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Décret n° 2021-1103 du 20 août 2021 : (petites) nouveautés de l’été en propriété intellectuelle. Par Jérôme Tassi, Avocat.
Parution : mardi 24 août 2021
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L’été et le mois de décembre sont traditionnellement les périodes privilégiées pour les réformes de procédure. L’année 2021 n’aura pas échappé à cette règle puisque le décret n° 2021-1103 du 20 août 2021 confie une compétence spécifique à certains Tribunaux en matière de propriété intellectuelle uniquement pour les infractions pénales.

Le décret est pris en application de l’article L211-9-3 du Code de l’organisation judiciaire selon lequel

« lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, ils peuvent être spécialement désignés par décret pour connaître seuls, dans l’ensemble de ce département ».

Depuis 2007, le législateur a souhaité confier à certains Tribunaux spécialisés le contentieux de la propriété intellectuelle :
- Le Tribunal judiciaire de Paris est exclusivement pour les contentieux en matière de brevets, marques de l’Union Européenne et dessins et modèles communautaires,
- Dix Tribunaux à travers la France sont compétents pour les autres contentieux en propriété intellectuelle : Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Nanterre, Nancy, Paris et Rennes.

Après la réforme de 2007, il était soutenu que l’intégralité du contentieux, y compris pénal, était soumis à ces dix Tribunaux, ce qui semblait être l’intention du législateur malgré des textes peu clairs. La Cour de cassation avait mis fin aux discussions en décidant qu’« il résulte des articles L716-3, L717-1 et L717-4 du Code de la propriété intellectuelle que les règles de compétence particulières édictées en matière de contrefaçon ne concernent que les juridictions civiles », à l’exclusion des juridictions pénales [1].

Concrètement, pour les infractions pénales en propriété intellectuelle, toute juridiction française est actuellement compétente en application des règles classiques de compétence territoriale.

Le décret n° 2021-1103 du 20 août 2021 modifie ce principale en confiant une compétence spécialisée départementale à certains Tribunaux dans le ressort de certaines Cours d’appel.

A partir du 1er septembre 2021 sont seuls compétents pour juger par la voie pénale « des délits et contraventions prévus et réprimés par le Code de la propriété intellectuelle » :
- Le Tribunal de Grenoble dans le ressort de la Cour d’appel de Grenoble pour le département de l’Isère,
- Le Tribunal de Metz dans le ressort de la Cour d’appel de Metz pour le département de la Moselle,
- Le Tribunal de Béziers dans le ressort de la Cour d’appel de Montpellier pour le département de l’Hérault,
- Le Tribunal de Carcassonne dans le ressort de la Cour d’appel de Montpellier pour le département de l’Aude.

L’article 3 prévoit les modalités d’application du décret dans le temps :
- La juridiction saisie demeure compétente pour statuer sur les procédures civiles introduites antérieurement au 1er septembre 2021,
- Le procureur de la République, le juge d’instruction et la juridiction de jugement demeurent compétents pour les procédures pénales en cours au 1er janvier 2021, sans préjudice de la possibilité d’un dessaisissement au profit du procureur de la République ou de la juridiction spécialement désignée par le décret

En matière de propriété intellectuelle, l’intérêt de cette réforme est très incertain et ne tend pas réellement à une spécialisation puisque la compétence n’est que départementale et ne s’étend pas à tout le ressort de la Cour d’appel. Si cette spécialisation se poursuit dans tous les autres départements, il y aura, au terme de cette évolution, près de 100 Tribunaux compétents pour statuer, au pénal, sur les affaires de propriété intellectuelle. Ce chiffre est près de dix fois supérieur au nombre des juridictions spécialisées au civil.

Si la volonté de spécialisation est louable, il aurait été plus cohérent de dupliquer le régime de compétence des juridictions civiles pour constituer de vrais pôles spécialisés en propriété intellectuelle avec éventuellement des chambres mixtes composées de magistrats formés à la propriété intellectuelle et des magistrats spécialistes de la procédure pénale.

Le faible nombre d’affaires portées au pénal en propriété intellectuelle pourrait justifier d’avoir uniquement 10 Tribunaux compétents, sans porter atteinte à la proximité de la justice pénale.

Jérôme Tassi, Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en propriété intellectuelle www.agilit.law [->jerome.tassi@agilit.law]

[1Cass. Crim, 5 mars 2014.

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