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Le sportif sponsorisé : partenaire commercial ou mannequin salarié ? Par Karen Berteloot, Juriste et Amandine Diers, Avocat.
Parution : lundi 19 juillet 2021
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Le Championnat d’Europe de football qui vient de se terminer et l’imminence des Jeux Olympiques de Tokyo démontrent les liens de plus en plus étroits entre les marques et les sportifs. Les campagnes publicitaires associant des athlètes et des produits ou services de grande consommation ou de luxe ne cessent de se démultiplier. Le sponsoring est devenu une source très importante de revenus pour les acteurs du sport.

Lorsqu’un athlète, contre rémunération, s’engage à présenter les produits d’une entreprise pour en assurer la promotion devient-il un mannequin ?

La réponse à cette question est essentielle puisque l’activité mannequinat, en droit français, est présumée être une activité salariée.

A l’occasion d’un récent arrêt, Cour de cassation apporte un éclairage utile à cette question dont l’enjeu est essentiel pour les sponsors comme pour les athlètes : l’athlète qui assure la promotion des produits d’une entreprise devient-il un mannequin salarié ?

1. Le sponsor, l’athlète et le contrat.

Les relations entre l’athlète et le sponsor sont généralement encadrées dans des contrats dits de « sponsoring ». Ce titre peut recouvrir une multitude de situations telles que par exemple : participation à un événement, fourniture d’équipements ou accessoires sportifs, promotion de produits de l’entreprise par l’athlète…

Quels que soient les termes du contrat, le sponsoring doit être distingué du mécénat ou du don. Le sponsoring est un contrat « intéressé » : le sponsor, en contrepartie de son financement (paiement numéraire ou fourniture de biens), obtient des contreparties : prestations de l’athlète, utilisation de l’image, du nom de l’athlète…

Le contrat de sponsoring détaille généralement les engagements des deux parties :
- d’une part les obligations de faire (participer à un événement, porter un vêtement…) et de ne pas faire (ne pas représenter une entreprise concurrente par exemple) de l’athlète ;
- d’autre part, le financement du sponsor qui peut se traduire par des paiements numéraires et/ou des fournitures de produits.

Le contrat de sponsoring est généralement qualifié de contrat d’entreprise : une convention par laquelle une personne en charge une autre, contre rémunération, d’exécuter des prestations de manière indépendante et sans mandat de représentation.

Toutefois, et dans la mesure où la relation entre le sponsor et l’athlète repose sur la réalisation d’une prestation contre une rémunération, le droit du travail peut parfois surgir entre les parties.

2. Le sponsor, l’athlète et le lien de subordination.

Le contrat de sponsoring et le contrat de travail peuvent présenter des points communs : une partie s’engage à exécuter une tâche en contrepartie du versement d’une somme d’argent par l’autre partie.

Comment, dès lors, distinguer le sponsoring du contrat de travail ? La différence se situe dans l’existence ou non d’un lien de subordination.

Le lien de subordination se caractérise

« par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » [1].

Un contrat de sponsoring peut « masquer » un contrat de travail si les prestations de l’athlète sont réalisées sous les ordres et directives du sponsor, qui en contrôle l’exécution et sanctionne les manquements de l’athlète.

Le titre que les parties ont retenu pour le contrat et le contenu du contrat ne peuvent empêcher la requalification du contrat de sponsoring en contrat de travail. En effet,

« l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité » [2].

Celui qui sollicite la requalification doit apporter la preuve du lien de subordination. Il peut s’agir notamment de l’athlète mais aussi des URSSAF ou de la CPAM.

Le fait que l’athlète signe le contrat de sponsoring par l’intermédiaire d’une société qu’il aurait créé n’est pas suffisant pour empêcher la requalification.

Il est donc essentiel pour les sponsors de garder à l’esprit et de respecter l’indépendance de l’athlète dans l’exécution du contrat.

Si, pour le moment, le nombre de requalification de contrat de sponsoring en contrat de travail reste faible, le risque de requalification est plus important lorsque la prestation de l’athlète consiste notamment à associer son image à la présentation de produit ou à poser pour des photographies avec/à coté des produits du sponsor.

3. Le sponsor, le produit et l’athlète mannequin.

Il n’est pas rare que l’athlète sponsorisé s’engage à porter les vêtements ou accessoires de son sponsor à l’occasion d’un événement et/ou à participer à des séances photos pour promouvoir les produits ou services du sponsor.

L’athlète abandonne alors ses prestations sportives habituelles pour se muer, durant quelques heures, en « mannequin » pour son sponsor.

Le mannequin est en effet la personne chargée, même de manière occasionnelle [3] :
- Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
- Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image.

