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"Mon suivi justice" : les premiers pas concluants d’une start-up d’Etat.
Parution : mardi 14 septembre 2021
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"Le Doctolib de la Justice" : c’est ainsi qu’a été très rapidement rebaptisée la plateforme "Mon Suivi Justice" expérimentée depuis le printemps 2021 au Tribunal Judiciaire de Nanterre. Son but : créer une solution numérique permettant aux personnes placées sous main de justice d’honorer plus facilement leurs convocations judiciaires.
La comparaison avec le célèbre site de prise de rendez-vous médicaux s’arrête cependant là puisque "Mon Suivi Justice" n’est pas une start-up privée, mais une "start-up d’Etat", le fruit d’une collaboration entre des fonctionnaires du Ministère de la Justice et Bêta Gouv, l’Incubateur de services publics numériques.
Pour comprendre cette collaboration, le Village de la Justice a interviewé Félicie Callipel, Secrétaire générale adjointe de la présidence du Tribunal judiciaire de Nanterre et Delphine Deneubourg, Directrice adjointe du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Hauts-de-Seine, toutes deux à l’origine du projet.
Une interview réalisée en 2021 et mise à jour en 2022 !

Quel est l’origine du projet et comment vous, chacune, à titre personnel, avez-vous pris part à l’aventure ?

Félicie Callipel : Je crois qu’en tant que magistrate j’ai toujours rêvé d’avoir cet outil ! La présidente du Tribunal a échangé avec le directeur du SPIP [1] sur ce sujet, nous avons rapidement identifié le besoin et comme nous connaissions l’existence de Bêta Gouv, nous nous sommes tournés vers eux.

"En tant que magistrate j’ai toujours rêvé d’avoir cet outil !"

Delphine Deneubourg : J’ai pour ma part rejoint le projet à l’issue de la phase d’investigation après le départ de Hélène Franceschin, Chef d’antenne du milieu ouvert du SPIP qui a mené cette première phase pour mon service.
Cela fait plusieurs années que le terrain demande l’aide du numérique. Cela se faisait déjà un peu "manuellement", via l’envoi de SMS, et l’idée d’automatiser et systématiser cela me paraissait nécessaire.

Toutes les deux, nous n’avions pas de compétences numériques particulières mais de l’appétence pour cela.

Dans les grandes lignes, quels sont les étapes de la création du projet ?

Les projets des start-up d’État passent par plusieurs étapes pré-définies :

- La phase d’investigation, qui a duré 9 semaines pour nous entre octobre et décembre 2020.
Nous avons durant cette période travaillé avec un coach de Bêta gouv (Paul Marcadé) uniquement à isoler la problématique, et à répondre trois questions : le problème est-il réel, majeur et actionnable ? Nous nous sommes aperçus que cela aiderait l’Administration mais aussi et surtout les usagers. Cette phase a confirmé l’utilité de l’application, en coût et temps puisque ce sont près de 9 000 rendez-vous qui sont manqués dans les Hauts-de-Seine par an.
On a également conclu que la solution via le numérique (parfois le numérique ne peut pas répondre à la problématique et le projet est abandonné) était la bonne puisque nous avions déjà en tête qu’il fallait un système de notifications.

Le problème est-il réel, majeur et actionnable ?

- La phase de construction : Débutée en avril 2021 après quelques semaines nécessaires à la signature de la convention, elle va s’achever en octobre. Un comité d’investissement va alors se réunir et décider si on peut poursuivre, à Nanterre et ailleurs, ce qu’on espère fortement.

- Suivront ensuite les phases d’accélération puis à la fin de transfert au Ministère de la Justice [2].

Félicie Callipel et Delphine Deneubourg, entouré de l’équipe de Bêta Gouv pour travailler sur le projet Mon Suivi de Justice.

Comment se passe le lancement de la plateforme ? Quels sont les premiers retours ?

Les retours sont très positifs depuis le lancement début juillet !
- Les usagers convoqués trouvent de façon unanime que recevoir un SMS est une bonne chose.
- Les agents aussi sont ravis de cet outil en plus, qui donne une dimension de modernité et d’efficacité à leur travail.
- Nous avons mené des mesures d’impact et c’est 30% d’absentéisme en moins au niveau du SPIP à ce stade.

