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Conflits au travail : employeurs, emparez-vous de la QVT ! Par M. Kebir, Avocat et Camille Thinard, Juriste stagiaire.
Parution : lundi 19 juillet 2021
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La Qualité de vie au travail (QVT), attribut essentiel de l’obligation de sécurité de résultat, est une obligation incombant à l’employeur, régie par l’article L4121-1 du Code du travail.

Notion mouvante, elle couvre, en somme, la qualité relationnelle en entreprise, les conditions de travail tant morales que matérielles, le droit au bien-être. Outre la promotion, l’émancipation au travail, ainsi que la symbiose réussie entre vie privée et vie professionnelle.

Gage à la fois de l’épanouissement individuel et la performance du groupe, la QVT ne peut, efficacement, produire son effet sans le dialogue social, l’ingénierie relationnelle et la médiation - mode amiable de règlement des conflits.

Vecteur de réussite des relations professionnelles et atout, susceptible d’éviter en même temps, la surenchère conflictuelle et la saisine du juge, comment la QVT doit-elle être appréhendée par le dirigeant ?

Au fond, c’est sur le double plan individuel et collectif de la santé au travail que l’effet de la QVT se ressent dans le monde de l’entreprise. Nécessaire à la construction d’une approche modernisée du monde professionnel, la QVT est, d’abord, un instrument d’apaisement des relations sociales. Sa combinaison avec d’autres mécanismes aussi efficaces pour la cohésion et l’efficience du groupe, QRT (qualité des relations de travail), MARD (mode alternatif de règlement de conflit), est déterminante.

L’accord national interprofessionnel (ANI), conclu le 9 décembre 2020 [1], concentre sa proposition de réforme de la santé au travail autour d’une notion juridique qui irrigue résolument les relations de travail : la qualité de vie au travail (QVT).

Bien que tardivement consacrée par l’ANI du 19 juin 2013, [2] référence en la matière, la QVT repose, en réalité, sur les enjeux traditionnels de l’emploi. Conditions de travail, climat social, confiance, dialogue, égalité professionnelle, reconnaissance, altérité... : autant d’outils clés au soutien de la QVT au sein aussi de l’entreprise et de l’administration.

Plus large que la notion de bien-être au travail, la QVT répond à une acception actualisée du lien de subordination. A cet égard, la vision conflictuelle, reposant sur une logique hiérarchisée de la relation professionnelle, est dépassée. Désormais, la coopération entre les éléments du groupe autour de valeurs, de défis communs, faisant participer tous les acteurs sociaux, est d’autant plus privilégiée.

Par quels biais la QVT peut-elle favoriser la convergence des droits individuels du salarié et l’intérêt de l’entreprise ? Quelles conséquences pratiques pour la performance économique et l’épanouissement social du salarié ?

QVT : vecteur de la santé au travail.

Fondamentalement, c’est du point de vue de l’épanouissement individuel que la QVT est promue par le législateur. Corollaire nécessaire de la notion de santé au travail, elle s’impose, en cela, comme obligation essentielle.

La préservation de la sécurité, la santé physique et mentale des salariés [3], au même titre que la formation des salariés et la prévention des actes de harcèlement [4] moral ou sexuel, constituent des obligations de résultat pour l’employeur [5]. Dans le même ordre d’idée, l’employeur se doit d’assurer aux salariés des conditions de travail qui préservent leur santé physique et mentale [6].

D’ailleurs, des risques psychosociaux (RPS) tels que le stress, le burn-out, l’épuisement…, peuvent survenir en s’aggravant initialement à cause d’un défaut de vigilance de l’employeur.

C’est le cas, notamment, lorsque la QVT est inopérante. Or, l’impact direct sur l’état de santé des salariés exposés à de tels risques n’est plus à prouver. En termes économiques, ces RPS ont généré en 2007 un coût total annuel pour les entreprises, en France, compris entre 2 à 3 milliards d’euros [7].

Il suit de là que la prévention de la dégradation de la santé des salariés et de l’apparition de ces troubles psychosociaux impose, dès lors, l’amélioration des conditions de travail.

L’introduction d’un dialogue régulier au sein de l’entreprise avec la direction, mais également entre les salariés, a pour effet évident le renforcement de la confiance, la cohésion et du bien-être.

A cet égard, une telle réflexion pourrait être élargie à la situation du salarié en situation de handicap. Peu connue par les employeurs et services RH, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), et les aménagements de postes de travail y afférents est source de nombreux contentieux.

Adapter l’environnement et les horaires de travail aux difficultés particulières des travailleurs en situation de handicap, renforcer la clarté des tâches qui leurs sont confiées, aménager de réelles opportunités d’évolution professionnelle... L’obligation de sécurité du résultat signifie, en cela, l’inclusion, réelle, du salarié en situation de handicap. Il va sans dire que les actions de la QVT participent à l’intégration professionnelle des salariés handicapés.

Bien être individuel, efficience collective.

Concrètement, une entreprise où les conditions de travail sont saines et conformes, où le salarié se sent écouté, considéré, améliore à la fois ses performances et son attractivité.

Qui plus est, l’investissement à fournir du côté de l’employeur reste limité. Ainsi, former des équipes managériales aux enjeux de la QVT, aux mécanismes tendant à améliorer la performance sont des actions somme toute réalisables. En ce sens, un rapport de l’Agence européenne (UE-OSHA) pour la sécurité et la santé au travail de 2014 chiffre un retour sur investissement compris entre 8 et 13 euros net pour chaque euro dépensé par l’entreprise en prévention santé [8].

