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La rigidité des clauses anti-spéculatives, un frein jurisprudentiel à la spéculation immobilière. Par Paul Génébès, Juriste.
Parution : jeudi 26 août 2021
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Dans certains actes authentiques de vente consentis par des organismes publics HLM en matière de VEFA ou de PSLA, il n’est pas rare de croiser une clause d’origine jurisprudentielle, les clauses dites anti-spéculatives encadrant la revente par l’accédant à la propriété. Elles permettent ainsi de freiner tant bien que mal la spéculation immobilière dans les zones de marché immobilier tendu.

Le contexte de l’opération, notamment sa localisation (en secteur tendu) et ses modalités (prix encadré, versement de subventions publiques…), peut conduire le vendeur à insérer des clauses dites « anti-spéculatives » dans les actes conclus avec les accédants. L’intervention d’une collectivité locale pour encourager et aider l’opération pourra justifier l’introduction de telles clauses. L’organisme vendeur aux parties sera donc amené à s’interroger sur : la formulation, la rédaction, l’objet.
En conséquence de cette interrogation sur l’objet des clauses anti spéculatives, il y aura l’interrogation sur la licéité des stipulations envisagées par l’organisme vendeur aux parties. La rédaction de ce type de clauses dans les contrats de vente n’étant pas encadrée par des textes légaux ou réglementaires spécifiques, la doctrine et surtout la jurisprudence seront, pour le rédacteur d’actes, les sources du droit qui s’imposeront en la matière.

Quelles sont les situations pouvant justifier une clause anti-spéculative ?

À la demande d’une collectivité qui vend un foncier à des conditions (très) favorables, des clauses dites anti-spéculatives pourront être introduites dans les actes authentiques de vente d’un terrain sur lequel sera réalisé un programme neuf en accession aidée, à charge pour l’opérateur qui construit et commercialise les logements de reprendre de tels engagements dans les actes conclus avec les ménages accédants.

Dans un contexte de hausse des prix de l’immobilier et de marché tendu, le risque d’effet d’aubaine est plus important et certains organismes vendeurs aux parties souhaiteront le limiter. Cette situation sera d’autant plus probable que le prix de vente des logements concernés aura été fixé à un montant (bien) inférieur à celui du marché en cours, d’où une possibilité accrue de plus-value importante en cas de revente y compris à court terme. S’agissant d’une éventuelle revente du domicile principal, le prix échappe ainsi à la taxation des plus-values. Le gain financier est en toute logique très tentant.

Avec ce schéma, ce sera surtout l’emploi de fonds publics qui auront permis la fixation d’un prix (très) attractif par rapport aux prix du marché immobilier qui conduira à s’interroger sur les moyens à mettre en place pour limiter ce risque de spéculation à la revente. La collectivité territoriale pourra ainsi développer une politique d’aide à l’accession sociale à la propriété sur son territoire et rechercher des moyens pour éviter tout détournement dans l’usage de l’aide publique.

En l’absence de texte législatif fixant un cadre juridique pour les dispositifs anti-spéculatifs pouvant être introduits dans les actes de vente, la jurisprudence joue un rôle crucial, fixant deux conditions de licéité dans la rédaction de clauses anti-spéculatives : elle a ainsi été reconnue, en particulier en ce qui concerne des clauses d’inaliénabilité dans un acte à titre onéreux, aux mêmes conditions que pour les actes à titre gratuit ( Arrêt de la 1ère Civile de la Cour de Cassation du 31 octobre 2007, n° 05-14238). Une telle clause sera jugée licite, si et seulement si, elle est limitée dans le temps et si un intérêt sérieux et légitime la justifie.

Dans le domaine des ventes immobilières, le caractère temporaire de la clause donne lieu à des pratiques diverses, avec des durées comprises entre cinq et dix ans, voire quinze selon la convention fixée par la collectivité ou l’organisme. Ce point demeure soumis à l’appréciation du juge, au cas par cas, notamment au regard de la proportionnalité de celle-ci avec l’aide octroyée.
Ainsi, dans un contexte particulier, la Cour de cassation a admis la validité d’un pacte de préférence, prévu pour une durée de vingt ans, au profit d’une commune (Arrêt de la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 23 septembre 2009 n° 08-18187, publié dans Actualités Habitat n° 904 du 15 juin 2010). La fixation d’une durée comprise entre cinq et dix ans pourra être recommandée pour limiter le risque de contentieux et d’annulation de la clause.

La seconde condition cumulative de la licéité des clauses anti spéculatives, comme indiqué implique de pouvoir (voire devoir) justifier d’un intérêt légitime et sérieux pour expliquer cette restriction au droit de propriété de l’accédant. Ce sera en application le cas lorsque le logement aura donné lieu à une aide de la collectivité qui aura apporté le terrain sur lequel l’opération d’accession sociale est réalisée. Ainsi, la fixation d’un prix (bien) inférieur à celui du marché en cours, compte tenu évidemment du coût réduit du terrain dans l’opération financière, constitue en soi une aide à l’accession à la propriété, justifiant ainsi la clause anti-spéculative et évitant tout contentieux.

Les parties ont toutefois la possibilité d’écarter l’application de ladite clause, dans certaines circonstances dont l’accédant devra justifier, en cas d’accident de la vie : chômage, divorce, décès... Il convient alors de le mentionner expressément dans l’acte et de préciser expressément les cas permettant la non-application de la clause anti spéculative.

De manière générale, en ce qui concerne les notaires rédacteurs de ces clauses, une rédaction la plus explicite possible est fortement conseillée, en l’absence de dispositions légales auxquelles se référer : le contrat fera la loi des parties [1]. L’organisme vendeur aux parties pourra s’appuyer sur son notaire, le rôle de conseil de ce dernier en tant que rédacteur de l’acte authentique devant comportant ces clauses sera très important pour assurer la sécurité juridique de l’acte dans sa force authentique.

Dans le cas d’une clause anti spéculative qui apparaît à sa lecture comme ambiguë ou incomplète elle sera alors dans le cas échéant la source inévitable mais logique d’un contentieux, l’accédant à la propriété souhaitant au moment venu, faire valoir l’illicéité de la restriction à son droit de disposer librement du logement. Ainsi qu’il en a été pour fixer la licéité des clauses anti spéculatives, seul le juge aura le pouvoir de l’apprécier et de trancher en application de la jurisprudence.

Paul Génébès, Juriste

[1Article 1103 du Code civil, ancien article 1134 dudit Code.

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