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Projet de loi bioéthique « PMA pour toutes » voté le 29 juin 2021 : vraie-fausse évolution ? Par Noémie Houchet-Tran, Avocat.
Parution : lundi 26 juillet 2021
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Ou les conséquences pratiques pour les Procréations Médicalement Assistées et les Gestations Pour Autrui réalisées à l’étranger. Après des années de discussion, le Parlement a enfin voté la loi bioéthique le 29 juin 2021.

Une partie du texte porte sur la Procréation médicalement assistée.

La Procréation Médicalement assistée, avec ou sans tiers donneur, est désormais ouverte en France non seulement aux couples hétérosexuels mais également désormais aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

S’agissant des modalités, rien de bien nouveau. Les candidats doivent rencontrer toute une équipe médicale, se voir délivrer des informations sur la conservation des gamètes, sur la divulgation des informations non identifiantes recueillies auprès du tiers donneur, sur le caractère irrévocable de la filiation établie…Ils doivent réitérer leur consentement sous un mois après le premier entretien. Lorsqu’il y a un recours à un tiers donneur, comme dans la grande majorité des cas, le consentement doit se faire devant notaire. Il est révocable jusqu’à l’implantation des gamètes.

La seconde relative nouveauté concerne les couples de femmes puisqu’on voit apparaître la reconnaissance conjointe comme mode d’établissement de la filiation.

On ne parlerait donc plus seulement de « reconnaissance de paternité » mais aussi de reconnaissance de maternité, même si cette expression n’est pas utilisée dans le texte. Il y eut un long débat à ce sujet. On a même pu évoquer notamment une présomption de maternité en faveur de l’épouse de la mère.

Pourquoi fausse nouveauté ?

Le droit français permettait-il jusque là d’établir une filiation non conforme à la réalité biologique ? Oui. S’agissant des pères, leur filiation légale pouvait déjà être établie en l’absence de tout lien biologique avec l’enfant : c’était le cas avec une PMA par un couple hétéro-sexuel avec tiers donneur ou tout simplement dans le cadre d’une présomption de paternité de l’époux et/ou d’une reconnaissance par un père qui n’est pas le réel géniteur de l’enfant … S’agissant des mères, dans le cadre d’une PMA avec une donneuse d’ovocytes, la mère n’avait pas de lien biologique avec l’enfant.

Qu’est-ce qui bloquait donc pour établir une seconde filiation maternelle ? Toujours ce même principe contenu dans notre Code civil qui fait difficulté : la mère est celle qui accouche.

Mais force est de constater que dans ce même Code civil, la contestation de maternité et l’établissement judiciaire de la maternité ont toujours été prévus. S’il n’existait aucun autre moyen d’établir une filiation maternelle, dans ce cas les actions en contestation de maternité ne concerneraient que des fraudes d’identité ou des erreurs grossières lors des formalités de déclaration de naissance à la maternité.

Il y a donc bien une avancée sur le sol français, en droit interne : une PMA ouvertes à toutes et une reconnaissance conjointe pour établir directement la double filiation.

Mais quid des parents français ayant choisi de réaliser une PMA à l’étranger ?

Depuis des années, les célibataires ou les couples n’entrant pas dans les conditions restrictives du Code civil partent à l’étranger pour réaliser une PMA. Rencontraient-ils des difficultés ? Des obstacles pratiques, bien entendu : trajets, temps perdu, coût supplémentaire... Mais la bataille juridique était assez rare et pour cause. Dans beaucoup de cas, l’opération pouvait passer inaperçue et la femme ayant réalisé une PMA à l’étranger était suivie en France et pouvait accoucher sur le territoire français.

L’acte de naissance de l’enfant est donc établi comme n’importe quel autre… avec le nom de la maman qui accouche. Le conjoint de cette maman devait reconnaître l’enfant tandis que la conjointe devait quant à elle être mariée à la maman et adopter l’enfant par la suite.

Lorsque l’accouchement a lieu à l’étranger et que le pays en question permet l’établissement direct d’une double filiation, se posait en revanche la question de la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né à l’étranger d’une PMA.

