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L’arrivée de Messi au Paris Saint-Germain au regard du Fair-Play Financier. Par Romain Catala, Juriste.
Parution : lundi 16 août 2021
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L’arrivée de Lionel Messi au Paris Saint-Germain déchaîne les passions et est l’objet d’une médiatisation sans précédent pour un tel transfert. Au-delà de cet emballement médiatique, une question entoure ce transfert : est-il en accord avec les règles du fair-play financier ? Ou autrement dit, s’est-il fait dans le respect de la norme ?
L’objet de cet article est d’expliciter quelles sont ces règles et d’analyser l’arrivée de Messi au regard de ces dernières.

L’entrée de nouveaux acteurs majeurs sur le marché du football et la redistribution des cartes qui s’en est suivie lors de la dernière décennie ne se sont pas faits, et ne se font toujours pas, sans heurts. Ces évolutions et leur caractère anxiogène pour les acteurs historiques ont amené les institutions du football, et en particulier l’Union des associations européennes de football (UEFA), à mettre en place le mécanisme du Fair-Play Financier (ou « FPF »). Ainsi, le Comité exécutif de l’UEFA a approuvé à l’unanimité, en septembre 2009, le concept du Fair-Play Financier [1], dont les règles ont été mises en œuvre dès 2011 [2].

L’arrivée de Lionel Messi au Paris Saint-Germain, qui déchaine les passions comme aucun autre mouvement de joueur ne l’a fait auparavant, s’inscrit dans ce contexte.

Ainsi, alors même que son arrivée au Paris Saint-Germain n’était pas actée, des recours en justice ont été entrepris par des tiers aux fins d’invalider cette arrivée [3] (au titre des articles 107 et 116 du TFUE et du non-respect du Fair-Play Financier). Il s’agit d’un phénomène, sinon nouveau, exceptionnel dans le monde du Football.

Ce mouvement de joueur va assurément bouleverser les cartes de la géopolitique footballistique européenne et mondiale. La Ville Lumière peut désormais s’enorgueillir de posséder le plus brillant des joyaux de la planète football. Mais comment analyser cette opération et sa conformité au Fair-Play Financier ? Ce mouvement doit s’appréhender en prenant en compte de ses aspects tant légaux qu’économiques et politiques.

Quels grands principes instaure le fair-play financier ?

Si les règles relatives au fair-play financier font l’objet de révisions périodiques (2012, 2015, 2018), son principe fondamental est resté sensiblement le même entre 2009 et aujourd’hui : ce principe consiste à obtenir un relatif équilibre budgétaire des clubs de football en ce qui concerne les revenus et les dépenses associés aux opérations sportives [4]. Logiquement, ce principe a pour conséquence de limiter des investissements que les clubs peuvent réaliser dans l’achat de nouveaux joueurs.

Ces règles, qui sont détaillées dans le Règlement de l’UEFA sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier et son addenda (le « Règlement ») [5], s’articulent autour de deux grands axes :
- L’obligation pour les clubs d’équilibrer leurs comptes pendant une certaine période d’évaluation (période correspondant généralement à trois années ou trois exercices) ;
- Celle de s’acquitter de leurs obligations liées aux transferts et de leurs obligations de paiement envers leur personnel.

Concrètement, la question posée dans le cadre de l’arrivée de Lionel Messi au Paris Saint-Germain est celle de l’équilibre des comptes de ce même club.

Ainsi, ce même Règlement sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier comporte des dispositions relatives à « l’exigence relative à l’équilibre financier » [6].

Le transfert de Lionel Messi doit tout particulièrement s’analyser au regard de la Règle de l’Equilibre Financier.

Qu’est-ce que la Règle de l’Equilibre Financier [7] ?

Depuis la saison 2013/14, les clubs doivent respecter les exigences relatives à l’équilibre financier qui fait interdiction aux propriétaires de clubs de décider de la mise en place d’un niveau de dépenses qui excéderait le niveau des revenus. Plus précisément, il s’agit de la différence entre les recettes et les dépenses considérées par l’UEFA comme « déterminantes » [8].

Les « recettes déterminantes » sont définies comme la somme des éléments suivants : recettes de billetterie, recettes de sponsoring et de publicité, recettes des droits de diffusion, recettes des activités commerciales, versements de solidarité et primes de l’UEFA, autres produits d’exploitation, profit et/ou recettes résultant de la cession d’inscriptions de joueurs, des excédents résultant de la cession d’immobilisations corporelles, et, enfin, des recettes financières et résultat de change [9].

Quant aux « dépenses déterminantes », il s’agit : des coûts de vente/des matériaux, des prestations en faveur du personnel et des autres charges d’exploitation, plus soit l’amortissement soit les coûts d’acquisition d’inscriptions de joueurs, les charges financières et les dividendes [10].

