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Conditions de l’extension de l’effet interruptif de prescription à une autre action. Par Eugénie Criquillion, Avocat.
Parution : lundi 6 septembre 2021
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L’effet interruptif de prescription peut être étendu à une autre action, lorsque les deux actions tendent aux mêmes fins.
Civ. 2ème., 8 juillet 2021, N° 20-12.005.

Préambule.

La prescription extinctive d’une action en justice est prévue aux articles 2219 à 2254 du Code civil.

L’extinction du délai de prescription fait alors perdre à la partie qui y a intérêt, l’exercice de son droit d’action.

Pour pouvoir bénéficier de l’action qui lui est ouverte, l’intéressé doit interrompre le délai de prescription, selon les formes prévues aux articles 2240 à 2246 du Code civil.

La demande en justice est l’une de ces causes interruptives de prescription.

En principe, l’effet interruptif de la prescription ne s’étend pas d’une action à une autre.

Par exemple, l’action d’une banque en recouvrement d’un prêt n’a pas d’effet interruptif sur le délai de prescription qui court au titre du recouvrement de trois autres prêts qu’elle a consentis aux mêmes emprunteurs, quand bien même les instances opposent les mêmes parties [1].

En revanche, la jurisprudence a admis de longue date que l’effet interruptif de prescription peut être étendu à une autre action, lorsque les deux actions procèdent d’une même cause.

Par exemple, la reconnaissance de dette d’un débiteur [2] interrompt la prescription de l’action résolutoire, tout comme le délai de l’action en paiement [3].

L’effet interruptif de prescription est également étendu aux actions qui, bien que résultant d’une cause distincte, tendent à un objectif identique.

Par exemple, une assignation en réparation d’un préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle interrompt la prescription de l’action en dédommagement fondée sur le manquement à l’obligation du dépositaire laquelle, quoiqu’ayant une cause distincte, tend au même but que la première [4].

Le présent arrêt vient confirmer cette jurisprudence bien ancrée de la Cour de Cassation.

Les faits.

Il résulte des faits et de la procédure tels que rappelés par l’arrêt que Monsieur H avait conclu un contrat d’agent commercial avec une société S.

Un différend est né suite à la rupture du contrat d’agent commercial liant les parties.

Monsieur H a assigné la société S devant le juge des référés afin qu’il lui soit enjoint, sous astreinte, de communiquer divers documents nécessaires à la vérification du montant de ses commissions.

Le juge des référés a fait droit à sa demande par ordonnance du 21 janvier 2010, laquelle a été signifiée à la société S par acte extrajudiciaire du 11 février suivant.

Invoquant des manquements répétés de la société S à ses obligations contractuelles à l’origine, selon lui, de la rupture de son contrat d’agent commercial, Monsieur H a assigné son cocontractant sur le fondement de la responsabilité contractuelle et afin d’indemnisation de ses préjudices.

Constatant que la société S n’avait pas déféré à l’ordonnance de référé du 21 janvier 2010, Monsieur H a, dans le cadre de cette procédure au fond, saisi le Juge de la mise en état d’un incident de communication de pièces.

Il a parallèlement saisi le Juge de l’exécution d’une demande tendant à la liquidation de l’astreinte assortie à l’obligation de communication de pièces ordonnée par le juge des référés.

La Cour d’appel de Saint Denis a été saisie de l’appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par le juge de l’exécution.

Aux termes d’un arrêt rendu le 17 septembre 2019, la Cour d’appel a déclaré irrecevable Monsieur H en son action au motif que celle-ci serait une action autonome et distincte de l’instance au fond pour les besoins de laquelle les pièces devaient être communiquées, et que la mise en œuvre et la poursuite de l’instance au fond n’était pas susceptible d’interrompre la prescription.

Monsieur H a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision.

Monsieur H faisait grief à l’arrêt de ne pas avoir recherché si l’action en paiement de dommages-intérêts d’une part, et l’action en liquidation de l’astreinte d’autre part, ne tendaient pas toutes deux au même but, en l’occurrence celui de se voir indemniser du préjudice subi à raison d’un même fait dommageable, si bien que la première avait interrompu le délai de prescription de la seconde.

L’arrêt.

Aux termes de son arrêt rendu le 8 juillet 2021, la Deuxième chambre civile juge que :

« L’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre que lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins.

C’est dès lors à juste titre que la cour d’appel a considéré que l’action qui tend à la liquidation, et non à la fixation, de l’astreinte assortissant une obligation de communication de pièces est une action autonome et distincte de l’instance au fond pour les besoins de laquelle ces pièces devaient être communiquées, et qu’elle en a conclu que l’engagement de l’instance au fond n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte ».

La Cour de Cassation n’a pas été convaincue par l’argument du demandeur au pourvoi.

Elle approuve les juges du fond d’avoir considéré que l’action en liquidation d’une astreinte assortie à une décision ordonnant la communication de pièces est distincte de l’instance au fond pour les besoins de laquelle lesdites pièces devaient être communiquées.

Par conséquent, l’instance au fond n’avait pu interrompre l’action en liquidation de l’astreinte.

La Cour de Cassation confirme ainsi que l’interruption de la prescription d’une action ne peut s’étendre à une autre que lorsque les deux instances, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins.

Elle entérine ainsi une jurisprudence constante en la matière.

On notera que les juges du fond, approuvés par la Cour de Cassation, avaient pris le soin de distinguer l’action en liquidation de celle en fixation de l’astreinte, si bien qu’on peut en déduire que dans ce dernier cas de figure, la décision inverse aurait pu être adoptée.

Eugénie Criquillion Avocat au barreau de Bordeaux https://www.criquillion-avocat.com/

[1Cass. 1re civ., 19 mars 2015, n° 14-11.340 : NPB.

[2Art. 2240 : La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

[3Cass. 1re civ., 4 janv. 1965 : Bull. civ. I, n° 9.

[4Cass. 1re civ., 5 oct. 2016 - N° 15-20.960.