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La résidence alternée : avantages / inconvénients. Par Barbara Régent, Avocate.
Parution : vendredi 30 juillet 2021
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La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le Code civil. L’article 373-2-9 du Code civil prévoit ainsi que la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents même en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant.

Cette organisation, qui donne, en théorie, la meilleure traduction au principe de l’exercice de l’autorité parentale conjointe, doit répondre à certaines conditions pratiques.

La résidence alternée est-elle faite pour mon enfant ? Quels sont, du point de vue de l’enfant, les atouts et les difficultés d’un tel système ? Le jeune âge de l’enfant est-il un obstacle à un temps parental équilibré ? A quelle distance les parents doivent-ils résider l’un de l’autre ? La résidence alternée est-elle possible en cas de mésentente, voire de conflit entre les parents ?

Nombreux sont les parents qui se posent ces questions légitimes avant d’envisager, au moment de leur séparation, une résidence alternée des enfants.

L’aide de professionnels peut souvent s’avérer précieuse pour éviter tout conflit préjudiciable à l’enfant, étant précisé que le Juge aux Affaires familiales peut imposer la résidence alternée aux parents même en cas de désaccord entre eux.

Avantages de la résidence alternée.

Très souvent, les droits de visite et d’hébergement « classiques » (le plus fréquemment un week-end sur deux pour le père et la moitié des vacances scolaires) créent des frustrations ou difficultés chez les deux parents.

En premier lieu, le second parent souhaite participer, lui aussi, à l’éducation des enfants qu’il ne voit que trop peu. Mais il est difficile de le faire en un week-end et la transmission de son patrimoine éducatif, intellectuel et social est amoindrie. Les beaux-parents peuvent également se sentir exclus de la famille recomposée et ne pas bénéficier d’un temps de présence suffisant avec l’enfant du conjoint.

Ensuite, le droit de visite classique génère de fortes contraintes organisationnelles pour le parent principal.

La résidence alternée :
- permet ainsi aux ex-conjoints d’être pleinement présents auprès de leur enfant sur leur temps. En récupérant des moments pour soi, dont on n’ose pas toujours s’avouer le besoin en raison du poids des convenances sociales, on peut tout à fait offrir aux familles une salutaire respiration ;
- permet à l’enfant de partager son quotidien avec chacun des parents, de tisser durablement le lien avec eux et leur entourage à parts égales, de faire des projets... Le rythme est non seulement prévisible, mais régulier. Il n’y a pas besoin d’une réadaptation rapide sur le temps court d’un week-end où le choc éducatif peut être compliqué à gérer, quel que soit l’âge de l’enfant.

Pour l’ensemble de ces raisons, la résidence alternée est aujourd’hui reconnue par les juges comme un système parfaitement conforme à l’intérêt de l’enfant, comme l’illustrent les extraits de décisions ci-dessous :

La résidence alternée

« présente l’avantage de favoriser le maintien et le développement de relations harmonieuses des mineurs avec chacun de ses deux parents » [1].

« L’alternance est un système simple, prévisible, qui permet aux enfants comme aux parents de se projeter dans l’avenir et de construire des projets fiables ; (…) ; elle permet aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs de nature différente mais complémentaires » [2] ;

« La résidence alternée (…) permet également aux parents de mettre une place une organisation pérenne afin d’accueillir une semaine entière l’enfant, chacun à son tour. Cette continuité hebdomadaire permet la mise en place de repères pour l’enfant identiques une semaine sur l’autre et d’un rythme défini à l’avance une fois pour toutes (…). La mise en place d’une résidence en alternance peut être tout à fait bénéfique pour l’enfant en lui permettant de développer avec chacun de ses parents de réelles relations et de continuer à se construire de la manière la plus équilibrée possible, en se nourrissant des apports spécifiques transmis par son père et par sa mère, un tel objectif ne pouvant être atteint que dans le cadre de relations fréquentes et régulières allant au-delà de simples hébergements de fins ou de milieux de semaine » [3].

Nous verrons dans une prochaine étude que la RA est précisément une organisation susceptible de pacifier le conflit parental par sa simplicité, sa prévisibilité et la reconnaissance de la place de chacun.

