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Expérimentation du cannabis thérapeutique : état des lieux de la responsabilité pénale. Par Florian Godest Le Gall, Avocat.
Parution : mardi 7 septembre 2021
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Fruit de deux ans de travaux menés au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), la décision du Parlement de lancer une expérimentation sur l’usage du cannabis thérapeutique pour une durée de deux ans ouvre une réflexion sur les éventuels enjeux pénaux pouvant en découler.

Depuis le 26 mars 2021, les prescriptions de médicaments contenant du cannabis ont débuté. Elles interviennent dans le cadre d’une expérimentation visant un nombre limité de situations cliniques :
- Douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non accessibles) ;
- Certaines formes d’épilepsies sévères et pharmacorésistantes ;
- Soins de support en oncologie ;
- Situations palliatives ;
- Spasticité douloureuse de la sclérose en plaque.

A cette liste limitative, s’ajoutent les contrindications faisant obstacle à la prescription de cannabis médical :
- Antécédents personnels de troubles psychotiques (comme la schizophrénie) ;
- Insuffisance hépatique sévère ou atteinte biologique prédictive ;
- Insuffisance rénale sévère ;
- Maladie ou antécédents de troubles cardio ou cérébro-vasculaires sévères (IDM, AVC…).

L’usage du cannabis ne peut être envisagé que dans ce cadre restreint, en complément ou en remplacement de certaines thérapeutiques. A noter que l’administration de la substance exclue l’hypothèse d’une ingestion « fumée ».

L’usage médical du cannabis concerne un nombre maximal de trois mille patients.

Si le volet médical de cette expérimentation n’appelle aucun commentaire de notre part, il semble néanmoins pertinent d’examiner les sujets pénaux qui l’accompagnent.

En effet, le cannabis demeure une substance classée comme stupéfiant (arrêté du 22 février 1990) et sa consommation est donc prohibée, ainsi que le dispose l’article L3421-1 du Code de la santé publique, selon lequel « l’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ». A noter que le texte dispose dorénavant que : « l’action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du Code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 200 euros ».

A ce titre, le droit commun reste inchangé tout comme les conséquences pénales rapportées à la détention, l’usage, l’offre, la cession, l’importation, la production, le transport, la conduite après usage, ainsi que les éventuelles circonstances aggravantes constituées par l’agissement sous l’emprise d’un produit stupéfiant.

Pour les besoins de l’expérimentation, le décret n° 2020-1230 du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis, déroge au droit commun, rattachant les produits utilisés au régime des médicaments stupéfiants prévu aux articles R5132-27 à R5132-38 du Code de la santé publique.

Le décret susvisé prévoit ainsi :

« V.- Par dérogation aux dispositions de l’article R5132-86 du Code la santé publique, pour la durée de l’expérimentation :
1° Les patients traités et suivis sont autorisés à se procurer et utiliser les médicaments autorisés pour l’expérimentation, à les détenir et à les transporter pour leur traitement personnel ;
2° Le cas échéant, en cas d’impossibilité des patients, leurs parents, proches ou soignants sont autorisés à se procurer les médicaments autorisés pour l’expérimentation, à les détenir et à les transporter ;
3° Les médecins et les pharmaciens participant à l’expérimentation sont autorisés respectivement à les prescrire et les dispenser, les détenir et les transporter.
VI.- Les médicaments utilisés par les patients inclus dans l’expérimentation sont fournis à titre gratuit par les entreprises participant à l’expérimentation.
VII.- Les patients inclus dans l’expérimentation sont informés sur les précautions particulières d’utilisation des médicaments à base de cannabis, les effets indésirables éventuels, les contre-indications et les effets sur la conduite de véhicules ou l’utilisation de certaines machines au moment de la prescription. Un document écrit rappelant ces informations, dont le contenu est fixé par décision du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, leur est remis au moment de la prescription
 ».

