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Comment se prémunir de l’usage des réseaux sociaux par vos salariés. Par Ingrid Chantrier, Avocat.
Parution : jeudi 9 septembre 2021
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Les réseaux sociaux constituent une réelle opportunité pour toute entreprise quelle que soit sa taille. Ces nouveaux supports incontournables de communication et de marketing permettent d’améliorer sa visibilité et son expertise et sont utilisés à cette fin par de nombreux salariés.

Pour autant, un salarié est, selon le Code du travail et certaines éventuelles clauses spécifiques de son contrat de travail, soumis à une obligation de confidentialité dans l’exercice de ses tâches ce qui doit le conduire à ne pas divulguer à des tiers ou au public des informations propres à l’entreprise ou pouvant lui porter préjudice, et allant donc au-delà même des attributions qui lui sont confiées dans le cadre de ses fonctions.

Pour autant, un salarié est, selon le Code du travail et certaines éventuelles clauses spécifiques de son contrat de travail, soumis à une obligation de confidentialité dans l’exercice de ses tâches ce qui doit le conduire à ne pas divulguer à des tiers ou au public des informations propres à l’entreprise ou pouvant lui porter préjudice, et allant donc au-delà même des attributions qui lui sont confiées dans le cadre de ses fonctions.

Et plus généralement le Code du travail met aussi à la charge des salariés une obligation générale de loyauté.

Or, de plus en plus de salariés sont actifs sur les réseaux sociaux même en dehors de leurs attributions et bénéficient d’ailleurs d’une liberté d’expression consacrée par la Déclaration des droits de l’Homme et la Convention européenne des droits de l’homme. Pour autant celle-ci n’est pas absolue et doit demeurer raisonnable. L’abus est notamment caractérisé par la jurisprudence lors de la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l’encontre de l’entreprise de ses dirigeants ou encore de ses collègues de travail [1].

Se pose donc la question de savoir comment réagir en cas de diffusion par un de vos salariés d’informations ou de contenus sur les réseaux salariés portant atteinte à la confidentialité ou l’image de l’entreprise ou de collègues ou de supérieurs hiérarchiques ? Et jusqu’où peut aller le pouvoir de contrôle et de surveillance de l’employeur ?

Il n’y a pas de difficulté majeure si, par exemple, les critiques ou les propos injurieux sont publiés sur un blog ou un réseau social public de sorte qu’il est alors envisageable d’initier une procédure de sanction à l’encontre du salarié concerné dès lors que les agissements se rattachent à la vie professionnelle (faute disciplinaire ou a minima pour « trouble caractérisé au sein de l’entreprise »). Il est même possible, le cas échéant, de solliciter sa condamnation pénale pour injures publiques avec octroi de dommages et intérêts.

Il est utile également de préciser que dans cette perspective, s’agissant de l’admissibilité des preuves, la jurisprudence a précisé que pour être admissible les éléments rapportés doivent non seulement prouver (i) l’existence des propos mais aussi (ii) leur caractère public et (iii) le lien de causalité avec le dommage subi par l’entreprise. Ainsi une simple attestation ou une capture d’écran ont déjà été jugées comme preuves insuffisantes conduisant à recommander la réalisation d’un constat d’huissier.

La problématique survient en réalité lorsque les propos calomnieux où nuisant à la réputation de l’entreprise ont été diffusé en réseau privé rendant les messages accessibles uniquement à une sphère restreinte d’amis en fonction des paramétrages de confidentialité du compte sur le réseau social en cause. Puisque nous sommes alors confrontés au respect de la vie privée du salarié et au secret des correspondances garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution et l’article 9 du Code civil.

Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation qu’un compte privé mais auquel plus de 200 personnes ont accès constitue un outil de diffusion très large et une atteinte importante à la confidentialité de l’entreprise. Ce qui amène à considérer que quand bien même la constitution de la preuve ne doit pas porter atteinte à la sphère privée du salarié (étant entendu qu’une page privée sur un réseau social constitué un espace privé) il s’avère qu’en raison du caractère professionnel du contenu publié et de ses destinataires les informations dévoilées peuvent porter atteinte au secret de l’entreprise de sorte qu’une atteinte à la vie privée a été jugé être légitime et nécessaire au droit à la preuve de l’employeur (cf. décision Cass. Soc. n°1912058 du 30 septembre 2020, affaire Petit Bateau ou un chef de projet a été licencié pour faute grave pour avoir publié sur son compte privé Facebook une photographie de la nouvelle collection de prêt à porter).

