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[Tribune] L’illégalité manifeste d’un passe sanitaire élargi. Par David Guyon, Avocat.
Parution : vendredi 16 juillet 2021
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« Partout, nous aurons la même démarche : reconnaître le civisme et faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous » disait Emmanuel Macron, Président de la République lors de son allocution du 12 juillet 2021.

Voilà que le triptyque « liberté, égalité, fraternité » n’est plus par cette assertion qui sonne comme un coup de fracas pour tous les citoyens encore dubitatifs quant à l’idée d’être vaccinés. Le contrat social unissant les français se retrouve ici fragilisé.

Depuis le 14 mars 2020, date des premières fermetures administratives prononcées pour faire face à la pandémie de covid-19, une crise éthique, juridique, politique, démocratique, économique, financière s’est élevée. La généralisation et la pérennisation du pass sanitaire n’en est que la suite logique.

I- Le cadre juridique du pass sanitaire.

Après avoir abandonné son projet de loi instaurant un « passeport vaccinal » en décembre 2020, le gouvernement a décidé de retenir un « pass sanitaire », moins restrictif dès lors que le vaccin n’est pas le seul moyen de justifier de sa bonne santé.

Qu’est-ce que le pass sanitaire ?

Il s’agit de l’obligation de justifier d’un élément de sa santé pour voyager en dehors de la France métropolitaine ou pour accéder à certains établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes. Cet élément de santé peut être justifié par un vaccin, un test pcr négatif ou un certificat de rétablissement.

Il s’agissait de ne pas faire du vaccin la condition sine qua non pour pouvoir voyager en dehors de la France métropolitaine ou accéder à certains lieux regroupant un nombre important de personnes. La limite a été fixée à 1000 personnes au 7 juin 2021.
Après de nombreux débats ou l’opposition s’est faiblement opposée, la loi du 31 mai 2021 relative à la sortie de crise sanitaire a fait entrer dans le droit positif le « passeport sanitaire ».

Ce dispositif est prévu au II de l’article 1er de la loi. Il a vocation à s’appliquer entre le 2 juin au 30 septembre 2021. Les décrets du 1er et du 7 juin 2021 ont précisé son contenu. Cette date du 30 septembre sera bien évidemment (ne soyons plus surpris) repoussée sine die.

L’instauration d’un passeport sanitaire soulève des problèmes juridiques et éthiques d’une très grande gravité qui ne laisseront pas notre droit indemne. Si en période de crise sanitaire, les libertés fondamentales peuvent être désactivées, alors c’est qu’elles ne sont plus si fondamentales.

Les défenseurs de la santé publique plaideront que ce mécanisme juridique est justifié pour les raisons suivantes :
- La crise sanitaire justifie tous les moyens ;
- Le pass sanitaire est cantonné à la question de la Covid-19 ;
- Le pass sanitaire est temporaire et limité dans le temps.

Premièrement, il n’existe pas de définition de ce qu’est une crise sanitaire. A partir de quand une situation n’est plus acceptable et nécessite de recourir à de tels moyens ? A partir de combien de mort, une épidémie devient une crise sanitaire ?

Deuxièmement, il serait cantonné à la maladie SARS COV 2. Dès lors que l’outil technologique permettant d’éviter des épidémies futures existe, pourquoi le cantonner à la question d’une maladie dont la létalité est inférieur à 1% ? Pensons notamment au HIV et posons-nous sérieusement cette question. Les éternels variants sont autant de raisons de pérenniser cet outil.

Troisièmement, l’histoire des dernières décennies démontrent que la tendance est à la généralisation et pérennisation des mesures restrictives de liberté. Des mesures qui étaient envisagées comme provisoires sont ensuite entrées dans le droit positif. Nous faisons ici référence à l’état d’urgence sécuritaire qui a suivi les attentats du 13 novembre 2015.

Surtout, si au 30 septembre 2021 les indicateurs sont au rouge, pensons-nous raisonnablement que cet outil disparaitra ?

Rappelons également, que de nombreuses dispositions du décret du 1er juin 2021 permettent aux préfets de prendre des mesures plus restrictives localement, ce que les préfets n’ont pas hésité à faire [1].

Entré en vigueur le 9 juin 2021, il n’aura pas fallu attendre très longtemps avant de décider de l’étendre aux discothèques. Le 12 juillet 2021 il est question de le généraliser et de le pérenniser à toutes les activités de la vie courante. Bienvenue à Gattaca !

II- L’illégalité manifeste d’une généralisation et pérennisation du pass sanitaire.

Dans son discours du 12 juillet 2021 le Président de la République a décidé d’élargir aux activités de la vie quotidienne le pass sanitaire. A l’heure où cet article est rédigé, les textes ne sont pas encore publiés. Cependant, une généralisation aux activités de la vie quotidienne nous permet déjà de soulever les difficultés qui suivent.

Deux droits fondamentaux sont directement impactés ; la liberté (1) et l’égalité (2). Ces droits ne sont pas exhaustifs.

1) L’atteinte manifeste à la liberté.

La liberté constitue le droit de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Si la liberté est consacrée par la Constitution, la question de la santé publique y est consacrée de manière plus indirecte.

a) La soumission de la liberté à la santé.

En effet, l’Etat doit garantir la protection de la santé et non pas la santé ou plus spécifiquement la bonne santé à tout prix [2]. Il s’agit d’une obligation pesant sur l’Etat dont la finalité n’est pas d’empêcher quiconque de tomber malade, mais d’agir afin de protéger la santé des individus, lesquels ont le droit d’être malades dès lors que cette maladie ne résulte pas d’une inaction ou d’une faute de l’Etat [3].

