161-10-1 dans sa rédaction issue du 5° de l’article 27 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Il s’agit d’une condition substantielle, qui rend illégale toute aliénation de chemin rural.

Le recours à cette enquête publique est impératif.

Sa durée est fixée à 15 jours [10].

Le commissaire enquêteur est désigné par arrêté municipal du maire au sein des personnes inscrites sur la liste d’aptitude prévue par l’article L123-4 du Code de l’environnement établie par le Tribunal administratif.

Le commissaire enquêteur perçoit une indemnité fixée par le maire.

Au cours de l’enquête, le commissaire enquêteur recueille les observations sur le registre d’enquête.

A l’expiration du délai de 15 jours de l’enquête, le commissaire enquêteur clôt les registres et les signes, conformément à l’article R161-27 du CRPA.

Il rédige ensuite ses conclusions motivées et doit préciser s’il est favorable ou non à la vente.

Il transmet au maire le dossier, le registre et ses conclusions dans le mois suivant l’expiration du délai d’enquête.

La commune peut toutefois vendre le chemin même en présence d’un avis défavorable du commissaire enquêteur, mais doit motiver sa délibération.

La loi actuelle prévoit que le maire ne peut vendre le chemin rural si une Association Syndicale Autorisée (ASA) demande à se charger de l’entretien du chemin [11].

Si une ASA existe sans vouloir se charger de l’entretien du chemin, et dès lors que l’aliénation est ordonnée, le maire doit mettre en demeure les riverains d’acquérir les terrains attenants à leur propriété avant de procéder à la vente, lesquels disposent d’un délai d’un mois dater de l’avertissement pour déposer leur soumission ou leurs offres. Si celles-ci sont insuffisantes, il est procédé à l’aliénation des terrains selon les règles suivies pour la vente des propriétés communales.

Cependant, si actuellement, en l’absence d’opposition d’une ASA à l’aliénation du chemin rural et d’acquisition par les riverains des terrains attenants à leur propriété, la seule conséquence est la vente à un tiers, le projet de loi portant « lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », au débat présentement au Parlement permettra désormais à la commune de déléguer à une tierce association la gestion du chemin.

En effet, l’article 57 TER dispose que

« L’autorité municipale peut déléguer à une tierce association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et dont les statuts prévoient la gestion des chemins ruraux la prise en charge de la restauration et de l’entretien d’un chemin rural à titre gratuit, une convention devant encadrer la délégation conclue entre l’autorité municipale et l’association ».

En réalité, ces dispositions ne créent pas de droit nouveau, comme en atteste une réponse ministérielle de 2009 [12], et l’article D161-5 du Code rural institue les « offres de concours ».

Par contre, ces dispositions créent une nouvelle obligation : la convention de délégation qui sera, sous forme écrite, va remplacer l’accord verbal qui est jusqu’ici la règle.

Ce qui est précède est quasiment déjà connu, excepté les dispositions de l’article 57 Ter précité.

Ce qui va suivre reste plutôt peu connu.

Peut-on procéder à une cession de chemin rural par échange de terrain ?

Non, conformément à une jurisprudence constante établie depuis 1981, le Conseil d’Etat prohibe l’échange des chemins ruraux en application des dispositions de l’article L161-10 du Code rural et de la pêche maritime [13] et réponses ministérielles [14].

La loi ne prévoit pas la possibilité de modification de l’assiette d’un chemin rural par d’autres dispositifs que l’aliénation. Une procédure d’échange de terrains risquerait de méconnaître les dispositions garantissant le caractère d’utilité publique du chemin.

Sur ce point, le député Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues ont bien introduit une proposition de loi n°292, déposée le 16 janvier 2014 tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales sans enquête préalable [15].

L’article 3 de cette proposition de loi vise à reconnaître la possibilité d’échanger des terrains sur lesquels se situent des chemins ruraux.

Le Sénat a adopté, en mars 2015, la proposition de la commission des lois qui consiste en ce dispositif ad hoc pour les échanges, inséré dans un nouvel article L161-10-2 du CRPM, qui dispose que

« Lorsque l’échange de parcelles a pour objet de modifier l’assiette d’un chemin rural, la parcelle sur laquelle est sis le chemin rural peut être échangée selon les conditions prévues aux articles L3222-2 du Code général de la propriété des personnes publiques et L2241-1 du Code général des collectivités territoriales. L’acte d’échange comporte des clauses permettant de garantir la continuité du chemin rural ».

L’article L.3222-2 du CG3P est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’échange d’une parcelle sur laquelle est sis un chemin rural n’est autorisé que dans les conditions prévues à l’article L161-10-2 du Code rural et de la pêche maritime ».

Ces échanges n’impliquent plus une enquête publique préalable.

Intégré dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016, son article 78 avait introduit ce dispositif d’échange de parcelles sur lesquelles est établi un chemin rural sans enquête préalable.

Saisi dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, sous le numéro 2016-737 DC, les 21 et 22 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a cependant censuré cet article 78 [16], en tant que cavalier législatif.

Le « Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » actuellement en discussion au Parlement réintroduit en son article 57 ter (nouveau) ce dispositif ad hoc.

