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Salariés, cadres, cadres dirigeants : vers la fin du télétravail à compter du 1er septembre 2021 ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bousbacher, Juriste.
Parution : mardi 14 septembre 2021
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Au cours de la crise sanitaire, le nombre de télétravailleurs a atteint 41% des salariés [1] contre seulement 3% des salariés qui le pratiquaient au moins un jour par semaine en 2017 [2].

Ce télétravail imposé, a finalement conduit les salariés à repenser leur mode d’organisation du travail, et sont ainsi 60% à souhaiter « qu’une fois l’épidémie de Covid-19 terminée, que les entreprises mettent en place la possibilité pour les salariés de faire du télétravail sur une partie du temps de travail et être en présentiel sur l’autre partie » selon un sondage effectué par l’Institut Montaigne [3] le 3 juin 2021.

A ce titre, les questions-réponses publiées par le Ministère du travail le 6 septembre 2021 permettent d’éclairer l’actualisation du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19.

En effet, depuis le 1er septembre 2021, le télétravail n’est plus obligatoire mais il convient de revenir sur les diverses et nombreuses règles qui l’encadrent.

1) La mise en place du télétravail est-elle obligatoire pour l’employeur ?

Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19, prévoit depuis le début de la pandémie Covid-19, différentes modalités du télétravail à mettre en place en entreprise.

La dernière version du protocole national a supprimé, au vu de l’évolution favorable de l’épidémie Covid-19, l’obligation pour les employeurs de fixer un nombre minimal de jours de télétravail pour leurs salariés.

Par conséquent, depuis le 1er septembre 2021, le télétravail n’est plus obligatoire, bien qu’il reste un moyen efficace et pertinent pour lutter contre la propagation du Covid-19, souligne en tout état de cause le Ministère du travail [4].

En effet, le Ministère du travail insiste sur le fait que « le télétravail permet de réduire les contacts physiques sur les lieux de travail et dans les transports en commun. A ce titre, son développement peut être utile dans le cadre des mesures de prévention à la main de l’employeur pour répondre à son obligation de prévention des risques dans l’entreprise » [5].

Toutefois, les employeurs ne sont plus obligés de se soumettre à l’obligation de fixer un nombre minimal de jours de télétravail, tel que cela était prévu par les précédentes versions du protocole sanitaire qui disposaient précisément que « les employeurs fixent dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent ».

2) L’employeur peut-il toujours imposer le télétravail à ses salariés ?

La réponse se doit d’être nuancée.

En effet, la mise en place du télétravail doit se faire « dans le cadre du dialogue social de proximité en veillant au maintien des liens au sein du collectif de travail et à la prévention des risques liés à l’isolement des salariés en télétravail », conformément au protocole sanitaire.

Si en principe le télétravail qui se définit comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication » est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.

En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen » [6], la mise en place du télétravail peut aussi et toujours, être imposée par l’employeur.

En d’autres termes, en principe le télétravail doit faire l’objet d’un accord entre le salarié et son employeur (Voir l’article Télétravail et Covid 19 : salariés, quels sont vos droits et obligations ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.).

Or, l’article L1222-11 du Code du travail dispose que :

« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

Dès lors, si l’employeur n’est pas en mesure, au sein des locaux de son entreprise, de respecter les diverses modalités de protection des salariés arrêtées par le protocole national qui restent de vigueur, alors il peut décider de manière unilatérale et individuelle, d’imposer le télétravail.

Les différentes mesures prévues par le protocole concernent tant le respect de l’ensemble des règles d’hygiène et de distanciation physique, que le contrôle du passe sanitaire, les modalités d’aération et de ventilation, que le port du masque et la vaccination.

« Il convient à cet égard de rappeler que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard de tous ses salariés et qu’il doit ainsi mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à la protection de leur santé et de leur sécurité » (voir l’article Télétravail et Covid 19 : salariés, quels sont vos droits et obligations ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.) conformément à l’article L4121-1 du Code du travail.

