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Retrait non consenti du préservatif pendant l’acte sexuel : est-ce un viol ? Par Avi Bitton, Avocat et Cléri Fernando, Juriste.
Parution : lundi 19 juillet 2021
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Le retrait de préservatif, non consenti, pendant l’acte sexuel peut-il constituer un viol ?
Cette pratique pourrait être qualifiée de viol par surprise, le consentement de la victime ayant été obtenu par une manœuvre de l’auteur qui lui avait déclaré mettre un préservatif.
Cependant, la victime aura souvent des difficultés à prouver les faits.

1. Le viol est défini à l’article 222-23 du Code pénal :

« acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

Le fait de retirer le préservatif pendant l’acte sexuel, sans en avertir son ou sa partenaire, est-il susceptible de constituer un viol ?

2. Le « stealthing », ou le retrait non consenti du préservatif, désigne une pratique qui consiste à enlever son préservatif pendant l’acte sexuel, à l’insu de l’autre partenaire, alors que celui-ci avait fait de son usage une condition expresse de la relation sexuelle. Le phénomène a commencé à être défini en 2017, dans le Columbia Journal of Gender and Law, par l’avocate Alexandra Brodsky.

3. Il convient d’examiner les qualifications pénales qu’elle pourrait revêtir.

4. Pour que le viol soit caractérisé, il faut traditionnellement un élément matériel et un élément intentionnel. Le viol suppose un élément commun à toutes les agressions sexuelles, le défaut de consentement de la victime, et un élément propre, la pénétration sexuelle [1].

Le défaut de consentement peut résulter de l’usage, par l’auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. La violence peut être physique ou morale. La menace consiste en un geste, une parole ou un acte par lequel un individu exprime sa volonté de faire du mal à quelqu’un. La contrainte se définit comme la pression physique ou morale exercée sur autrui. Enfin, la surprise consiste à surprendre le consentement de la victime. Quant à l’élément moral, il consiste en la volonté chez l’auteur d’accomplir l’acte de pénétration sexuelle et la perception de cet acte comme tel (l’auteur doit avoir eu conscience d’agir contre la volonté de la victime et d’accomplir un acte de nature sexuelle).

5. Conformément au principe d’interprétation stricte de la loi pénale [2], le stealthing ne devrait pas, en principe, être qualifié en droit français de viol au sens de l’article 222-23 du Code pénal. En effet, le viol, consistant à pénétrer sexuellement autrui par violence, menace, contrainte ou surprise, implique nécessairement une absence de consentement à l’acte sexuel lui-même, ce qui n’est pas le cas du stealthing.

Pourtant le stealthing pourrait constituer un viol par surprise dès lors que le stealther a mis en place un stratagème, caractérisé par le retrait discret du préservatif pendant le rapport sexuel à l’insu du partenaire, dans le but de surprendre son consentement à la pénétration sexuelle.

6. La notion juridique de surprise renvoie aux moyens employés par l’auteur pour annihiler le consentement de sa victime et non au sentiment d’étonnement ou de stupéfaction, au sens courant, que celle-ci a pu éprouver en présence de comportements inattendus [3]. Ces moyens sont caractérisés par divers stratagèmes, comme faire croire à la nécessité d’un examen médical [4], ou tromper sur son identité civile ou physique [5].

Le consentement doit porter non seulement sur l’acte, mais aussi sur le partenaire. La surprise est caractérisée lorsque le défaut de consentement résulte d’une tromperie ou de l’usage de stratagèmes destinés à provoquer l’erreur de la victime qui, de ce fait, n’est pas en mesure de donner un consentement libre et éclairé.

7. Cette jurisprudence sur la notion de « surprise », prenant en compte l’erreur sur les caractéristiques physiques et de l’erreur sur l’identité, contribue à une extension du critère de la surprise. Ainsi, la surprise sera caractérisée toutes les fois où le stratagème provoque une erreur portant sur une qualité ou une condition essentielle de la relation sexuelle et déterminante du consentement. Cette ébauche d’une véritable théorie des vices du consentement en matière de viol pourrait permettre de sanctionner des phénomènes sexuels juridiquement flous tels que le stealthing.

8. Si le port du préservatif est une condition essentielle pour que la relation sexuelle ait lieu, et qu’il est mis en place un stratagème pour contourner cette condition déterminante du consentement, il semble, au regard du raisonnement de la Cour de cassation, et par analogie, que le consentement du partenaire ait été surpris, et que le viol par surprise soit caractérisé. Le stealthing constituerait ainsi un stratagème (le retrait discret ou furtif du préservatif pendant le rapport sexuel sans que le partenaire n’en soit informé), entrainant une erreur sur une qualité essentielle de la relation sexuelle et déterminante du consentement, à savoir le port du préservatif.

9. Le phénomène du stealthing et le clair-obscur juridique entourant sa qualification mettent par ailleurs en relief le flou juridique entourant la notion de consentement, nullement défini par le Code pénal.

10. Si le stealthing a bien vocation à être qualifié de viol par surprise, il ne faut pourtant pas occulter la difficulté principale, qui réside dans la preuve de l’infraction. La victime devra prouver que son partenaire avait connaissance de l’exigence du port d’un préservatif et qu’il a retiré celui-ci pendant le rapport sexuel, à son insu, démonstration difficile ...

Avi Bitton, Avocat, et Cléri Fernando, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1C. pén., art. 222-23.

[2Article 111-4 du Code pénal.

[3Cass. crim., 25 avr. 2001, n° 00-85467.

[4Pour des médecins : Cass. ass. plén., 14 févr. 2003, n° 96-80088 ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-80057.

[5Cass. crim., 11 janv. 2017, n° 15-86680.