N’étant pas encore adopté, la prohibition de la cession des chemins ruraux par l’échange est donc toujours de rigueur.

Voilà pour le principe.

Si un maire cède néanmoins le chemin par échange, la commune viole directement la loi et s’expose à une action en annulation de ladite décision devant le Tribunal administratif.

Il est vrai que le CG3P en ses articles L1111-4, L312-3 et L3113-23 autorise les collectivités territoriales, à céder leurs biens et droits, à caractère mobilier et immobilier, par voie d’échange, mais les parcelles sur lesquelles est établi un chemin en sont exclues.

Toutefois, pour pallier cette proscription, la Commune de peut procéder au déplacement de l’emprise du chemin rural.

Mais aux conditions qu’elle est tenue :
- Dans un premier temps, de mettre en œuvre pour le chemin rural initial une procédure d’aliénation, elle-même conditionnée à la fois par sa désaffectation et une enquête publique, préalables à une délibération du conseil municipal [17],
- Dans un second temps, de procéder à une déclaration d’utilité publique lui permettant de créer le nouveau chemin que vous lui proposez [18].

En toute hypothèse, une enquête publique préalable s’impose.

2. L’usucapion d’un chemin rural [19].

La propriété d’un chemin rural peut également s’acquérir par une possession continue, paisible, publique, non équivoque, exercée à titre de propriétaire.

Il s’agit de la prescription acquisitive trentenaire ou l’usucapion.

La réforme sénatoriale évoquée précédemment tendait bien à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales n’a pas été adoptée.

Ce mode d’acquisition demeure donc.

Pour un exemple de prescription trentenaire d’un chemin rural : Cass, 3e civ., 1er avril 2009, n°08-11.854 ; pour un exemple de prescription abrégée d’un chemin rural : Cass, 3e civ., 5 février 2013, n° 11-28.299.

Celui qui veut s’approprier un chemin rural peut mobiliser cette procédure et introduire une action devant le tribunal judiciaire.

Il faut néanmoins démontrer que le chemin n’est plus affecté à l’usage du public depuis trente ans et que l’acquéreur l’a entretenu régulièrement depuis des décennies, etc.

Ce sera la seule façon d’éviter la procédure attachée à l’aliénation, notamment l’enquête publique.

Il appartient donc de demander le constat par le juge de l’acquisition par prescription de ce chemin.

Pour ce faire, il convient d’assigner la commune devant le tribunal judiciaire.

Toutefois, la seule preuve de l’entretien ne suffira pas.

Il faudra apporter des preuves supplémentaires par tous moyens.

Le fait par exemple de mettre une chaîne pour obstruer le chemin sans que personne ne s’en émeuve, ou de déposer des déchets verts peut être probant, mais ne le sera plus bientôt, puisque le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » actuellement en discussion au Parlement prévoit que

« la désaffectation est réputée nulle lorsqu’elle est la conséquence d’un acte visant à entraver la circulation ou du non-respect des articles D161-14 à D161-19 ».

La circonstance de disposer d’actes (constats d’huissier) qui identifient le point de départ de la possession est également très positif mais vous devrez si possible aussi produire des témoignages que ce chemin n’a pas été affecté à l’usage du public depuis des décennies.

Sylvain Obame Avocat au Barreau de Paris Docteur en Droit Public

[1Article L161-10 du CRPM.

[2N°292, 2013-2014.

[3CE, 20 février 1981, no 13526 et CE, 17 novembre 2010, no 338338.

[4Rép. Min. n° 40874 du 25 mars 1991, JO AN du 3 juin 1991.

[5CE, 4 mars 1996, Commune de Bonnat, n° 14612.

[6CE 25 novembre 1988, Laney, CE, 24 mai 2000, n°195657.

[7CAA Nantes, 22 septembre 2020, « AISVP et autres », n°20NT01144.

[8CE, « Bourguignon », n°7814.

[9CAA Nantes, 22 septembre 2020, « AISVP et autres », n°20NT01144.

[10Cf. R134-10 du Code des relations entre le public et l’administration - CRPA.

[11Art. L161-10 CRPM.

[12Question n°57019 de Mme Biémouret Gisèle, députée du Gers, 13e législature, réponse publiée au JO le 24/11/2009 p. 11132.

[13CE, 20 février 1981, Cristakis, n°13526 ; CE, 23 mai 1986, consorts Richard ; CE, 17 novembre 2010, n°338338 ; CAA Bordeaux, 30 novembre 2006, Fatras, CAA Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 12/07/2016, 15BX04089.

[14JO Sénat du 19/06/2003 - p. 2021 ; JO Sénat du 08/11/2012, p. 2543 ; JO Sénat du 20/09/2018 - p. 4783.

[15N°292, 2013-2014.

[16Décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016.

[17JO, 20/09/2016 page : 8617.

[18Voir JO AN, 06.11.2012, Question n° 743, p. 6314 et réponse ministérielle en date du 6 novembre 2012 ; Question écrite n°06147, publiée dans le JO Sénat du 12/07/2018 - page 3414, Réponse ministérielle publiée dans le JO Sénat du 20/09/2018 - page 4783.

[19Articles 2255 à 2278 du Code civil.

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