« Par dérogation aux dispositions de l’article R5132-86 du Code la santé publique et pour la durée de l’expérimentation, sont autorisées les opérations d’importation, de transport, de stockage, de détention, d’offre, portant sur les seuls médicaments utilisés pendant l’expérimentation, lorsque ces opérations sont effectuées par des établissements pharmaceutiques mentionnés à l’article R5124-2 du Code de la santé publique autorisés à les réaliser conformément à l’autorisation d’ouverture qui leur a été délivrée en application de l’article R5124-6 du même Code ».

« Par dérogation aux dispositions de l’article R5132-29 du Code de la santé publique, la prescription et la délivrance des médicaments utilisés dans le cadre de l’expérimentation est autorisée dans les conditions prévues au présent article »

Ainsi, sous réserve de pouvoir justifier de sa participation au protocole d’expérimentation (en qualité de patient ou de professionnel de santé), l’acquisition, le transport, l’usage, la prescription et le stockage sont autorisés et ne font plus courir de risque pénal.

Attention cependant, un patient autorisé à utiliser le cannabis thérapeutique dans le cadre du protocole d’expérimentation ne saurait pouvoir utiliser cette dérogation pour échapper à sa responsabilité pénale en cas de détention de produits stupéfiants autres que ceux prévus par ledit protocole. Fumer un « joint » reste donc proscrit !

Par ailleurs, la conduite d’un véhicule terrestre à moteur après usage reste elle aussi interdite et les textes ne différencient pas le traitement pénal du conducteur positif selon l’origine licite ou illicite de la matière consommée. La conduite pour les patients intégrés au protocole ne peut donc se concevoir durant la période de traitement. A noter d’ailleurs que l’hypothèse de patients conducteurs, bien qu’envisagée (au regard de la notice d’information distribuée), reste très peu probable au vu des pathologies éligibles et de leur stade souvent très avancé.

Il reste à envisager la possibilité de la commission d’une infraction aggravée par la consommation d’un produit stupéfiant, par un patient intégré au protocole.

Cette problématique pose en réalité plusieurs questions et le traitement judiciaire nécessiterait une étude au cas par cas. Peut-on envisager le même traitement pour un patient ayant causé des blessures involontaires en conduisant après la prise du médicament et pour un patient à qui l’on reproche des violences volontaires ayant entrainé une ITT inférieure à 8 jours avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants ?

A l’évidence, le patient responsable d’un accident de la circulation alors qu’il ne pouvait pas conduire en premier lieu présente une situation pénale bien plus délicate que le patient impliqué dans des violences concomitamment à la prise de son traitement. La notion d’emprise « manifeste » rend envisageable d’éviter la retenue de la circonstance aggravante, les effets recherchés et constatables du cannabis récréatif étant différents du cannabis thérapeutique, là où le dépistage positif caractérise pleinement la conduite sous emprise…

Il convient également de s’interroger sur les conséquences éventuelles du cannabis thérapeutique en termes d’altération ou d’abolition du discernement.

L’arrêt du 14 avril 2021 rendu par la Cour de cassation dans le cadre de la terrible affaire Halimi nous oriente quant au sort judiciaire qui pourrait être réservé à un patient souffrant d’une bouffée délirante, faisant suite à son traitement. Si tant est que qu’aucun élément ne permette de déterminer la conscience du patient que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation, l’apparition d’une bouffée délirante en lien avec la consommation de cannabis pourrait mener à l’altération ou à l’abolition de son discernement.

Cette hypothèse est d’autant plus pertinente dans le cas d’un patient participant au protocole d’expérimentation, dans la mesure où les antécédents de troubles personnels psychotiques sont très spécifiquement visés dans les contrindications et qu’ils empêchent donc en théorie l’intégration d’un individu avec de tels antécédents connus au sein du protocole expérimental.

Ainsi le cadre dérogatoire fixé génère de légitimes interrogations trouvant leur origine dans sa cohabitation avec une législation de droit commun très répressive. Il s’agit en tout état de cause d’une ouverture intéressante pour réfléchir à plus grande échelle sur la légalisation du cannabis récréatif, cette dernière n’étant pas nécessairement incompatible avec le maintien d’une répression des comportements intervenant « sous l’emprise ».

Florian Godest Le Gall Avocat à la Cour