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L’évolution silencieuse de la remise en état en Droit pénal de l’environnement. Par Morgan Reynaud, Juriste.
Parution : mardi 14 septembre 2021
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Les débats autours de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ont tourné autour de quelques propositions fortes de la Convention citoyenne pour le climat, et, en droit pénal, autour du crime, puis délit, d’écocide.

Toutefois, une disposition technique pourrait bien renforcer considérablement le pouvoir de la justice pour aboutir à la réparation des dommages causés à l’environnement en raisons de délits environnementaux ou d’urbanisme.

Les annonces autour des dispositions pénales de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets se sont pour beaucoup focalisées autour de la qualification de crime, puis de délit, d’écocide. Toutefois, loin de ce battage médiatique, une disposition pénale intéressante pour les droits de l’environnement et de l’urbanisme se loge dans les confins de son article 290.

Le nouvel article 290 de la loi « climat-résilience » prévoit en effet un ajout, à l’article L173-5 du Code de l’environnement permettant au juge d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, la remise en état des lieux à la personne coupable d’un délit environnemental. Cette nouvelle disposition, introduite dès la première lecture, prévoit en effet désormais que

« Les mesures prévues au présent article peuvent être ordonnées selon les mêmes modalités en cas de condamnation pour une infraction prévue au présent Code selon la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale prévue aux articles 495 à 495-6 du Code de procédure pénale ou selon la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-16 du même Code ».

Un ajout similaire est prévu à l’article L480-5 du Code de l’urbanisme concernant les infractions d’urbanisme.

Cette disposition silencieuse que la convention citoyenne pour le climat n’avait, en raison de son caractère technique et peu médiatique, pas évoqué [1], possède toutefois un fort pouvoir écologique pour les juges. Elle rompt en effet avec une tradition, actée par la Cour de cassation, empêchant le prononcé de telles injonctions de remises en état en cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou d’ordonnance pénale.

Elle étend donc l’efficience du dispositif d’astreinte pénale en matière d’environnement et d’urbanisme.

I - Bref rappel des dispositifs d’injonction en droit pénal de l’environnement et de l’urbanisme.

Le Code de l’environnement liste de très nombreuses dispositions pénales dans le cadre des articles L173-1 à L173-13. Ces articles prévoient en effet une partie substantielle du droit pénal de l’environnement puisqu’ils visent la répression de nombreux délit environnementaux énumérés par le Code. Ainsi en va-t-il par exemple de la répression des délits constitués par l’absence de mise en œuvre des formalités préalables obligatoires aux exploitations et ouvrages régis par le Code de l’environnement (notamment le régime des installations classées et des installations, ouvrages, travaux et activités prévus par la loi sur l’eau), ou à la poursuite d’une telle exploitation ou installation sans se conformer à une mise en demeure administrative de respecter les lois et règlements.

Les articles L480-1 à L480-17 du Code de l’urbanisme répriment, eux, les infractions classiques d’urbanisme comme les constructions sans autorisation ou le non-respect des prescriptions d’un permis de construire ou d’une déclaration préalable.

Concernant ces deux dispositifs, la loi prévoyait déjà la possibilité pour un juge, en cas de condamnation, de prononcer une injonction, le cas échéant sous astreinte, en vue d’obtenir de son auteur la remise en état des lieux.

Ainsi, l’article L173-5 du Code de l’environnement prévoit-il que

« En cas de condamnation d’une personne physique ou morale pour une infraction prévue au présent Code, le tribunal peut [...] ordonner, dans un délai qu’il détermine, des mesures destinées à remettre en état les lieux auxquels il a été porté atteinte par les faits incriminés ou à réparer les dommages causés à l’environnement. L’injonction peut être assortie d’une astreinte journalière au plus égale à 3 000 euros, pour une durée d’un an au plus, ainsi que de l’exécution provisoire ».

Un dispositif similaire est prévu en matière d’urbanisme, puisque l’article L480-5 dispose, lui, que « En cas de condamnation d’une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L480-4 et L610-1, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l’absence d’avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l’autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur ». L’injonction peut alors atteindre 500 euros par jour de retard en application de l’article L480-7 du Code de l’urbanisme.

Il découle de ces dispositions qu’en matière d’infractions environnementales ou d’urbanisme, les juges ont la possibilité de prononcer une injonction pénale de remise en état. Toutefois, celle-ci ne pouvait jusqu’alors être prononcée qu’en cas de condamnation par le tribunal correctionnel, et non en cas de procédure « accélérée ».

II - Peine complémentaire ou mesure à caractère réel ?

La question soulevée par le titre, apparaissant technique, n’en est pas moins cruciale pour l’utilisation des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou de mise en œuvre des ordonnances pénales.

En effet, par un arrêt rendu le 8 juin 1989, la Cour de cassation notait, concernant le dispositif prévu par le Code de l’urbanisme, que l’injonction de remise en état ne constituait pas une sanction pénale mais une « mesure à caractère réel destinée à faire cesser une situation illicite » [2].

Or, concernant les ordonnances pénales, l’article 495-1 du Code de procédure pénale prévoit que celle-ci porte relaxe ou

« condamnation à une amende ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues, ces peines pouvant être prononcées à titre de peine principale ».

De même, concernant la CRPC, l’article 495-8 du Code de procédure pénale prévoit que ne peuvent être proposées par le parquet dans ce cadre que l’une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues.

Ne s’agissant pas, pour la Cour de Cassation, d’une peine complémentaire au sens de l’article 131-10 du Code de procédure pénale, mais d’une mesure à caractère réel, l’injonction pénale prévue par le Code de l’environnement ou le Code de l’urbanisme ne pouvait donc pas être prononcée dans le cadre d’une CRPC ou d’une ordonnance pénale.