Les inconvénients de la résidence alternée.

En dépit de ces avantages reconnus de la résidence alternée, cette organisation n’est pas systématiquement la meilleure pour l’enfant. Rappelons en effet que le critère principal est celui de l’intérêt de l’enfant, toujours apprécié in concreto, c’est-à-dire au cas par cas. Seul le bien de l’enfant doit guider les parents et, en cas de désaccord, le juge pour fixer la résidence de l’enfant.

C’est pourquoi la résidence alternée est parfois déconseillée. Citons quelques objections à la mise en place d’un tel système :
- dans les cas de parents toxiques ou violents, à l’égard de l’autre parent et/ou des enfants, la résidence alternée sera naturellement à proscrire ;
- autre objection classique : la distance des domiciles entre les parents. Il s’agit d’une objection de bon sens. Chacun peut en effet admettre que l’enfant ne doit pas subir des trajets trop importants, au risque de perturber ses temps de vie et de repos ;
- mésentente des parents : certaines décisions de justice mettent en évidence la nécessité préalable d’une capacité d’entente entre les parents leur permettant d’assumer les contraintes de l’organisation pratique nécessaire à la mise en œuvre de la résidence alternée et de s’accorder sur les modes d’éducation de l’enfant. Toutefois, comme indiqué précédemment, la résidence alternée est fréquemment perçue, au contraire, comme un moyen d’apaiser le conflit parental existant ;
- quid enfin de l’âge de l’enfant ? Un enfant de moins de 3 ans a-t-il la capacité émotionnelle et les facultés d’adaptation lui permettant de « subir » une résidence alternée ? Quid entre 3 et 6 ans ? Les avantages qu’il peut en retirer au plan affectif sont-ils contrebalancés par les inconvénients en termes de stabilité de ses repères ? Toute la difficulté est qu’en la matière le consensus scientifique n’est pas établi. En effet, certaines visions des théories de l’attachement mettent fortement en doute la pertinence de la résidence alternée pour les enfants de moins de 6 ans alors que d’autres nuancent cette vision. Ainsi, la revue Attachment and Human Development, revue officielle de la très influente Society for Emotion and Attachment Studies, a publié le 11 janvier 2021 un article de consensus cosigné par 70 spécialistes de l’attachement [4]. Celui-ci affirme qu’accorder la priorité à l’un des parents pourrait compromettre le développement et le maintien des autres relations d’attachement de l’enfant.

En conclusion.

La résidence alternée n’est pas susceptible de concerner toutes les situations familiales. En effet, elle n’est parfois pas possible en raison d’un éloignement géographique, de l’état de santé d’un enfant ou d’un parent, de l’activité professionnelle, de spécificités particulières ou encore de la toxicité d’un parent...

Pourtant, cette organisation présente, globalement, un bénéfice sur le développement et l’équilibre de l’enfant.

En cas de désaccord entre les parents sur ce mode de résidence de l’enfant, les modes amiables sont naturellement à privilégier afin de mettre l’enfant à l’abri d’un conflit judiciaire, lequel peut avoir des répercussions profondes sur son développement, y compris à l’âge adulte. Tous les acteurs judiciaires doivent faire preuve d’une grande pédagogie en la matière, qu’il s’agisse des avocats qui doivent expliquer à leurs clients toutes les méthodes d’apaisement des différends ou des magistrats investis d’une mission de conciliation en application de l’article 21 du Code de procédure civile.

Si le conflit judiciaire n’a malheureusement pas pu être évité, la décision de résidence alternée peut être accompagnée d’une mesure de médiation familiale post-sententielle afin de réinstaurer le dialogue.

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice de l'association "Avocats de la Paix" https://www.regentavocat.fr/

[1Cass - Première chambre civile - 12 juin 2014 / n° 13-15.411.

[2Cour d’appel, Versailles, 2e chambre, 1re section, 9 Février 2017 - n° 16/08609 - Numéro JurisData : 2017-002293.

[3CA de Paris, Pôle 3 - Chambre 3, 1er juillet 2021, n° 20/12170.