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Le rôle du conseiller auditeur au sein de l’Autorité de la concurrence. Par Mourad Medjnah, Avocat.
Parution : mercredi 21 juillet 2021
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Le conseiller auditeur tient une place toute particulière au sein de l’Autorité de la concurrence, dont la mission consiste à réguler les marchés ouverts au libre jeu de la concurrence.

L’Autorité de la concurrence met à la disposition des entreprises mises en cause ou saisissantes un conseiller auditeur, possédant la qualité de magistrat ou offrant des garanties d’indépendance et d’expertise équivalentes, qui est chargé de prévenir ou de désamorcer d’éventuelles difficultés liées au déroulement de la phase contradictoire de la procédure de contrôle des pratiques anticoncurrentielles les concernant, dès l’envoi de la notification des griefs et jusqu’à la réception de la convocation à la séance de l’Autorité [1].

Il agit, à ce titre, en qualité d’expert procédural.

Son rôle consiste à protéger les droits de la défense dans la mesure où son intervention est étroitement liée au principe du contradictoire. Le conseiller auditeur est ainsi le garant du déroulement impartial et objectif de la procédure devant l’Autorité de la concurrence.

L’introduction au sein de l’Autorité d’un conseiller auditeur, à l’image de son homologue de la Commission européenne, peut prima facie surprendre si l’on songe évidemment à l’avis n° 08-A-05 du 15 avril 2008, relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence, dans lequel l’autorité régulatrice observait que

« l’utilité d’un conseiller auditeur peut être discutée dans une institution qui contrairement à ce qui est pratiqué au sein de la Communauté européenne et dans de nombreuses autorités de concurrence étrangères, continuera de séparer clairement l’enquête et l’instruction, menées sous la seule autorité du rapporteur général, et la décision, confiée à un collège indépendant ».

Son rôle a aussi fortement troublé les esprits, car il pose la question cruciale de son indépendance.

A nos yeux cependant, il faut prendre en compte deux variantes.

D’une part, le conseiller auditeur entend conduire objectivement des procédures respectueuses des droits des parties dans le cadre d’une pratique d’une régulation de la concurrence plus unitaire, pour la simple raison que la règle de la séparation des fonctions d’instruction et d’enquête ne constitue pas, à elle seule, un gage suffisant de protection effective et efficace des droits de la défense.

D’autre part, l’article 5 du règlement intérieur de l’Autorité de la concurrence oblige le conseiller auditeur à signer une déclaration sur l’honneur d’exercer ses fonctions en pleine indépendance.

Sur le plan décisionnel, le conseiller auditeur n’a aucune compétence décisionnelle, puisque cette prérogative est exercée collégialement par les membres de l’Autorité de la concurrence, à l’issue de la séance. Ses pouvoirs se limitent à transmettre au président de l’Autorité un rapport évaluant ses observations et proposant, si nécessaire, des actes améliorant l’exercice des droits des parties. Le champ d’intervention restreint du conseiller auditeur revient en quelque sorte à replacer le président de l’Autorité au cœur de l’instruction.

Il serait toutefois imprudent d’en déduire que le conseiller auditeur ne joue pas de rôle actif dans le déroulement de la procédure. Bien au contraire, il apparaît, en pratique, non seulement comme un expert particulièrement compétent, mais aussi comme un bon négociateur pour tenter d’obtenir que les droits des parties soient exercés et protégés de manière satisfaisante avant même que le collège n’ait à trancher d’éventuelles difficultés.

Pour pouvoir remplir son office de manière effective, le conseiller auditeur ne doit pas donner prise à aucun soupçon relatif à son indépendance, ni donner lieu à des accusations de la part de certaines parties.

C’est ce principe qui a conduit le législateur à exiger que le conseiller auditeur ait la qualité de magistrat particulièrement expérimenté du droit français et communautaire de la concurrence ou qu’il présente des garanties d’indépendance et d’expertise équivalentes pour prévenir toute possibilité de conflit d’intérêts, et à soumettre sa nomination à l’avis préalable du collège de l’Autorité [2].

Mieux encore, s’il estime qu’une affaire soulève une question relative au respect des droits des parties, le conseiller auditeur peut soit se saisir d’office, soit intervenir directement auprès du rapporteur général pour appeler son attention sur le bon déroulement de la procédure et lui proposer des mesures destinées à améliorer l’exercice des droits des parties.

Dans un tel cas, il devra recueillir les observations complémentaires des parties ainsi que celles du rapporteur général sur le déroulement de la procédure.

Il pourrait, au demeurant, jouer sur toutes ces questions un vrai rôle de médiation, au-delà de celui d’un simple expert procédural.

Maître Mourad Medjnah Avocat à la Cour d'appel de Paris Docteur en droit à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) Docteur en droit de la concurrence Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) Cabinet d'avocat Medjnah 5, avenue des Chasseurs 75017 Paris Mail: [->m.medjnah@gmail.com]

[1Art. R461-9 du Code de commerce.

[2Art. L461-4 du Code de commerce.