Relayant la position de la Cour de cassation, le ministère de la Justice, dans le cadre d’une circulaire [3], rappelait aux parquets que :

« Lorsque le mis en cause a reconnu sa responsabilité, les poursuites peuvent être engagées sous la forme d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Néanmoins, dans ce cadre, le parquet ne peut pas proposer au mis en cause la remise en état des lieux, le cas échéant sous astreinte, qui ne constitue pas une peine mais une mesure à caractère réel destinée à faire cesser une situation illicite » [4].

Cette vision stricte, par la Cour de cassation, de la définition de peine complémentaire remettait fortement en cause la mobilisation de ce dispositif d’injonction de remise en état. En effet, concernant les seules infractions environnementales, les CRPC et les ordonnances pénales comptaient pour 43% des 16 278 auteurs ayant fait l’objet d’une poursuite devant le tribunal correctionnel ou de police (ordonnances pénales et CRPC) pour les années 2015 à 2019 [5].

Cette difficulté de mobilisation se veut d’autant plus criante que le même rapport du ministère de la justice notait que

« Les poursuites, devant le tribunal correctionnel, ont augmenté de 45% [sur la période allant de 2015 à 2019]. Cette augmentation est principalement le résultat de l’évolution de l’ordonnance pénale qui y contribue pour 59%, la convocation par OPJ pour 39% et la CRPC pour 10%. Les CRPC connaissent une évolution de +47% sur la période, qui se décompose en une hausse de 17% à 19% chaque année sauf entre 2018 et 2019 où elles diminuent de 9% ».

Pesant déjà lourds dans le cadre du traitement de ces infractions, ordonnances et CRPC en sont donc même le moteur, elles-mêmes étant particulièrement dynamiques et privilégiées par les parquets.

Agir pour corriger le risque de ne plus aboutir à l’injonction pénale de remise en état était donc nécessaire.

III - L’intérêt de la loi climat-résilience.

Les auteurs des amendements ayant introduit cette disposition notent que « tant la CRPC que l’ordonnance pénale permettent d’apporter une réponse pénale rapide et adaptée aux infractions en matière environnementale ainsi qu’aux infractions aux règles d’urbanisme » [6].

L’article 290 de la loi du 22 août 2021 introduit donc la possibilité pour la justice pénale d’imposer cette injonction, y compris en cas de condamnation de l’auteur selon la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale prévue aux articles 495 à 495-6 du Code de procédure pénale ou selon la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-16 du même Code.

L’intérêt pratique d’une telle innovation est évidente. En effet, force est de constater que la justice environnementale, dans sa grande majorité, ne cherche pas tant la condamnation de l’auteur de l’infraction, que la remise en état des lieux. Il en va de même en matière de droit de l’urbanisme au sein duquel les procédures de remise en conformité sont souvent privilégiées, tant par les juges pénaux qu’administratifs.

Force est également de constater qu’une personne physique ou morale condamnée à une forte amende et ne pouvant ainsi plus opérer la remise en état espérée n’importe que peu pour la protection de l’environnement… Que dire d’ailleurs à ce titre de l’absence d’impact positif de l’emprisonnement d’une personne physique sur une telle remise en état ?

Cette introduction est d’autant plus intéressante, si l’on regarde par exemple le droit de l’environnement, que l’une des infractions qui ouvre la possibilité pour le tribunal répressif de mener à cette injonction est le fait d’exploiter une installation ou un ouvrage, d’exercer une activité ou de réaliser des travaux mentionnés au Code de l’environnement en violation d’une mesure de mise en demeure prononcée par l’autorité administrative en application des articles L171-7 ou L171-8 du Code de l’environnement. Ces mises en demeure visent la plupart du temps à obtenir la régularisation de l’installation, sa mise en conformité et, de fait, la cessation de certains impacts environnementaux.

Or, l’individu qui, ne respectant par cette mise en demeure administrative, se voyait poursuivre par le tribunal correctionnel par la procédure de CRPC, pouvait échapper à l’application de la mise en demeure, en payant l’amende ainsi infligée. L’individu était donc condamné, mais la situation environnementale (ou d’urbanisme) restait semblable. L’impact négatif sur l’environnement pouvait donc demeurer malgré la condamnation de l’auteur. Cet exemple démontre bien la nécessité qu’il y avait de combler ce vide en introduisant la possibilité pour les parquets de proposer la mise en œuvre de la remise en état dans le cadre de ces procédures simplifiées d’ordonnances pénales ou de CRPC.

Technique et peu médiatique, une telle disposition s’inscrit, de manière plus adaptée en matière environnementale que la stricte logique répressive, dans un mouvement recherchant le caractère « réparatoire » de la sanction pénale. Il est à espérer que cette nouvelle disposition, complémentaire à d’autres propositions portées par la loi du 22 août 2021, renforcera l’efficience de la protection pénale de l’environnement. Tel sera le cas si les parquets et les administrations travaillant à leurs côtés dans le cadre, notamment, des missions inter-services de l’eau et de la nature, se saisissent de celle-ci.

Morgan REYNAUD Responsable juridique Chargé d'enseignement en droit public

[1Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat.

[2C.cass, crim. 8 juin 1989, pourv. n°88-86756.

[3Circulaire n° CRIM/2015-9/G4 du 21 avril 2015 relative aux orientations de politique pénale en matière d’atteintes à l’environnement relative à la police de l’environnement.

[4Cass. Crim. 8 juin 1989.

[5Service statistique ministériel de la justice, Le traitement du contentieux de l’environnement par la justice pénale entre 2015 et 2019, Infostat Justice n°182 - avril 2021.

[6Cf notamment : Amendement n°7238 déposé en 1ère lecture à l’Assemblée nationale par Mme Moutchou et autres ou l’amendement n°4402 présenté par M. Balanant.