Le Règlement a déterminé un écart acceptable entre ces recettes et ces dépenses : les clubs sont autorisés à dépenser jusqu’à cinq millions d’euros de plus que ce qu’ils gagnent par période d’évaluation (soit une période correspondant à trois années).

Par ailleurs, le Règlement fait place à quelques exceptions au respect de l’équilibre financier.

Certains frais vont ainsi être exclus du calcul relatif à cet équilibre car jugés positifs et nécessaires par l’UEFA : les investissements réalisés dans les stades de football, les installations d’entrainement et le développement de la formation des jeunes joueurs ainsi que des dépenses relatives au secteur féminin font partie des exclusions du calcul de l’équilibre [11].

D’autre part, et c’est un élément clef dans l’analyse du dossier Lionel Messi, d’autres facteurs sont pris en compte dans le cadre des exigences liées à la surveillance [12] : notamment le « résultat prévisionnel global relatif à l’équilibre financier », autrement dit la projection financière sur les exercices à venir.

Si, classiquement, l’instance de contrôle financier des clubs de l’UEFA (l’« ICFC ») [13] prendra en compte le résultat prévisionnel global relatif à l’équilibre financier pour les périodes de reporting allant de l’exercice précédent au résultat prévisionnel de l’exercice futur (autrement dit N+1), l’ICFC pourra également étudier le plan d’activité à long terme du bénéficiaire de la licence (y compris les informations prévisionnelles relatives à l’équilibre financier jusqu’à la période de reporting N+4) afin de mieux évaluer la stratégie du club.

D’autres facteurs d’analyse des exigences amènent aussi à une interprétation « pragmatique » de l’Equilibre Financier : notamment a) les changements majeurs et imprévus de l’environnement économique [14] (l’UEFA peut ainsi prendre en compte l’impact financier quantifiable sur le club d’événements économiques nationaux de nature extraordinaire qui sont temporaires et dépassent les fluctuations habituelles de l’environnement économique) et b) le constat d’un marché structurellement inefficace [15] (qui est déterminé par l’UEFA sur une base annuelle au moyen d’une analyse comparative du total des recettes de billetterie perçues par les clubs de première division et des recettes des droits de diffusion par rapport à la population sur un territoire donné).

La masse salariale : critère de sanction ou critère de vigilance ?

L’arrivée de Lionel Messi au Paris Saint-Germain a soulevé certains questionnements relatifs au dépassement d’un éventuel plafond de la masse salariale du club [16]. Ce critère n’est pas un critère justifiant d’une sanction à lui seul : le Règlement l’a instauré comme critère de vigilance [17], au même titre que l’endettement d’un club.

En l’espèce, quelle analyse avoir du transfert de Messi au regard de la Règle de l’Equilibre Financier ?

La question du critère de la masse salariale ayant été écartée, reste à savoir si le Paris Saint-Germain pourra satisfaire au critère de l’Equilibre Financier.

Au regard des informations circulant sur l’arrivée de Messi au PSG (une prime à la signature estimée 25 millions d’euros à et un salaire net entre 35 et 40 millions d’Euros par an sur deux ans plus un en option), sur l’exercice actuel, probablement pas sauf à envisager un dégraissage important de l’effectif du club, chemin que le club ne prend pas en ce début de mercato estival.

Mais l’analyse de l’exercice actuel doit se faire en prenant compte de deux facteurs d’analyse précités : le changement majeur et imprévu de l’environnement économique qu’a constitué la crise de la Covid et, son pendant logique, l’inefficacité structurelle du marché en raison de la chute des recettes de billetterie lors de la saison 2020/2021.

L’exercice actuel devrait donc être, de facto, analysé avec une grande indulgence par l’UEFA.

L’UEFA devrait logiquement regarder avec bienveillance ce transfert. La réalité économique européenne a été tellement impactée par la Covid que l’UEFA peut presque voir comme une aubaine les investissements du PSG sur ce type de joueurs. Ils animent un marché moribond et la réalité actuelle, qui a permis ce transfert, est amère : les grands clubs historiques sont à l’agonie et peinent à conserver leurs effectifs. Sans les acteurs anglais et le PSG ce mercato estival serait celui des dégraissages d’effectifs et verrait des joueurs renommés se retrouver sans clubs. Les quelques clubs tenus par des mécènes à mêmes d’investir font vivre le marché des transferts cet été.

Le risque relatif à un irrespect du FPF se trouve plutôt sur le long terme et pour les exercices à venir. Le PSG pourra-t-il rester à l’équilibre sur les exercices à venir avec les investissements qu’il a entrepris cet été ? C’est le réel sujet et le réel risque : la viabilité sur le long terme de l’investissement Messi.