Nonobstant l’avantage économique certain qu’elle peut représenter, la QVT ne peut être perçue par le seul prisme de l’objectif de performance. Une telle approche la viderait de sa substance. En outre, pour être pleinement performante, la QVT doit impliquer dans sa mise en œuvre et, a fortiori, pour sa réussite, l’ensemble des acteurs sociaux. Elle ne constitue donc pas « un objectif en soi », mais « une démarche » [9] par laquelle l’humain retrouverait, sur le long terme, une place centrale dans la relation de travail.

C’est, enfin, du point de vue des enjeux inhérents aux relations collectives de travail que la QVT gagne à être améliorée.

QVT, QRT, médiation : outils au service du dialogue social.

Les institutions représentatives du personnel (IRP), au même titre que les comités sociaux économiques (CSE) et les commissions santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), sont les acteurs de l’amélioration de la QVT. Laquelle QVT est par ailleurs érigée, depuis 2015, parmi les thèmes obligatoires de négociation collective [10].

Sur ce point, formés aux risques en rapport avec l’activité de l’entreprise [11] les représentants du personnel membres du CSE élaborent les « règles de sécurité dans l’établissement », au regard des travaux de la CSSCT [12]. La réglementation interne en matière de santé et sécurité, et donc de la QVT, doit être le fruit d’un dialogue social éclairé et constructif. Capitales, ces deux dimensions de la négociation sociale ne peuvent être négligées.

Il va de soi qu’un dialogue actif et loyal entre employeur et représentants du personnel facilite la conclusion d’accords collectifs pérennes. La qualité relationnelle au travail (QRT) [13] dans l’entreprise devient, ce faisant, un outil au service d’une meilleure QVT. La formation des dirigeants, salariés et IRP aux techniques de l’ingénierie relationnelle [14], en plus d’être un vecteur de réussite de négociation collective, diminuerait la saisine du juge.

Les nouveaux instruments de la QVT.

L’apaisement des relations sociales, au travers de solutions négociées, procède de nouveaux process dans lesquels s’inscrit, également, la Médiation. L’adage selon lequel « il vaut mieux un mauvais accord qu’un bon procès » prend, ici, tout son sens. Le recours juridictionnel, long et coûteux-outre l’aléa judiciaire qu’il fait peser sur les parties, constitue, du reste, un risque sur le capital confiance et les valeurs humaines propres à l’entreprise.

D’autres pistes, issues d’une approche comparative sur le sujet, méritent d’être envisagées. Au Canada, dès 2008, la QVT a été intégrée à une norme dite « entreprise en santé » [15].

En clair, quatre « sphères » ont ainsi été ciblées à l’essai d’optimiser la santé au travail des salariés. Généreuse et strictement encadrée, cette norme met en place un processus structuré en trois étapes : analyse des risques et ressentis, communication aux salariés et, enfin, mise en œuvre de programmes de prévention.

Basée sur une approche « volontaire », participative, et, in fine, efficace, un tel modèle normatif gagnerait à inspirer autant le dirigeant que le CSE.

Virtueuse est la dimension de la QVT durant la pandémie sanitaire en cours. Le 9 juin 2021 a marqué, pour les salariés qui bénéficient du télétravail, la date de retour dans les locaux de l’entreprise. Après plusieurs mois de vie professionnelle solitaire, l’appréhension de la reprise des activités dans les bureaux est palpable [16].

Dans ce contexte d’anxiété, l’entreprise se doit - obligation légale - de mettre en œuvre tous les moyens de nature à rendre la vie au travail, effectivement et réellement, de qualité.

Enjeu de santé, la QVT, levier au service de la performance et de la compétitivité, est par-dessus tout un droit essentiel du salarié. Un principe cardinal attaché à l’obligation de l’employeur de préserver la santé et la sécurité en milieu professionnel. Son essor implique de conjuguer les outils du dialogue social, la médiation, et la formation à la qualité relationnelle.

Me. KEBIR Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Camille THINARD, Juriste stagiaire. CABINET KEBIR AVOCAT E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail, 9 décembre 2020.

[2Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle.

[3Articles L4121-1 à 5 du Code du travail.

[4Articles L1151-1 et suivants du Code du travail.

[5Cass Soc 11 mars 2005, n°13-18.603.

[6Articles L4121-1 et 2 du Code du travail.

[7INRS, « Le coût du stress professionnel en France en 2007 », 2007, p.4.

[8European Agency for Safety and Health at work, “Calculating the cost of work-releated stress and psychosocial risks”, 2014, p.14.

[9Maussion, Philippe. « Négociation collective sur la qualité de vie au travail : le point de vue syndical », Bulletin Joly Travail, N°01(1er janvier 2019).

[10Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.

[11Article L4523-10 du Code du travail.

[12Articles L4523-11 et suivants du Code du travail.

[14Formule empruntée à Jean-Louis Lascoux, fondateur de la médiation professionnelle.

[15Norme BNQ 9700-800 - 2008, Prévention, Promotion et Pratiques organisationnelles favorables à la santé en milieu de travail.

[16Guillard, Anne, « Fin du télétravail généralisé : un retour à la normale qui n’emporte pas l’adhésion de tous les salariés », Le Monde, 18 juin 2021.