Les premières mesures d’impact révèlent 30% d’absentéisme en moins.

C’est à nuancer cependant car c’est aussi lié à la nouveauté du système, quand cela rentrera dans les habitudes, l’impact sera sans doute moins important.
C’est la raison pour laquelle nous allons compléter cette application par une interface avec la personne suivie.

Les améliorations se font en continu, toutes les semaines et collent aux besoins des usagers par le biais de tests utilisateurs et des retours des agents.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées (par exemple sécurisation des données etc.) ?

Nous n’avons pas rencontré de grosses difficultés grâce aux compétences apportées par chacun des membres de l’équipe (coach, développeur, chargé de déploiement) mais aussi grâce à l’expérience de Bêta Gouv qui a déjà en tête toutes les problématiques de sécurisation des données par exemple. Donc nous étions sensibilisés à cela dès le début.
Cependant, ces problématiques là si elles ne sont pas des difficultés restent des enjeux.

A titre personnel, le coach de Bêta Gouv (désormais Baptiste N’Tsama) nous a aidé à rythmer les travaux, à sortir du carcan administratif et à utiliser notamment la méthode agile.
C’est vraiment la confrontation de deux mondes : celui du droit, de la réinsertion et de la Justice face à la culture du numérique et du développement de produit.

Par ailleurs, nous avons été très soutenus par nos sponsors locaux : la présidente du Tribunal et le directeur du SPIP. Nous bénéficions aussi d’un sponsor de taille : le directeur de l’administration pénitentiaire.

Se confronter à des méthodes nouvelles, qui viennent ensuite irriguer les services.

Voyez-vous d’autres services à développer via betaGouv ?

A titre personnel nous sommes encore à fond dans celui-là !
En revanche, nous conseillons vivement à d’autres de se lancer dans ce type de projet, pour l’utilité du résultat, mais aussi parce que cela fait du bien de se confronter à des méthodes nouvelles, qui viennent ensuite irriguer leurs services. Et sans aucun doute les problématiques de la Justice qui pourraient être résolues par des projets similaires ne manquent pas !

[Update Janvier 2022]

Parce que leur projet est enthousiasmant et que les personnalités des deux porteuses de projet le sont également, nous avons eu envie de savoir comment les choses avaient évolué après quelques mois.
Alors "Mon Suivi Justice" : Quoi de neuf ?

« En terme de bilan chiffré, MSJ c’est 2800 personnes qui bénéficient du service de rappel, et près de 6 000 SMS de rappels envoyés.

Fin 2021, nous avons déployé un site internet (https://mon-suivi-justice.beta.gouv.fr/) sur lequel les personnes suivies par le SPIP 92 mais également tout citoyen peuvent se rendre.

Nous avons appliqué pour sa mise en place les mêmes méthodes que pour l’outil métier.

La prochaine phase importante à venir pour le site c’est une interface personnalisée pour chaque personne suivie.

Par ailleurs, nous avons commencé à déployer Mon Suivi Justice auprès du SPIP d’Eure et Loire et du tribunal de Chartres, et nous sommes ravies car les premiers retours sont positifs. Le SPIP a pu d’ores et déjà constater que les taux de présence ont augmenté suite aux rappels de convocations adressées aux personnes suivies via la plateforme.

Chartres c’est vraiment intéressant pour nous, car c’est un plus petit SPIP que nous en terme de personnes suivies, c’est en dehors de notre direction interrégionale et c’est géographiquement différent.

Nos prochains projets de déploiement ce sont Angers, et Paris : là ça va être un challenge ! En terme de volume, on passe de 30 CPIP pour le SPIP 92 à 60 pour Paris. Mais ce n’est ni ça ni l’aspect technique qui nous inquiètent ; c’est surtout que nous ignorons si Mon Suivi Justice aura autant d’impact sur la population suivie, qui est plus précaire, plus difficile à « capter ».

Nous avons aussi des contacts avec la Guyane, mais là en revanche ce sont des problématiques très techniques qui vont se poser avec des questions comme celle du réseau téléphonique, très basiquement et du fuseau horaire distinct... »

à suivre...

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Service d’Insertion de Probation, relevant de l’Administration pénitentiaire, qui assure le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice

[2Pour les détails de l’approche par phase, voir le site de Bêta Gouv.