La transcription, rappelons-le, vise à recopier un acte d’état civil étranger sur les registres d’état civil français dès lors qu’une des parties est de nationalité française. Cette formalité sert notamment à obtenir un passeport français mais elle n’est pas obligatoire et son refus ne remet nullement en cause la validité intrinsèque de l’acte étranger : qui sommes-nous pour aller contester un acte délivré par une autorité étrangère ? Une absence ou un refus de transcription ne remet pas plus en cause la filiation de l’enfant. La Cour de cassation l’a encore rappelé dans un arrêt du 18 novembre 2020 [1] « l’ action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant (…) n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation », laquelle est établie dans le pays de naissance de l’enfant selon son propre droit.

Quand la PMA dument réalisée à l’étranger était faite par un homme et une femme ou par une femme seule, la transcription de l’acte de naissance de l’enfant n’a jamais posé difficulté, peu importe la présence de tiers donneur et peu importe les différences entre les conditions posées par le droit étranger et le droit français. La discrimination s’opérait envers les couples de femmes toujours avec ce principe selon lequel « la femme est celle qui accouche » : la transcription s’est longtemps faite uniquement pour la mère qui accouche, l’autre devant adopter son propre enfant pour figurer sur l’acte transcrit.

Une autre discrimination apparaissait pour les couples ayant eu recours à une gestation pour autrui : tandis qu’il est parfois possible d’avoir deux parents d’intention parents biologiques avec ce procédé même si cela est assez rare en pratique, le fait de faire appel à une mère porteuse empêchait les parents d’intention de transcrire complètement leur acte de naissance au nom du même principe : « la femme est celle qui accouche ». Pourtant, la gestation pour autrui est une technique parmi d’autres de procréation médicalement assistée. Elle n’est simplement pas permise sur le territoire français, comme la PMA pour les célibataires ou pour les couples de femmes jusqu’au vote de cette loi.

Le 18 décembre 2019, la Cour de cassation avait enfin aligné sa jurisprudence sur les GPA et les PMA réalisées à l’étranger dans des conditions non prévues par le droit français.

Au terme de trois arrêts en date du 18 décembre 2019 [2], la Cour de cassation avait aligné la situation des enfants de parents français issus de GPA ou de PMA pratiquées à l’étranger. Dans ces arrêts, la Cour de cassation rappelle que la transcription est une formalité facultative et qu’il ne s’agit pas de revenir sur une filiation légalement établie à l’étranger. Elle ordonne la transcription complète des actes de naissance.

Ainsi, elle (la Cour) considère en effet qu’en présence d’une demande de transcription, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une GPA ni la circonstance que l’acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ou parent ne constituent des obstacles à la transcription, à condition toutefois que l’acte étranger soit régulier, exempt de fraude et conforme au droit de l’État dans lequel il a été́ établi [3].

Cette jurisprudence a été réitérée.

Dans deux arrêts du 4 novembre 2020 (RG 19-15739 et RG 19-50042), la Cour de cassation, ayant à statuer sur une demande d’adoption par le conjoint du père, seul parent figurant sur l’acte de naissance de l’enfant né au Mexique dans le premier arrêt et en Inde dans le second arrêt, a rappelé que :

« le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Encore plus récemment, dans l’arrêt déjà cité du 18 novembre 2020 [4], la Cour de cassation a rappelé que « les mêmes impératifs et la nécessité d’unifier le traitement des situations ont conduit à une évolution de la jurisprudence en ce sens qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du Code civil [5] ».

La position est donc bien claire depuis un an et demi : l’acte de naissance d’un enfant issu de n’importe quelle PMA, y compris une GPA, régulièrement réalisée à l’étranger, c’est à dire respectant les critères du droit local, doit être transcrit si ce dernier est suffisamment probant du lien de filiation établi à l’étranger.

Quand on parle donc de « régularité » de l’acte de naissance local, on parle donc de régularité formelle : bon orthographe et identité conforme, bon lieu de naissance, bonne signature, apposition de l’apostille ou légalisation éventuelle…

Quand on parle de régularité selon le droit étranger, il faut donc fouiner dans ce droit étranger et regarder si les conditions étaient bien réunies pour réaliser cette PMA.

Par exemple, pour les GPA, nombre de pays ne permettent l’opération que pour des couples mariés. L’infertilité du couple revient également souvent comme condition. L’abandon des droits éventuels de la mère porteuse si elle ne figure pas clairement dans le droit étranger nous semble devoir être systématiquement vérifié, comme c’est le cas en matière d’adoption internationale.

Revenons-en donc à ce projet de loi bioéthique voté le 29 juin 2021. Quel apport pour ces couples partis à l’étranger ?