Si tel n’était pas le cas, le salarié serait en droit de faire valoir son droit de retrait, et le CSE peut exercer son droit d’alerte en application de l’article L4131-2 du Code du travail qui dispose que

« Le représentant du personnel au comité social et économique, qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L4132-2 ».

Cette procédure déclenche immédiatement pour l’employeur, l’obligation de procéder à une enquête avec le membre du CSE qui a reporté l’alerte, et de prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser le danger [7].

En outre, il reste que le télétravail, bien qu’il ne soit plus obligatoirement imposé à l’employeur, doit respecter un certain cadre qui respecte autant les droits que les obligations des salariés (voir l’article Télétravail et Covid 19 : salariés, quels sont vos droits et obligations ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.).

3) Comment doit s’organiser le temps de télétravail du salarié ?

En matière de télétravail, il faut distinguer d’une part les heures de travail et, d’autre part, les plages horaires de disponibilité du salarié.

3.1) L’employeur doit faire respecter les durées maximales de travail et de repos.

S’agissant des heures de travail, bien que les règles de décompte du temps de travail soient plus délicates à mettre en œuvre lorsque le salarié se trouve à son domicile, l’employeur reste tenu de contrôler le temps de travail de ses salariés (Arrêté du 30 mai 2006 portant extension de l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail).

En effet, le télétravail ne dispense pas l’employeur de s’assurer du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos.

Il lui appartient donc de mettre en place un système fiable de décompte des heures de travail (système d’auto déclaration, système de surveillance des temps de connexion sur l’ordinateur etc.) ; quand bien même le salarié gère librement ses horaires de travail.

De même, si le salarié réalise des heures supplémentaires, elles devront lui être rémunérées.

La charge de travail confiée au travailleur devra d’ailleurs être comparable à celle applicable lorsque le travail est effectué dans les locaux de l’entreprise (Article 9 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail).

Pour les salariés en forfait jours, l’employeur doit toujours s’assurer du respect du repos quotidien minimum de 11 heures et du repos hebdomadaire de 35 heures minimum ainsi que des durées maximales.

3.2) Plages horaires de disponibilité durant lesquelles le salarié doit être joignable.

Contrairement au travail réalisé au sein des locaux de l’entreprise, le télétravail suppose la fixation de créneaux horaires sur lesquels le salarié doit être joignable.

De ce fait, le salarié, qui gère librement son temps de travail, ne se voit pas contraint d’être disponible en permanence au cas où son employeur voudrait le joindre.

En dehors de ces plages horaires, il ne peut pas être sanctionné pour ne pas avoir répondu à son employeur [8].

Une étude de la DARES publiée le 7 novembre 2019 menée auprès des cadres du secteur privé, a mis en lumière le fait que les salariés en télétravail ont beaucoup plus tendance à réaliser des horaires atypiques (le soir après 20 heures ou le week-end) et moins prévisibles que les salariés présents dans les locaux de l’entreprise.

Or, le droit à la déconnexion [9] doit bénéficier à tous les salariés, y compris et même tout particulièrement, aux salariés en télétravail.

Mais le droit à la déconnexion va plus loin encore en exigeant la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale (Télétravail et Covid-19 : quelle protection des salariés contre le harcèlement moral ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats. ).

3.3) L’employeur doit-il fournir du matériel et/ou prendre en charge les frais d’équipement du salarié ?

C’est en principe à l’employeur, tenu de prendre à sa charge les frais professionnels engagés par ses salariés, qu’il revient de supporter les frais induits par le télétravail.

Ainsi, la règle veut que l’employeur prenne notamment en charge une part des frais de chauffage, d’électricité, d’internet, de téléphone etc. ainsi que l’acquisition du matériel nécessaire à l’accomplissement de la prestation de travail si celui-ci n’est pas fourni par l’entreprise.

Cette prise en charge peut se faire via le versement d’une allocation forfaitaire couvrant l’intégralité des frais de télétravail ou via le remboursement sur facture.