La logique du FPF reste une logique d’analyse de moyen terme et la logique de l’analyse du résultat prévisionnel global relatif à l’équilibre financier devrait donnait au Paris Saint-Germain une certaine latitude pour rentabiliser ce joueur sur le moyen terme. En effet, la stratégie du club est de profiter de l’aura du joueur pour attirer de nouveaux partenaires commerciaux et dégager des revenus supplémentaires à court et moyen terme.

Ainsi, le nouveau joyau du Paris Saint-Germain a des partenaires personnels « historiques » (Adidas, Gatorade, Mastercard ou encore Pepsi pour ne citer qu’eux) qui pourraient voir d’un bon œil un partenariat avec le PSG et venir s’ajouter aux actuels sponsors et partenaires du club. Mais, par ailleurs, les actuels partenaires commerciaux du PSG ont forcément vu l’intérêt de sécuriser ce transfert et l’opportunité historique que représente cette Dream Team du PSG 2021/2022. Cela devrait permettre assez logiquement au PSG de négocier à la hausse ses actuels accords. Le nom d’Ooredoo, sponsor de Messi ainsi que du PSG, est notamment ressorti parmi les partenaires commerciaux qui pourraient renforcer leur engagement auprès du Paris Saint-Germain dans un avenir proche.

Au-delà de la simple analyse légale, quel impact économique et politique au sens large du terme pour la Ligue 1 ?

A ce jour, il s’agit peut-être de l’aspect le plus enthousiasmant et le moins maitrisé de cette arrivée. Même si la Ligue 1 a vu arriver de grands noms les saisons passées (Ibrahimovic et Neymar pour ne citer qu’eux), Leo Messi entre dans une autre catégorie. Il est assis à la table des Pelé et des Maradona. Plus d’un en parle comme du meilleur joueur de l’histoire du Jeu.

Si un joueur peut mettre en lumière à lui seul un championnat, il s’agit sans nul doute de lui [18]. Le championnat français a une opportunité historique d’attirer les regards sur lui pour les deux prochaines saisons à venir et, qui sait, peut-être de fidéliser de potentiels spectateurs issus des continents asiatique et américain, jusqu’ici plus intéressés par les championnats anglais et espagnols.

L’heure est venue pour des instances du football audacieuses et stratèges de s’exporter à l’étranger et d’entrer dans un cercle vertueux qui pourrait permettre à terme de concurrencer à nouveau les championnats voisins.

Romain Catala Legal Manager au sein du groupe Tofane Global Membre de la commission internationale de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (https://www.afje.org/) https://www.linkedin.com/in/romain-catala-56b74125/

[1Fair-play financier | Dans les coulisses de l’UEFA | UEFA.com

[2UEFA, « Fair-play financier : tout ce qu’il faut savoir », publié le 28 février 2014 (disponible sur
http://fr.uefa.com/community/news/newsid=2065498.html).

[4Article 2 alinéa 2 du Règlement de l’UEFA sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier.

[5Règlement de l’UEFA sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier (20180601 CLFFP_ 2018_fr-final.pdf • Viewer • Documents UEFA).

[6Dans le chapitre II (exigences liées à la surveillance) de sa partie III (surveillance des clubs).

[7Articles 58 et suivants du Règlement de l’UEFA sur l’octroi de la licence aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[8Article 60 du Règlement de l’UEFA sur l’octroi de la licence aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[9Annexe X du Règlement de l’UEFA sur l’octroi de la licence aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[10Idem.

[11Annexe X, C, g) du Règlement de l’UEFA sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[12Annexe XI, b) du Règlement de l’UEFA sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[13Cette instance est considérée comme un organe de l’UEFA pour l’administration de la justice. L’ICFC est compétente pour évaluer si les exigences liées à la surveillance des clubs définies dans le règlement sont respectées par les clubs bénéficiant de la licence. Si un club ne remplit pas ces exigences, il est susceptible de se voir imposer des mesures disciplinaires par l’ICFC.

[14Annexe XI, f) du Règlement de l’UEFA sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[15Annexe XI, g) du Règlement de l’UEFA sur l’octroi des licences aux clubs et le fair-play financier (Edition 2018).

[16Voir supra 3.

[17Article 62, 4) a) du Règlement : « De plus, l’Instance de contrôle financier des clubs de l’UEFA se réserve le droit de demander au bénéficiaire de la licence de préparer et de soumettre les informations relatives à l’équilibre financier pour la période de reporting T ainsi que des informations supplémentaires à tout moment, en particulier si les états financiers annuels montrent que : a) les prestations en faveur du personnel dépassent 70% du total des recettes […] ».

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