La protection de la santé n’est donc pas mise sur le même plan que la liberté qui reste une valeur cardinale dans une société démocratique. La santé est un moyen pour jouir de la liberté mais n’est certainement pas une condition. Pis encore, un citoyen malade a les mêmes droits qu’un citoyen en bonne santé. Nul ne concevrait d’ailleurs une telle distinction reposant sur un élément de la santé, sauf à se rendre coupable d’une discrimination.

Par l’instauration d’un pass sanitaire la liberté se retrouve dès lors qu’il sera nécessaire de justifier de son état de santé pour toutes les activités de la vie courante.

Que l’on soit vacciné ou non, la liberté n’est plus naturelle. Elle est conditionnelle, ce qui apparaît incompatible avec un état démocratique.

Indirectement mais sûrement, les citoyens qui n’accepteront pas de justifier de leur état de santé, qu’ils soient vaccinés ou non, se trouveront privés du droit d’entreprendre, de travailler, de la liberté d’aller et venir ou encore du droit au respect de la vie privée et familiale. Cela aura aussi un impact sur le droit de propriété qui s’en trouvera réduit.

Faire ses courses, aller à la salle de sport ou au cinéma nécessitera une véritable organisation pour toute personne non vaccinée.
La liberté pour ces derniers sera, en réalité, théorique et illusoire.

b) Une obligation vaccinale déguisée.

Que reste-t-il à la personne refusant de justifier de son état de santé ? Rien.

Sa seule alternative est d’accepter un traitement nasale invasif toutes les 48h, lequel ne sera plus remboursé à partir de l’automne. Existe-t-il encore un choix dans ces conditions ? Et si elle refuse, dispose t’elle d’une alternative ? Bien entendu, non.

La liberté vaccinale repose sur deux principes.

Le premier, la liberté de consentir librement et de manière éclairée à tout acte médical. Cette liberté est fondamentale [4]. Cette liberté existe-t-elle lorsque l’on est soumis au chantage du licenciement ? Le chantage n’est pas une modalité de communication socialement acceptable.

Le second, est le respect de l’intégrité du corps humain. Quand bien même la vaccination obligatoire existe, celle-ci ne signifie pas que l’on peut injecter un tel produit de force sans méconnaître ce principe. Elle est obligatoire et implique d’assumer la responsabilité de son refus. Ces conséquences doivent rester proportionnées et ne sauraient conduire à une exclusion sociale totale [5].

Surtout, la question du non remboursement des tests PCR pose une difficulté quant à l’égal accès aux soins dès lors qu’aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins [6].

Selon que vous soyez pauvre ou riche, une discrimination existera nécessairement. Enfin, en pleine période de pandémie, freiner la détection du virus par les tests PCR revient à renier ce qui a été fait jusqu’à ce jour dès lors que la politique sanitaire a été basée en grande partie sur le nombre de « cas ».

Plus de cas, plus de pandémie. Plus de pandémie, plus de restriction de liberté.

2) L’atteinte manifeste à l’égalité.

Le principe d’égalité trouve sa source dans le droit constitutionnel et irrigue tout notre droit. Il implique d’une part, que toutes les personnes placées dans une situation identique soient traitées de la même manière. Cela n’empêche pas que des situations différentes fassent l’objet d’un traitement différent. Il est possible de déroger à l’égalité lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie.
Dans ces deux situations, motif général ou situation différente, la différence de traitement qui peut en résulter doit être en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit. Cette différence ne doit pas être manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

Le pass sanitaire constitue un risque d’exclusion sociale totale d’une partie de la population qui ne souhaitera pas se soumettre à une telle justification. N’opposons pas bêtement les vaccinés et les non vaccinés. Les deux camps seront plutôt ceux qui sont attachés aux libertés et ceux qui soit par bêtise soit par cynisme, voire les deux, accepteront cette société fliquée et flippée de la moindre contamination.

Quid des personnes ne pouvant, pour des raisons médicales, subir une injection ? Est-ce une troisième catégorie de citoyens ? Quid des femmes enceintes pour lesquelles la haute autorité de la santé publique ne préconise pas d’injection ?

Or, le droit français ne reconnaît qu’un peuple français [7].

Souscrivant à un abonnement vaccinal annuel, dorénavant une scission est clairement affirmée par le gouvernement entre des citoyens vaccinés adhérant à la justification permanente de leur état de santé et des citoyens non vaccinés ou refusant cette justification bien que vaccinés. Légalement nous aurons deux catégories de citoyens : des supra citoyens et des sous citoyens.

Il y aura un peuple et un sous-peuple, avec des restrictions pesant sur certains plutôt que sur tous.

David Guyon, Avocat. Barreau de Montpellier.

[1Article 47 du décret du 1er juin 2021.

[2Alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946.

[3Conseil Constitutionnel 20 mars 2015, no 2015-458 QPC.

[4Article L1111-4 du Code de la santé publique.

[5Cour EDH 8 avril 2021 Affaire Vavricka et autres c République Tchèque n°47621/13 : voir notre analyse https://www.guyon-avocat.fr/2021/05/05/vaccination-obligatoire-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme/.

[6Article L1111-3 du Code de la santé publique.

[7Conseil Constitutionnel 15 juin 1999 n° 99-412 DC.

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