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La clause de non-sollicitation d’un contrat d’agent commercial doit être proportionnée. Par Arnaud Boix et Philippe Selosse, Avocats.
Parution : mardi 27 juillet 2021
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La clause de non-sollicitation d’un contrat d’agent commercial doit être proportionnée sous peine d’être jugée nulle. Par un arrêt rendu le 27 mai 2021 (Cass. com. 27 mai 2021, n°18-23261), la Cour de cassation apporte d’utiles précisions sur la portée des clauses de non-sollicitation liant plusieurs entreprises d’un même secteur faisant appel à des agents commerciaux pour vendre leurs produits.

Dans le domaine de la vente de fournitures de bureautiques et éducatives, deux sociétés « X » et « Y » appartenant à un même groupement concluent avec d’autres concurrentes dont la société « Z », une charte par laquelle chacune des parties :

« s’engage, sauf accord explicite dérogatoire entre les parties concernées, à n’embaucher, directement, indirectement ou par personne interposée, aucun commercial, quel que soit ou quel qu’ait été son statut, employé par un autre membre du groupement ou ayant été employé par un autre membre du groupement et ayant quitté celui-ci depuis moins d’un an ».

Dix ans plus tard, « X » et « Y » violent l’engagement. Elles recrutent plusieurs « commerciaux » travaillant ou ayant travaillé pour « Z ».

Cette dernière engage une action en responsabilité contractuelle fondée sur la violation de la clause et demande une indemnisation aux deux entreprises qui ont recruté un agent commercial libre de tout contrat et de toute clause de non-concurrence, mais qui poursuivait la vente de produits identiques à ceux de son ancien mandant.

La Cour d’appel de Dijon admet la responsabilité de X et Y pour violation de la clause de non-sollicitation, mais écarte le grief de responsabilité pour concurrence déloyale.

X et Y forment un pourvoi en invoquant l’invalidité de la clause.

Z forme un pourvoi en soutenant que le comportement de X et Y constitue une faute au regard de l’article 1382 du Code civil (actuel article 1240 Code civil).

En raison de leurs liens étroits, les deux pourvois sont joins donnant lieu à un arrêt riche d’enseignements. Dès lors, attardons–nous sur la première partie de cette décision consacrée à la validité de la clause de « non-sollicitation » ou « non-recrutement ».

La clause de non-sollicitation conclue « entre deux entreprises concurrentes » doit être « proportionnée » aux intérêts légitimes qu’elle est censée protéger.

Généralement conclue au sein de réseaux de distribution, entre un prestataire et son client ou à l’occasion d’un accord de coopération, cette clause vise à empêcher une entreprise de s’accaparer le savoir-faire, les connaissances techniques et les méthodes d’une autre entreprise en recrutant ses salariés et collaborateurs.

Autrement dit, la clause de non sollicitation tend à préserver une entreprise contre le débauchage déloyal mené afin de capter la clientèle et les parts de marché d’une entreprise.

Bien qu’elle en ait l’allure, cette clause n’est « ni une variante ni une précision » de la clause de non-concurrence (Cass.com., 11 juill. 2006, n° 04-20.438). En principe, cette clause ne restreint pas la liberté de travail du salarié ou de l’agent commercial, mais contraint uniquement les entreprises signataires à ne pas recruter. Pour cette raison, contrairement à la clause de non-concurrence, la clause de non-sollicitation ne doit pas être limitée dans le temps, l’espace et ne donne pas droit à une indemnité.

Toutefois, selon l’arrêt rendu le 27 mai 2021, il en va autrement lorsque la clause est conclue tel un pacte de non-agression « entre deux entreprises concurrentes ».

Au cas d’espèce, la Cour de cassation considère que la clause litigieuse portait atteinte à la liberté du travail et d’entreprendre des « personnes contractuellement liées », quel que soit leur statut (responsable des ventes, VRP, agent commercial).

Par conséquent, la Cour considère que pour être valide, le périmètre de l’interdiction de la clause de non-recrutement (durée, entreprises concernées, activités, zone géographique) doit être « proportionnée aux intérêts légitimes » de l’entreprise qui veut se prémunir contre la déloyauté d’un partenaire ou d’un concurrent tenté de débaucher la force de travail de son entreprise.

En d’autres termes, il ne faut pas restreindre excessivement la liberté de travail et d’entreprendre des « commerciaux » objets de la clause, sous peine de nullité de celle-ci.

En prise avec les enjeux économiques et concurrentiels, l’on peut évidemment saluer cette décision.

En effet, il est n’est pas rare que plusieurs entreprises en position de monopole ou de domination sur un même marché se regroupent et concluent un pacte de non-recrutement ayant des effets parfois identiques à ceux d’une clause de non-concurrence.

Dans les deux cas, clauses de non-sollicitation et clauses de non-concurrence sont susceptibles de cloisonner le marché et restreindre de manière excessive la liberté d’établissement de l’agent commercial ou du collaborateur engagé auprès de ces entreprises.

Ainsi, il apparaît souhaitable que la validité de la clause qui interdit le recrutement « entre deux concurrents » soit appréciée sous le prisme du contrôle de proportionnalité, à l’instar d’une clause de non-concurrence.

Dans cette logique, puisque la clause litigieuse est censée prémunir son bénéficiaire contre le détournement de clientèle, la Cour ajoute que les agissements à l’origine de la violation de la clause sont susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur qui se rend coupable d’actes relevant du « parasitisme ».

(Retrouvez la seconde partie de cet article ici.)

Arnaud Boix, Avocat Philippe Selosse, Avocat. Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com