L’article 6 du projet de loi nous indique que pendant 3 ans à compter de la publication de la présente loi, les couples de femmes ayant réalisé une PMA à l’étranger peuvent aller faire la reconnaissance conjointe devant notaire pour établir la filiation d’une maman 2 dont la filiation n’aurait donc pas encore été établie.

Donc si jamais Mesdames, vous aviez encore un acte de naissance français ne faisant figurer que la maman qui a accouché, vous aurez vraisemblablement plusieurs solutions :
1. Vous faites la reconnaissance conjointe devant notaire et vous renvoyez le tout au Procureur de la République de Nantes ;
2. Vous avez un acte étranger avec vos deux noms et vous (r)envoyez donc une nouvelle demande de transcription basée sur la jurisprudence de la Cour de cassation de décembre 2019 et postérieure ;
3. Vous faites une adoption pour que la maman 2 adopte son propre enfant ;
4. Vous ne faites rien, votre filiation a déjà été établie à l’étranger, laquelle est reconnue automatiquement par la France et l’enfant a déjà son passeport français parce que maman 1 était française ou parce que vous avez sollicité un certificat de nationalité française.

Le projet ne vient donc pas révolutionner votre situation mais vous offre une option supplémentaire et une vraie reconnaissance de principe.

Vous avez fait appel à une mère porteuse ? Il semble que l’article interdisant les transcriptions complètes d’actes de naissance d’enfants issus d’une GPA ait finalement disparu de ce texte définitif. Ouf ! On ne commentera donc pas le contenu de cet article.

L’article 7 du projet de loi semble toutefois vous être destiné : il est indiqué que l’article 47 est complété avec cette phrase : « celle-ci est appréciée au regard de la loi française ».

Rappelons donc ce que dispose l’article 47 actuel :

« tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Donc on comprend que la « réalité » doit être « appréciée au regard de la loi française ». Donc on apprécierait une réalité au regard de la loi du for….

On comprend entre ces lignes quelque peu obscures que le message des parlementaires de « la réalité appréciée au regard de la loi française » doit correspondre au principe selon lequel la mère est celle qui accouche. Mais rappelons-leur que de toute façon les qualifications, en droit international privé, sont déjà faites lege fori.

Plus généralement, cet ajout ne nous semble pas pouvoir remettre en cause la nature probatoire de cet article 47 d’une filiation déjà légalement établie à l’étranger.

La juste analyse et l’actuelle jurisprudence de la Cour de cassation ne semblent pas ébranlées par cet ajout, même si nul doute que quelques irréductibles seront tentés tôt ou tard de s’en servir.

En résumé, si le projet de loi bioéthique dans sa version définitive permet une avancée significative sur notre territoire pour les candidats à la PMA, il visait initialement et très paradoxalement à faire machine arrière pour les candidats tentant leur chance à l’étranger.

Le texte voté ce 29 juin dernier ne semble finalement n’avoir aucun impact majeur sur la jurisprudence actuelle.

Elle conforte incontestablement la jurisprudence pour les PMA réalisées à l’étranger par des couples de femmes.

On pourrait même y voir un moyen de conforter aussi la jurisprudence actuelle pour les GPA, en dépit de l’intention du législateur : si la reconnaissance conjointe est offerte dans ce texte aux couples de femmes ayant réalisé une PMA à l’étranger avant la publication de la loi et ayant selon les termes du texte une filiation de l’enfant établie uniquement avec la mère qui a accouché afin d’« établir » a posteriori une double maternité, il est clair que le principe selon lequel la mère est celle qui accouche ne saurait plus constituer un obstacle pour « établir » une filiation maternelle envers une mère d’intention qui n’aurait pas accouché.

On ne voit donc pas comment on pourrait encore invoquer ce principe pour refuser une transcription d’acte de naissance d’un enfant issu d’une PMA, quelle qu’elle soit.

Noémie HOUCHET-TRAN Avocat au Barreau de Paris nhtavocat.com Spécialiste en Droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine Droit international de la famille

[1RG 19-50043

[2RG 18-12327, 18-11815 et 18-14751.

[3Communiqué de la cour de cassation du mercredi 18 décembre 2019, Arrêt n°1111 et Arrêt n°1112.

[4RG 19-50043

[51re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.327, publié, et 1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.815, publié.