Reste néanmoins à savoir si cette règle sera maintenue dans le cadre du télétravail imposé pour la lutte contre la propagation du virus Covid-19 ou si elle sera aménagée pour tenir compte de la particularité de cette situation.

3.4) Le salarié a-t-il le droit à une indemnité pour l’occupation de son domicile ?

En principe, le salarié qui travaille à son domicile doit être indemnisé de cette sujétion particulière dès lors qu’aucun local professionnel n’est mis à sa disposition par l’entreprise [10].

Cette indemnité dite « d’occupation » s’ajoute au remboursement des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile (électricité, chauffage, internet etc.).

A notre sens, elle n’est pas due aux salariés placés en télétravail dans le cadre des règles de lutte contre la Covid-19.

En effet, selon la jurisprudence, le droit à cette indemnité d’occupation dépend du fait de savoir si l’occupation du domicile privé du salarié dans le cadre du télétravail est imposée par l’absence de local de travail mis à disposition par l’employeur.

3.5) Que se passe-t-il si le salarié a un accident à son domicile alors qu’il était en télétravail ?

Lorsque le salarié est victime d’un accident alors qu’il est en télétravail, cet accident doit en principe être considéré comme un accident du travail dès lors qu’il est survenu à l’occasion ou par le fait du travail [11].

L’accident doit, à ce titre, faire l’objet d’une déclaration du salarié à son employeur par lettre recommandée avec accusé de réception dans le délai de 48 heures de sa survenance.

Néanmoins, la preuve du caractère professionnel est bien plus difficile.

La présomption du caractère professionnel de l’accident s’applique selon les règles de droit commun au télétravailleur dès lors que celui-ci est survenu aux lieux et temps de [12].

Toute la difficulté réside donc dans la preuve de la survenance de l’accident pendant le temps de travail.

A défaut de pouvoir démontrer que l’accident est bien survenu au domicile du télétravailleur pendant son temps de travail, celui-ci sera privé du bénéfice de la présomption et devra prouver le lien de causalité entre l’accident et son travail [13].

4) Le salarié peut-il imposer le télétravail à son employeur ?

L’article L1222-9 du Code du travail dispose qu’en principe, « le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe ».

De même, ce même article prévoit que « en l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen ».

Il apparaît donc que la mise en place du télétravail ne peut pas être imposée, ni par l’employeur, ni par le salarié, mais résulte toujours d’un accord (qui n’implique pas une modification du contrat de travail), ce qui est d’autant plus vérifiable que le télétravail n’est plus obligatoire depuis le 1er septembre, au vu de l’évolution favorable de l’épidémie de Covid-19.

Toutefois, l’employeur étant débiteur d’une obligation de sécurité et de résultat envers les salariés, comme il a été vu précédemment, et étant toujours soumis aux obligations citées dans le protocole sanitaire national, doit toujours prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » [14].

Par conséquent, en cas de demande de télétravail formulée par un salarié, l’employeur doit motiver son refus non seulement au regard de la compatibilité ou non du poste concerné au télétravail, mais aussi au regard du respect ou non, des mesures prises pour lutter contre la Covid-19.

Sources :

Télétravail en période de Covid-19 : Question / Réponse Ministère du travail.

Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19, version applicable au 10 septembre 2021.

Télétravail et Covid-19 : Salariés, quels sont vos droits et obligations ?

Télétravail et Covid-19 : Quelle protection des salariés contre le harcèlement moral.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[6Article L1222-9 du Code du travail.

[7Article L4132-2 du Code du travail.

[8Cass. soc., 17 févr. 2004, n° 01-45889.

[9Article L2242-17 du Code du travail.

[10Cass. soc., 4 déc. 2013, n° 12-19.667, n° 2092 FS - P + B Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 15-11.144 Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014, n° 534 FS - P + B.

[11Article 411-1 du Code de la sécurité sociale.

[12Article L1222-9 du Code du travail.

[13Lettre-circ. DSS-SDFATH/B4 n° 98-161 R, 7 juill. 1998 : BJ Uncanss 41-98.

[14L4121-1 du Code du travail.