L’athlète devient mannequin occasionnel, est-ce réellement important ? Oui et cela peut parfois être lourd de conséquences comme l’illustre un arrêt récent de la Cour de cassation [4].

Les faits concernent un sponsor équipementier de football. Dans le cadre de contrats de sponsoring et en contrepartie d’une rémunération, chaque athlète :
- s’engageait à utiliser exclusivement les équipements du sponsor (gants/textile) à l’occasion des entraînements, matchs amicaux ou de championnat et pour toutes autres manifestations ayant trait à leur activité ;
- accordait au sponsor le droit d’utiliser son nom et son image dans le cadre de la commercialisation de ses équipements, dans ses catalogues, lors de campagnes promotionnelles et sur l’emballage des équipements,
- s’engageait à fournir, avant le début du championnat un ou plusieurs clichés de son image avec le matériel, lesquels étaient validés par le sponsor, à défaut de quoi, l’athlète devait se rendre disponible pour permettre au sponsor de réaliser les clichés nécessaires à la promotion des équipements.

A l’occasion d’un contrôle, l’URSSAF des Bouches du Rhône a pris connaissance des termes de ces contrats et a considéré que les prestations attendues des athlètes étaient des prestations de mannequinat puisque les athlètes étaient dans l’obligation, moyennant rémunération, de porter exclusivement les équipements de la marque lors de tous les événements sportifs et devaient fournir des photographies les représentant avec le matériel de la marque ou de se rendre disponible pour permettre la réalisation de telles photographies.

Le mannequinat étant présumé être une activité salariée [5], l’URSSAF a prononcé un redressement à l’encontre de l’équipementier au titre des charges non déclarées et non payées.

L’équipementier a contesté sa condamnation devant la Cour d’appel de Paris. La Cour d’appel a accepté son argumentaire, jugeant que les contrats ne relevaient pas de l’activité de mannequinat mais étaient des contrats commerciaux de sponsoring ou de parrainage sportif, de sorte que la présomption de salariat ne pouvait être retenue.

Sur pourvoi de l’URSSAF, la Cour de cassation a annulé la décision de la Cour d’appel. La Cour de cassation précise :
- La présentation directe au public d’un produit par un athlète à l’occasion de diverses manifestations et notamment, d’exhibitions sportives, avec ou sans compétition est une activité de mannequinat.
- Le mannequin est toujours présumé être un salarié.
- Cette présomption de salariat subsiste :
- quels que soient le mode et le montant de la rémunération de l’athlète,
- quelle que soit la qualification donnée au contrat par les parties,
- même si le sportif-mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation.
- L’équipementier n’a pas renversé la présomption de salariat en démontrant l’absence de lien de subordination entre lui et les athlètes.

Comme nous l’indiquions précédemment, c’est en principe sur la personne/entité qui prétend qu’un contrat de sponsoring doit être requalifié en contrat de travail que pèse la contrainte de prouver l’existence d’un lien de subordination.

Toutefois, lorsque l’activité de l’athlète sponsorisé correspond à une activité de mannequinat, même occasionnelle, cette règle est inversée : l’existence d’une situation de salariat est présumée et c’est à celui qui conteste le salariat de démontrer l’absence de lien de subordination.

Dans deux affaires jugées en 1997 [6], la Cour de cassation avait conclu qu’une joueuse de tennis dont l’image était utilisée par une société commerciale n’était pas salariée car l’athlète conservait la liberté de choisir les astreintes publicitaires et réunions auxquelles elle participerait et qu’elle était libre d’organiser son activité.

De même, en 1993 [7], la Cour de cassation avait conclu qu’un pilote professionnel n’était pas un mannequin salarié travaillant pour son sponsor car l’athlète ne recevait aucune directive du sponsor et participait, à ses risques et périls et dans son intérêt personnel, à des compétitions qui n’étaient pas organisées par son sponsor.

La qualification de salariat peut entrainer des conséquences pour le sponsor (redressement par les URSSAF notamment) mais aussi pour l’athlète (application du régime général de la sécurité sociale par la CPAM notamment).

Cet arrêt illustre l’importance de soigner la rédaction des contrats de sponsoring et, en amont de cette rédaction, anticiper les conséquences pour les deux parties des prestations que le sponsor souhaite obtenir de l’athlète qu’il accompagne.

Karen Berteloot Juriste Amandine DIERS Avocat

[1Cass soc 28.11.2018, RG 17-20.079.

[2Cass soc 28.11.2018, RG 17-20.079.

[3L7123-2 Code du travail.

[4Cass 2ème civ 12.05.2021 RG 19-24.610.

[5« Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail » L7123-3 Code du travail.

[6Cass soc 16.01.1997 RG95-12.994, Cass soc 27.03.1997 RG95-17.948.

[7Cass soc 22.07.1993 RG91-14.464.