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Regroupement familial : les actes d’état civil guinéens à l’épreuve d’une suspicion systématique de fraude. Par Abdoul Bah, Juriste.
Parution : mercredi 1er septembre 2021
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Devenue le motif par excellence de refus de visa lors des demandes de regroupement ou réunification familial, la contestation systématique de l’authenticité des actes d’état civil fait la norme, et la force probante attachée à ces derniers l’exception ; ce qui n’est pas sans conséquences sur la vie familiale de nombreux ressortissants guinéens.

Lorsque l’engagement des démarches nécessaires au regroupement familial a été autorisé, l’autorité consulaire n’est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie que pour des motifs d’ordre public, au nombre desquels figure l’absence de caractère probant des actes d’état civil produits à l’appui de la demande [1].

Autrement dit, ladite autorité ne peut mettre en doute le bienfondé d’un acte d’état civil établi à l’étranger par une autorité locale que dans le cas où celui-ci aurait un caractère frauduleux. Elle est tenue toutefois, pour écarter la présomption d’authenticité attachée à l’acte, dire en quoi il est frauduleux ou erroné le cas échéant.

Le caractère frauduleux peut être également retenu lorsque les documents d’état civil produits ne sont pas strictement conformes aux déclarations de la personne à rejoindre en France.

En pratique, la tendance consiste généralement à remettre en cause les actes d’état civil fournis en l’absence de toute raison apparente d’en contester, ou parfois juste pour de simples erreurs matérielles qu’ils contiendraient.

Faut-il reconnaître que l’opprobre jeté systématiquement sur les actes d’état civil s’appuie généralement sur des enquêtes parlementaires [2] faites il y a plus d’une dizaine d’année, qui font état d’une « fraude documentaire endémique » dans un certain nombre d’Etats dont la Guinée, présentant ainsi des données chiffrées de l’ampleur de la fraude : « 30 à 80% (quelle modestie de l’amplitude !) des actes vérifiés sont frauduleux ».

Et le fait que ces enquêtes s’étaient basées a priori que sur des informations recueillies auprès des postes consulaires interroge légitimement sur la fiabilité de ces conclusions.

La jurisprudence de son côté a tendance à suivre l’appréciation négative portée par l’autorité consulaire, lorsqu’il apparaît clairement que le demandeur ne respecte pas les conditions définies dans les exemples ci-après.

La France reconnaît donc la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger par une autorité locale, mais sous condition qu’il soit établi dans le respect des règles de forme exigées par le droit local (ex. présence des mentions obligatoires dans l’acte, compétence de l’autorité pour en dresser, accomplissement de l’enregistrement…), ainsi que l’absence d’incohérences ou de contradictions entre les éléments du dossier produits (ex. ne pas avoir et un jugement supplétif et l’acte de naissance ; l’établissement d’un acte de naissance plusieurs années après l’événement sans faire référence à un jugement supplétif).

En se référant par ailleurs au contentieux de refus de visa en matière de regroupement familial, certains motifs au soutien des décisions défavorables sont beaucoup plus récurrents que d’autres ; parmi eux figure celui tenant à la production d’un jugement supplétif qui n’est pas établi conformément au droit local.

En effet, il arrive que l’administration, sciemment ou en interprétant mal le droit local, retienne d’une part le caractère frauduleux d’un jugement supplétif, lorsque celui-ci a été établi plusieurs années après l’événement (naissance, divorce…).

Or, à cet égard, le juge a constamment retenu que les dispositions [3] en la matière, n’insèrent aucunement l’établissement d’un jugement supplétif dans un quelconque délai.

En d’autres termes, la circonstance que le juge ait été saisi aux fins d’établissement d’un jugement supplétif, et par la suite la transcription de l’acte de naissance dans les registres, aient été effectuées plusieurs années après la naissance ne démontre pas l’existence d’une manœuvre frauduleuse [4].

D’autre part, elle met souvent en cause la valeur probante des documents d’état civil produits lorsqu’ils ne comportent pas l’ensemble des mentions devant figurer dans les actes d’état civil respectifs, conformément aux dispositions de la loi locale [5].

Saisi maintes fois de ce point de vue, le juge a réaffirmé que cette circonstance n’est pas de nature également à retirer auxdits documents leur valeur probante en l’absence de toute contradiction ou incohérence entre ceux-ci, et à défaut de contrariété avec la loi étrangère [6].

En tout état de cause, l’existence néanmoins de doute sur l’authenticité d’un acte d’état civil ou son absence carrément, peut être palliée par la preuve par possession d’état [7] notamment, la finalité poursuivie étant de pouvoir prouver le lien familial ou l’identité du demandeur.

Cette extension de modes de preuve est salutaire lorsque l’on sait le manque de rigueur avec laquelle sont généralement conservés ou gérés les registres d’état civil respectifs en Guinée, eu égard aux facilités avec lesquelles se perdent des actes d’état civil.
En définitive, derrière cette suspicion systématique et généralisé de fraude se cache semble-t-il un véritable rôle politique de lutte contre l’immigration familiale que jouent les consulats Français, lesquels sont devenus dans une certaine mesure des « gardiens les plus zélés des frontières ».

Bien sûr on ne peut certes nier l’existence de cas de fraude, mais de là à en faire une généralité alors qu’il est bien possible de prendre des mesures adéquates, afin de ne pas priver à tort les demandeurs d’un droit aussi important, pourrait servir un des projets de rêve de l’extrême droite : la suppression pure et simple du droit au regroupement familial pour les étrangers.

Abdoul Bah, Juriste.

[1V. art. L.111-6 du CESEDA et 47 du Code civil.

[2V. le rapport sur les visas de 2007, piloté par le sénateur Adrien Gouteyron.

[3V. art. 192 et 193 ancien Code civil et 200 et 201 nouveau Code civil.

[4CAA de Nantes, 2ème chambre, 09/07/2021, 20NT02989.

[5V. art. 175 ancien Code civil et 184 nouveau Code civil.

[6V. en ce sens CAA de Nantes, 19/03/2021, 20NT01498 ; CAA de Nantes, 25/06/2021, 20NT03872.

[7V. art. L.752-1 du CESEDA et 311-1 du Code civil.