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Conduire en France avec un permis étranger : le cas des étrangers non européens. Par Abdoul Bah, Juriste.
Parution : mardi 27 juillet 2021
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Il est possible de conduire en France avec un permis de conduire délivré par un Etat non européen dans certaines situations. Cette possibilité peut dépendre dudit Etat ou de la nature du titre de séjour du ressortissant étranger.

1 - De l’autorisation temporaire de conduire à l’obligation d’échange du permis de conduire.

Plusieurs conditions sont requises pour bénéficier du droit de conduire en France avec un permis de conduire étranger non européen, au nombre desquelles figure l’existence d’un accord de réciprocité entre la France et l’Etat étranger de délivrance du permis.

En effet, tout permis délivré par un Etat figurant parmi les Etats [1] ayant conclu un accord de reconnaissance et d’échange de permis de conduire avec la France, permet à son titulaire de conduire en France pendant un délai d’un an à compter de l’acquisition par ce dernier de son titre de séjour [2]. Il peut demander l’échange du sien contre un titre de conduite français, mais à condition de le faire dans ce délai annuel [3].

A contrario, lorsque l’Etat ayant délivré le permis n’est pas du nombre de ceux ayant conclu ce type d’accord avec la France, aucune demande d’échange n’est admissible de ce point de vue, sauf exception (laquelle d’ailleurs a été supprimée à l’occasion d’une récente réforme).

Précisément, jusqu’à l’intervention de l’arrêté du 9 avril 2019 modifiant celui du 12 janvier 2012 visé en référence, une catégorie de personnes était admise à faire cette demande, alors même qu’il n’existait point d’accord entre la France et l’Etat de délivrance du permis : Il s’agit des réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection internationale [4].

La suppression de cette dérogation a eu pour conséquence donc de généraliser le principe de l’existence préalable dudit accord de réciprocité pour toute demande d’échange de permis délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen.

Concernant la demande d’échange, le délai prévu pour ce faire court à compter de la remise du récépissé constatant la reconnaissance de la protection internationale aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire [5], de la date de début de validité du titre de séjour ou du premier visa long séjour dans les autres cas. Si ce délai est révolu ou si sa demande n’a pas abouti, son permis n’est plus valable, auquel cas il doit réussir l’examen du permis de conduire national pour conduire en toute légalité [6].

Conduite avec un permis de conduire non échangeable ou non échangé : sanctions.

Ne pas solliciter l’échange du permis dans le délai d’un an prévu est constitutif de délit de conduite sans permis [7], une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (des peines pouvant être doublées en cas de récidive), auxquels se rajoutent des peines complémentaires (immobilisation ou confiscation du véhicule, l’interdiction temporaire de conduire, une peine de travail d’intérêt général etc.).

Toutefois, dans un but de désengorger les juridictions, cette infraction peut faire l’objet uniquement d’une sanction pécuniaire selon les situations, sauf cas de récidive.

En effet, un conducteur non récidiviste s’expose au paiement d’une amende forfaitaire de 800 euros minorée à 650 s’il la règle dans un délai de 15 jours à compter de la réception de l’avis d’infraction, majorée à 1 600 euros s’il ne règle pas dans un délai de 45 jours.

Il arrive en plus que le juge retienne une responsabilité indirecte du propriétaire (complicité de conduite d’un véhicule sans permis) qui met son véhicule à la disposition d’un individu alors qu’il sait que celui-ci n’est pas titulaire d’un permis ; ce faisant, il a ainsi sciemment facilité la consommation du délit de conduite sans permis [8].

2 - Une autorisation temporaire de conduire tenant à la nature du titre de séjour.

Les étrangers non européens séjournant en France avec des titres de séjour définis, sont autorisés à y conduire avec leur permis sans être soumis à l’obligation d’échange, et ce pendant toute la durée de leur séjour, sous réserve de changement de leur statut.

En effet, sont toujours épargnés de cette obligation, notamment les titulaires d’une carte de séjour « étudiant  », de l’« APS » (Autorisation provisoire de séjour) renommée désormais carte de séjour « recherche d’emploi et création d’entreprise », ainsi que les bénéficiaires d’un récépissé constatant le dépôt d’une demande d’asile [9].

S’agissant ces derniers, on serait tenté de croire que la généralisation de la condition de réciprocité est de nature à priver de l’autorisation temporaire de conduire avec leur permis, une partie des demandeurs d’asile.

En tout état de cause, il y a fort à parier que ladite autorisation continue de bénéficier à tous les demandeurs d’asile sans distinction quand bien même que certains, après l’admission au statut de réfugiés, ne peuvent plus demander l’échange de leur permis ; d’ailleurs on pourrait s’en rassurer par le fait que la circulaire référencée, consacrant ce droit à tout demandeur d’asile, demeure opposable par les administrés conformément aux articles L312-2 et L312-3 du CRPA, ce d’autant qu’elle a été déclarée comme telle le 1er janvier 2019 [10].

En outre, les étrangers non européens titulaires d’un visa court séjour (vacances etc.) ou d’un titre de séjour spécial du ministère des Affaires étrangères en cours de validité, bénéficient, indépendamment de l’Etat de délivrance de leur permis, du droit de conduire en France, et ce pendant toute la durée de leurs droits au séjour [11].

Perd-il le bénéfice de ses dispositions, le titulaire d’une carte de séjour « étudiant » qui acquiert la nationalité française en cours d’études ?

Nous répondons par l’affirmative, car c’est un droit rattaché à la nature de son titre de séjour et non à sa qualité d’étudiant simplement, et ce même s’il a gardé la nationalité de l’Etat de délivrance de son permis.

En conclusion, sur le cas particulier de la généralisation de la condition de réciprocité depuis 2019 - laquelle au demeurant a privé bon nombre de réfugiés du droit d’échanger leur permis -, on pourrait s’interroger sur le bien-fondé de ce aménagement restrictif susceptible de rompre l’égalité entre des personnes qui sont, pourtant, bénéficiaires du même statut, eu égard aux obligations internationales de la France en application de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

En ce sens d’ailleurs, la Défenseure des droits considère que l’extension de l’exigence d’un accord de réciprocité à toutes les demandes émanant de réfugiés, n’est pas conforme à l’obligation internationale incombant à France d’apporter à ceux-ci une aide administrative pour l’échange de leurs permis étranger ; par conséquent, elle recommande au ministère de l’intérieur, notamment de rétablir la dérogation à cette exigence telle qu’elle existait avant la modification issue de l’arrêté du 9 avril 2019 [12].

Abdoul Bah Juriste

[1La liste indicative des accords, publiée en annexe de la circulaire du 3 août 2012 relative à la mise en œuvre de l’arrêté du 12 janvier 2012, a été actualisée le 1er octobre 2019, puis le 31 mars 2020.

[2Art. R222-3 du code de la route.

[3V. art. 4 de l’arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions relatives à la reconnaissance et à l’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen.

[4V. Note d’information du 29 mai 2019. NOR : INTSI911997N.

[5CE, 13 avril 2018, n°413435.

[6V. Rép. min. publiée au JO le 29/12/2020 page : 9735.

[7Douai, 23 oct. 2006 : Jurispr. Auto 2007. 300.

[8Crim. 14 déc. 2010, n°10-81.189.

[9V. circulaire du 3 août 2012 NOR : INTS1232024C.

[10V. Décision de la défenseure des droits n°2020-240 du 11 déc. 2020, p.8.

[11V. art. 9 et 10 de l’arrêté cité en référence.

[12Cf. décision Défenseure des droits.

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