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Recruter un agent commercial peut engager votre responsabilité ! Par Arnaud Boix et Philippe Selosse, Avocats.
Parution : jeudi 29 juillet 2021
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Faisant suite à notre précédent commentaire (à lire ici.) consacré à l’arrêt rendu le 27 mai 2021 (Cass. com. 27 mai 2021, n°18-23261), attardons-nous désormais sur le second volet de la décision commentée qui ne manquera pas de retenir l’attention des entreprises désireuses de recruter un agent commercial libéré de tout engagement.
En résumé, la Cour de cassation considère que l’absence de clause de non-concurrence n’exclut pas la responsabilité d’une société qui recrute un agent commercial libéré de son ancien mandant.

En l’espèce, après avoir constaté que l’agent recruté vendait des produits identiques à ceux commercialisés par son ancien mandant, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel qui a écarté la responsabilité de la société « Y » sans rechercher si cette dernière n’avait pas commis des « actes relevant du parasitisme ».

Pourtant, l’agent commercial n’était pas tenu par une clause de non-concurrence et n’était plus sous contrat avec son ancien mandant lequel ne lui imposait aucune exclusivité puisqu’il avait toute liberté pour s’engager auprès d’autres mandants.

Dès lors, il convient de se pencher sur la notion de parasitisme économique définit de manière constante par la jurisprudence comme « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » [1].

Ainsi, indépendamment de toute situation de concurrence ou de risque de confusion entre deux sociétés, peuvent être qualifiés de parasitisme le « détournement » [2] ou la « captation » d’une valeur économique ou d’un savoir-faire par la reprise « systématique » des travaux, des méthodes, des publicités, des fichiers clients, d’un carnet d’adresses d’un autre agent économique.

A ce titre, l’arrêt commenté nous rappelle que la responsabilité pour parasitisme est issue du principe général visée à l’article 1240 du Code civil selon lequel : « Tout fait quelconque de l’Homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il arrive à le réparer ».

En application de ce texte, il est utile de rappeler que le parasitisme peut être sanctionné sans que la preuve d’un lien de causalité entre la faute et le dommage soit établie. Le préjudice est induit de la faute.

En l’espèce, le recrutement de l’agent libéré de tout engagement s’inscrivait dans le cadre d’un « départ massif » de commerciaux recrutés en dépit de la clause de non-sollicitation pour vendre les mêmes produits.

L’on pourrait s’étonner de cette décision qui envisage la responsabilité du nouveau mandant pour parasitisme alors que le grief de la concurrence déloyale a été écarté par la Cour d’appel de Dijon. Rappelons à cet égard que le « débauchage massif » entrainant la désorganisation d’une entreprise est un acte constitutif de concurrence déloyale et entraine le paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil précité.
Dans ces conditions, une question se pose : le parasitisme, pourrait-il devenir un nouveau palliatif de l’action en concurrence déloyale ?

Alors que l’action en concurrence déloyale nécessite de prouver l’existence d’un débauchage « massif » entrainant une « désorganisation » de l’entreprise victime [3], l’action en parasitisme implique (seulement) de démontrer le détournement de la valeur économique d’autrui.

Bien que cohérente et équilibrée, cette décision mérite donc des éclaircissements sur la qualification de parasitisme appliqué dans le contexte du recrutement d’agents commerciaux. En somme, le recrutement de l’agent commercial libéré de tout engagement pourrait-il être systématiquement sanctionné pour parasitisme dès lors qu’il se met à vendre sous une autre bannière des produits identiques ?

En définitive, la prudence s’impose. Il appartient aux entreprises souhaitant recruter un agent commercial pour le faire évoluer dans un secteur concurrent de son ancien mandant, même non soumis à une clause de non-concurrence de ne pas le faire au mépris de la loyauté contractuelle qui est due en vertu d’une clause de non-sollicitation.
En toute logique, l’agent commercial complice qui prendrait une part active au « recrutement massif » pourrait également voire sa responsabilité engagée.

Arnaud Boix, Avocat Philippe Selosse, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com

[1Cass. com. 4 fév. 2014, n°13-11.044 – Cass ; com. 26 janv. 1999, n° 96-22.457.

[2Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2005, n° 03-21.154

[3Cass. com. 23 juin 2021, n°19-21911