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[Point de vue] Biens mal acquis... ne profite (presque) jamais. Par Patrice Le Maigat, Maître de conférences.
Parution : mardi 10 août 2021
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La France adopte un mécanisme de restitution des avoirs saisis dans les affaires dites des « biens mal acquis », sur la base du très critiqué article 706-164 du Code de procédure pénale, et ouvre une nouvelle boite de Pandore.
Entre aide publique au développement, solidarité internationale, et action humanitaire, la confusion s’annonce inévitable.

Quand l’Etat français se donne bonne conscience.

Après un vote à main levée du Sénat et avec le sentiment du travail accompli, le Parlement a adopté le 20 juillet 2021, le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui crée notamment un dispositif inédit de restitution aux populations concernées des avoirs saisis dans les affaires dites de « biens mal acquis » par des dirigeants et chefs d’Etats étrangers, ou leurs proches.
Issue de ce vote, la loi 2021-1031 du 4 août 2021 (JO du 5 août 2021), a désormais vocation à s’appliquer en matière de restitution des recettes provenant des ventes des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées en France dans des procédures judiciaires de ce type, dans le respect de la Convention des Nations Unies sur la corruption de Merida du 31 octobre 2003.

Hasard du calendrier, l’arrêt de la Cour de cassation du 28 juillet 2021 confirmant la condamnation du vice-Président de la Guinée Equatoriale Teodorin Nguema Obiang Mangue pour détournements de fonds publics va très rapidement permettre d’expérimenter les nouvelles dispositions législatives et d’en définir les limites.

Dans la pratique, la restitution des biens mal acquis est donc désormais possible, mais la mise en œuvre de cette sanction s’annonce juridiquement et politiquement périlleuse, puisqu’au lieu d’être absorbées dans le budget de l’Etat, les sommes provenant de la vente des biens saisis seront affectées à une ligne budgétaire spécifique, sous la responsabilité du ministère des Affaires Etrangères, et transférer à l’Agence Française de Développement (AFD), afin de financer des actions de coopération et de développement, « au cas par cas ».

Du point de vue juridique, le fondement de ces nouvelles dispositions repose sur l’article 1er du projet de loi relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales qui précise que « dans le cadre de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, et sous réserve de l’article 706-164 du code de procédure pénale, sont restituées, au plus près de la population de l’État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l’une des infractions prévues aux articles 314-1, 432-11 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-4, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-10 du Code pénal, lorsque la décision judiciaire concernée établit que l’infraction d’origine a été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique d’un État étranger, chargée d’un mandat électif public dans un État étranger ou d’une mission de service public d’un État étranger, dans l’exercice de ses fonctions, à l’exclusion des frais de justice. »

Au cœur du dispositif, l’article 706-164 du Code de procédure pénale, est un mécanisme autonome de réparation, en vertu duquel « Toute personne qui, s’étant constituée partie civile, a bénéficié d’une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait d’une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n’a pas obtenu d’indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l’article 706-15-1, peut obtenir de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par une décision définitive et dont l’agence est dépositaire en application des articles 706-160 ou 707-1. […] »,. Il s’agit en fait d’un mécanisme de subrogation de l’Etat dans les droits de la partie civile à concurrence des sommes versées dans le cadre d’une action récursoire laissée à l’initiative de l’AGRASC elle même, dont l’application en droit interne est discutable.

Dans le cadre particulier des affaires liées aux « biens mal acquis », on peut légitimement se poser la question de la mise en œuvre concrète du mécanisme de restitution sur le fondement de l’article 706-164 du CPP, notamment lorsqu’il s’agit de choisir la structure chargée de gérer les projets financés et l’allocation des fonds. En effet, la loi ne dit rien de l’encadrement de cette coopération d’un nouveau type et ne définie pas les principes de transparence, de redevabilité et d’inclusivité, si chers aux organisations internationales. Elle ne précise pas non plus les modalités de contrôle de la procédure.

Or, ces aspects sont essentiels, afin que l’argent ne reparte pas dans des circuits de corruption.

Par ailleurs, le principe de restitution « au cas par cas » interroge. Quelles en seront les modalités ? Y aura-t-il une instance ou un observatoire pour contrôler toutes les étapes du processus de restitution ? Des sanctions seront-elles prévues, et si oui de quelle nature et à quel niveau ?

Le dispositif est donc loin d’être abouti et de nombreuses questions restent en suspens, y compris sur l’opportunité même de cette loi de solidarité internationale, adoptée sous la pression des ONG. A-t-on notamment anticipé le coût de gestion de ces opérations de restitutions ?

En étant très critique, et bien que la loi du 4 août 2021 modifie significativement le cadre (français) de la lutte contre la corruption au niveau international, on peut également se demander si en définitive, les populations spoliées seront réellement les premières bénéficiaires. Ne s’agit-il pas avant tout, comme l’a souligné le ministre des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Driant, « d’un texte essentiel pour notre diplomatie » ?

Affaire à suivre.

Patrice Le Maigat, Maître de conférences à l'Université de Rennes 1 Expert sectoriel justice et droits humains