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Faits religieux et politique de neutralité de l’employeur : nouvelles précisions européennes. Par Morgane Pagot, Juriste.
Parution : lundi 27 septembre 2021
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Par un arrêt du 15 juillet dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle, vient d’affirmer que l’employeur ne peut, sous peine de créer une différence de traitement injustifiée, interdire le port de signes religieux ostentatoires uniquement de grandes tailles.

Dans cet article, nous revenons sur le raisonnement de la Cour qui rappelle les points de vigilances à surveiller lorsque l’employeur, au nom d’une politique de neutralité, décide d’interdire le port de signes religieux au sein de son entreprise.

Au niveau européen, l’application du principe de non-discrimination en ce qui concerne l’emploi et le travail est traité par la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 qui dispose notamment dans son article 1er que :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement  ».

Son article 2 précise alors qu’il faut entendre « par principe de l’égalité de traitement l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er ».

Ces dernières années, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) se voit régulièrement saisie de questions préjudicielles relatives à l’application de cette directive. En effet, il arrive fréquemment que les convictions religieuses des salariés s’opposent au droit de l’employeur de mettre en place une politique de neutralité au sein de l’entreprise [1].

A ces occasions, la Cour a notamment précisé la notion de «  religion  » figurant à l’article 1er de la directive 2000/78 comme couvrant tant le forum internum (le fait d’avoir des convictions), que le forum externum (manifestation en public de la foi religieuse).

Par un nouvel arrêt du 15 juillet 2021, la grande chambre de la Cour apporte de nouvelles précisions sur la démarche à suivre pour s’assurer que l’employeur qui interdit, par le biais du règlement, le port de signe ostentatoire sur le lieu de travail n’opère aucune discrimination.

En l’espèce, il était question de deux affaires, C-804/18 et C-341/19, où l’employeur avait sanctionné sa salariée refusant de retirer le foulard sur son lieu de travail.

Dans les deux cas, l’employeur arguait que « le port d’un tel foulard ne correspondait pas à la neutralité politique, philosophique et religieuse poursuivie à l’égard des parents, des enfants et des tiers ».

Dans cet article nous revenons sur le raisonnement suivi par la Cour et qui énumère les critères permettant d’apprécier l’existence ou non d’une rupture d’égalité de traitement au sens de l’article 2 de la directive n°2000/78/CE.

- Etape 1 : vérifier que le règlement de l’entreprise vise indifféremment toute manifestation des convictions religieuses.

Dans un premier temps, la Cour vient examiner le règlement de l’entreprise interdisant aux travailleurs de porter tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail s’applique de manière cohérente et systématique.

En d’autres termes, la Cour vérifie si l’interdiction ne vise directement ou indirectement qu’une seule religion ou si elle traite indifféremment toute manifestation de convictions religieuses.

En l’espèce, la CJUE retient que dans l’affaire C-804/18, « la règle en cause semble avoir été appliquée de manière générale, l’employeur concerné ayant également exigé et obtenu d’une employée portant une croix religieuse qu’elle retire ce signe  ».

Dans ces conditions, la Cour conclue que la règle interne de l’entreprise remise en cause ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions.

En revanche, la solution est toute autre dans l’affaire C-341/19. En l’espèce, l’employeur interdisait uniquement à ses salariés de porter des signes ostentatoires et de grande taille.

Or, la Cour affirme qu’une telle interdiction est « susceptible d’affecter plus gravement les personnes adhérant à des courants religieux, philosophiques et non confessionnels qui prévoient le port d’un vêtement ou d’un signe ostensible de grande taille, tel qu’un couvre-chef  ».

Ainsi, l’interdiction de porter un signe religieux en raison de sa taille a pour conséquence de traiter certains travailleurs d’une manière moins favorable que d’autres sur la base de leurs convictions. Cela constitue une discrimination directe impossible à justifier.

- Etape 2 : vérifier que la discrimination résultant d’une telle interdiction poursuit un objectif légitime.

Dans sa décision, la Cour réaffirme que la volonté de l’employeur d’afficher une politique de neutralité religieuse peut constituer un objectif légitime, permettant de justifier une atteinte à la liberté de croyance des salariés.

Pour autant, l’atteinte doit être justifiée et ne peut dépendre de la seule volonté de l’employeur.

Ce dernier doit en effet apporter la preuve que la mise en place d’une telle politique de neutralité est essentielle au respect de sa liberté d’entreprise, reconnue par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux.

En d’autres termes, l’employeur doit éprouver le réel besoin d’interdire le port de signes religieux. Ce besoin est notamment caractérisé en raison des droits et attentes légitimes des clients ou des usagers.

Par exemple, il peut s’agir, en matière d’enseignement, du souhait des parents de voir leurs enfants encadrés par des personnes d’apparence neutre afin que leur propre liberté religieuse soit protégée.

- Etape 3 : vérifier que l’atteinte ainsi portée est proportionnelle au but recherché.

Enfin l’interdiction doit être proportionnelle au but recherché. Ainsi, il est de jurisprudence nationale et européenne constante que l’employeur ne peut interdire le port de signe religieux à ses salariés, cachés de toute clientèle.

En effet et dans ce cas, l’image de l’entreprise ne peut aucunement être impactée.

Pour information, cette situation n’était pas celle des salariées concernées par les cas d’espèce qui exerçaient des postes en contact direct avec la clientèle étant respectivement éducatrice spécialisée et conseillère de vente et caisse.

Morgane Pagot - Juriste en droit social. Cabinet Schucké-Niel Avocats

[1CJUE, 14 mars 2017, C-157/15, Arrêt G4S Secure Solutions, EU:C : 2017 : 203 ; CJUE, 14 mars 2017, C-188/15, Arrêt Bougnaoui et ADH, EU : C : 2017 : 204.