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Le délit d’apologie de crime. Par Avi Bitton, Avocat et Batya Allal, Juriste.
Parution : mardi 17 août 2021
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Qu’est-ce que le délit d’apologie de crime ?
Quelles sont les formes d’expression du délit d’apologie de crime ?
Quelles sont les sanctions encourues par les auteurs ?

Le délit d’apologie de crime est un délit de parole prévu par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 : commet un délit d’apologie de crime toute personne qui

« par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes visés au premier alinéa (atteintes physiques et sexuelles commises contre les personnes), des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, y compris si ces crimes n’ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs ».

I- La caractérisation du délit d’apologie de crime.

L’apologie de crime se doit d’être détachée de l’opinion personnelle des individus, qui n’a pas vocation à inciter au crime.

Il s’agit principalement de tracer la limite entre les propos prononcés dans la sphère privée et ceux dirigés au public.

En effet, la Cour de cassation refuse que les juges du fond étendent la qualification de ce délit aux propos violents prononcés d​ans une cadre privé, quand bien même ils caractérisent la volonté de porter atteinte à la vie d’autrui [1].

L’’apologie peut alors être définie comme étant une provocation insidieuse présentant sous un jour favorable des actes interdits [2].

La raison étant que le délit d’apologie de crime consiste principalement à justifier les crimes, afin que leur commission future trouve une justification dans l’esprit de leur auteur. C’est en ce sens que ce délit constitue une atteinte à l’encontre de l’autorité de l’Etat.

1- La justification d’un crime.

Tandis que par le passé, la jurisprudence entendait caractériser l’apologie de crime comme l’éloge de son auteur, l’interprétation actuelle d’apologie livrée par la jurisprudence semble se concentrer sur le caractère justificatif des crimes.

C’est en ce sens que le 12 avril 2005, la Chambre criminelle énonçait des propos
présentés :

« comme susceptibles de justifier des actes constitutifs de crimes de guerre (…) doivent être considérés comme en ayant fait l’apologie ».

2- La volonté de rendre les propos publics.

Le délit d’apologie de crime ne peut être caractérisé qu’en présence d’une volonté de rendre les propos accessibles au public.

La Cour de cassation a rappelé la nécessité absolue que soit démontrée cette volonté de rendre public de tels propos.

Ainsi, les propos doivent être proférés, c’est à dire « à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ».

Dans une affaire, un maire qui avait exprimé son regret que Hitler n’ait pas
supprimé plus de gens du voyage et dont les propos avaient été enregistrés à son insu et par la suite divulgués dans la presse locale.

La Cour de cassation a alors rappelé que ce n’est pas parce que les propos sont audibles qu’ils ont vocation à être écoutés par tous.

Toutefois, la jurisprudence a élargi les supports permettant la commission d’un tel délit.

Ainsi, la Cour de cassation a admis que le fait de mettre à son enfant un t-shirt sur lequel était inscris des propos tels que : « né le 11 septembre » et : « Je suis une bombe » constitue un délit d’apologie de crime.

3- Des propos relevant de la qualification de crimes.

- Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité :

L’apologie de crime est à différencier de la provocation de crime, et c’est pour cela que les condamnations pour les faits d’apologie de crime visent plus généralement les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Toutefois, le droit français ne définit pas expressément quels sont les propos pouvant être qualifiés d’apologie de crime.

Afin d’éclaircir cette condition essentielle d’un tel délit, la Cour de cassation a considéré qu’en l’absence de texte en droit interne, les juges doivent s’en remettre aux conventions internationales.

Ainsi, le 7 décembre 2004, la Cour de cassation a considéré que relevait d’apologie de crime de guerre le fait de publier un livre qui comportait des passages justifiant des tortures commises durant la guerre d’Algérie.

Cependant, le 7 mai 2018 la Chambre criminelle énonçait que l’infraction de crime de guerre était distincte de l’infraction de crime contre l’humanité, et que la condamnation pour l’une de ces deux infractions n’emportait pas la condamnation pour la seconde.

- Les crimes et atteintes physiques faites aux personnes :

La confusion juridique entre le délit de provocation aux crimes et d’apologie de crime a permis de mettre en lumière les carences juridiques qui existent dans notre système législatif.

C’est en ce sens que la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet entend réprimer le délit d’apologie de crime perpétré en ligne.

La jurisprudence a d’ailleurs entériné le pas du législateur en considérant que le fait de poster des propos haineux particulièrement violents afin d’appeler à la commission d’attentats et au meurtre de personnes nommément désignées constituait un délit d’apologie de crime [3].

II - La détermination du préjudice.

Le préjudice causé suite à l’apologie de crime est l’un des plus complexes à caractériser.

Pour appréhender au mieux la difficulté que constitue la reconnaissance dudit préjudice, il est nécessaire de faire la distinction entre d’une part, l’apologie des crimes ayant indûment affecté la France ainsi que les valeurs qu’elle entend défendre (acte de terrorisme, meurtre d’un homme d’Etat etc..) et d’autre part, les crimes qui concernent des personnes bien identifiées au sein de la population.

Dès lors qu’il s’agit d’une apologie de meurtre ou d’atteinte à une personne bien identifiée ou ayant causé un préjudice à un individu, la victime pourra se constituer partie civile afin de mettre en mouvement l’action du ministère public.

Cependant, quand le délit relève d’une apologie d’un crime contre l’humanité visant une partie de la population, une association pourra se prévaloir de l’atteinte portée aux intérêts qu’elle défend.

Ce fut en partie par un arrêt du 14 janvier 1971, que la Chambre criminelle reconnaissait à l’association « Le réseau du souvenir » dont l’objet statutaire était de « réveiller et perpétuer le souvenir des déportés morts pour la liberté dans les camps de concentration nazis », subissait un préjudice direct et personnel du fait de l’apologie de crimes de guerre et de la déportation.

La légitimité des associations à défendre des valeurs morales semble désormais inscrite dans le marbre d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle que cela fut énoncée par la Chambre criminelle le 8 juillet 2015 : « que seules les associations définies à l’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile, de sorte que le procureur de la République conserve l’exclusivité de l’initiative des poursuites du chef d’apologie d’autres infractions de même nature ».

Toutefois, cette légitimité est strictement restreinte auxdites associations prévues par la loi de la​presse. C’est en ce sens que la Cour de cassation refuse que soit reconnu à une commune un quelconque préjudice résultant du délit de parole qu’est l’apologie du crime [4].

III- Sanctions.

Au terme de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, le délit d’apologie de crime est réprimé de :
- 5 ans d’emprisonnement,
- 45 000 euros d’amende

Lorsque les faits ont été commis par un moyen de communication en ligne, la peine encourue est de :
- 7 ans d’emprisonnement,
- 100 000 euros d’amende

Toutefois, les avancés technologique ont démontré la nécessité de s’armer de nouveaux outils législatifs au détriment des anciennes normes.

Ainsi, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, promulguée le 24 juin 2020, entend lutter contre la diffusion des propos faisant l’apologie de crime.

Elle alourdit la responsabilité des hébergeurs internet qui ne suppriment pas les contenus de nature à constituer un tel délit [5].

Avi Bitton, Avocat, et Batya Allal, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Crim, 28 avril 2009.

[2Cass. crim., 13 nov. 1993.

[3CAA, 2 février 2021.

[4Crim 17 mars 2015.

[5Article 6 paragraphe I : une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende est prévue.