C’est pourquoi nous vous proposons d’envisager les mesures préventives suivantes :

(i) Compléter la liste des faits pouvant être considérés comme un motif de rupture du contrat de travail dans le règlement intérieur notamment du fait de divulgation d’informations confidentielles sur les réseaux sociaux ou de propos agressifs, dénigrants, critiques ou insultants à l’encontre de l’entreprise ou de ses salariés ou de ses dirigeants,

(ii) Mettre en place une charte de bonne conduite à suivre par les salariés même en dehors des heures de travail afin de les responsabiliser et les sensibiliser sur leurs obligations de confidentialité de discrétion et de loyauté et sur l’usage qu’ils peuvent faire des réseaux sociaux pendant leur temps de travail, avec la limitation des connexions à des fins privées uniquement pendant les temps de pause pour notamment les raisons suivantes :
- a. L’absence d’utilisation abusive du matériel de l’entreprise à des fins personnelles (téléphone, ordinateur …) ;
- b. L’absence de mise en jeu de la sécurité des réseaux de l’entreprise pour lui éviter de subir des cyber-attaques ;
- c. L’exécution effective par le salarié de son travail et l’absence d’atteinte à la productivité.

(iii) Mettre en place un outil/logiciel de contrôle permettant de savoir s’ils utilisent internet pour des motifs personnels ou professionnels, combien de temps ils y passent, les horaires de consultation et les sites consultés. Toutefois, ce dispositif de contrôle des données doit s’exercer dans le respect de certains principes :
- a. La finalité associée à la protection des biens de l’entreprise tels que la protection de la sécurité des systèmes informatiques, les secrets de fabrication, les informations confidentielles,
- b. La proportionnalité de cette mesure d’ingérence utile à la réalisation du but poursuivi avec un contrôle non systématique,
- c. La transparence avec la concertation en amont du CSE (organe de représentation des salariés) et des salariés, et le cas échéant de la CNIL (dès lors qu’un contrôle régulier et non occasionnel est assimilé à un traitement de données à caractère personnel),
- d. La licéité avec l’exclusion du contrôle des messages contenant la mention privée,
- e. La généralité de sorte qu’en tant qu’employeur il vous est possible d’effectuer un contrôle général des données de communication et ce n’est qu’en cas de constat d’abus que vous êtes autorisé à procéder à une individualisation des données après en avoir préalablement informé le salarié.

(iv) Renforcer le contenu de la clause de confidentialité de vos contrats de travail pour bien spécifier l’étendue des informations et données considérées comme confidentielles et y une nouvelle clause spécifique intitulé « réseaux sociaux » laquelle pourrait être rédigée comme suit :

« Dans l’hypothèse où le salarié disposerait d’un profil sur les réseaux sociaux notamment professionnel celui-ci s’engage à actualiser son statut et ses références professionnelles au sein de la société (titre actuel, missions actuellement exercées, date d’entrée, etc …) conformément à la réalité.

Par ailleurs le salarié s’engage à ne pas critiquer publiquement la société ou toutes sociétés du groupe, ou exprimer quelques commentaires publics abusifs que ce soit, impliquant directement ou indirectement, la société ou toutes sociétés du groupe ou ses dirigeants, ou ses supérieurs hiérarchiques ou ses collègues de travail, par toute voie d’expression (notamment sur un blog, les réseaux sociaux et tout support médiatique littéraire ou artistique).

D’une manière générale, le salarié s’engage à ne rien faire qui puisse porter atteinte à l’image la réputation ou la situation financière, économique, commerciale, administrative de la société ou toutes sociétés du groupe ou de leurs dirigeants et salariés respectifs, y compris par le biais des réseaux sociaux. L’expression réseaux sociaux renvoie, de façon non limitative, aux réseaux sociaux suivants existants et à venir : linkedin, facebook,instagram, twitter etc … ».

Ingrid Chantrier Avocat associé Allium [->chantrier@allium.paris]

[1Cass. Soc. 21 mars 2018 n° 16-20516.