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Les influenceurs, vecteurs d’une nouvelle contrefaçon. Par Étienne Bucher, Avocat.
Parution : mercredi 15 septembre 2021
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Les réseaux sociaux se sont désormais imposés dans notre quotidien et ont largement contribué à modifier les rapports entre les annonceurs et leurs cibles.

Ces nouveaux médias, leviers d’acquisition, de fidélisation et d’engagement, sont rapidement devenus incontournables dans le spectre du marketing numérique en ce qu’ils suscitent un engouement croissant auprès des consommateurs.

Toutefois, la simplicité d’utilisation et de création sur ces supports numériques permettent désormais aux internautes mal intentionnés de promouvoir et de commercialiser des produits contrefaisants en toute discrétion.

En effet, l’utilisation de ces médias et notamment de la fonctionnalité dite des « stories » offre l’opportunité aux influenceurs-contrefacteurs de proposer à la vente des produits contrefaisants dont ils assurent la promotion.

Ce caractère éphémère des « stories » permet aux contrefacteurs de développer leurs activités illicites à l’insu des titulaires de droits.

Nombre d’entreprises font le choix de fermer les yeux face à ces pratiques craignant que ces « influenceurs » ternissent leur image de marque. Pourtant, la dévalorisation et la banalisation des produits originaux incite largement la clientèle à s’en détourner.

Tout au contraire, les entreprises doivent se préoccuper de la croissance exponentielle de cette nouvelle forme de contrefaçon, assurer des veilles et initier rapidement la défense de leurs droits avant que les produits contrefaisants envahissent nos réseaux.

Une contrefaçon discrète et pernicieuse.

Les internautes ne manquent pas d’imagination pour assurer la promotion des produits contrefaisants.

Certaines vidéos, au prétexte de comparaison entre une copie et son homologue authentique, mentionnent subrepticement le site du revendeur, un lien ou un numéro de téléphone ou WhatsApp pour se procurer ledit produit.

Parfois, il s’agit d’une vidéo dite « unboxing » par laquelle « l’influenceur » commente son achat du produit contrefaisant et transmets à sa communauté un code pour obtenir une réduction dès lors que les abonnés procèderaient eux-aussi à une commande.

L’initiateur de la vidéo/post joue, le plus souvent, le rôle d’intermédiaire entre les abonnés et des
vendeurs, en se plaçant comme un véritable apporteur d’affaires.

Dans ces conditions, il est patent que ce type de contenu n’a pas seulement pour objet de susciter des échanges avec d’autres internautes. Cette reproduction litigieuse sert implicitement la promotion des site e-commerce tels que Aliexpress proposant à la vente de produits contrefaisants.

Si les initiateurs des vidéos et des posts ne sont pas des fabricants ni des revendeurs des copies illicites, il n’en demeure pas moins qu’ils participent largement à leur visibilité, à leur vente et in fine aux délits de contrefaçon.

Quelle réaction pour les titulaires de droits ?

L’absence totale de réaction face à la prolifération de ce nouveau vecteur de vente de produits contrefaisants est à proscrire, les réseaux sociaux ne doivent pas devenir des zones de non droit.

Cependant, face à l’ampleur du nombre de vidéos reproduisant des copies, les titulaires de droits ne peuvent apporter une réponse judiciaire systématique au risque de s’enliser dans des procédures onéreuses et chronophages.

Au-delà de la politique adoptée par le titulaire des droits et du budget disponible pour la défense des droits de propriété intellectuelle, sa réaction sera également dictée par d’autres paramètres tels que le profil de l’influenceur, sa localisation, son identification mais également le degré d’incitation à l’achat auprès de sa communauté et la récurrence des vidéos ou posts litigieux.

Absence totale de réaction :

Cette abstention est préconisée lorsque l’incitation à l’achat du produit contrefaisant n’est pas clairement identifiée à la lecture du contenu litigieux.

L’envoi d’un courrier de sensibilisation :

Cette solution, éducative et bienveillante, est envisageable lorsque « l’influenceur » n’a pas conscience de sa participation à des actes de contrefaçon ou qu’il s’agit véritablement d’un acte isolé dont il n’est pas coutumier.

L’envoi d’une mise en demeure :

La mise en demeure sollicitant le retrait immédiat de la vidéo et non réitération de ces actes est fortement recommandée dans l’éventualité où l’internaute userait d’un pseudonyme ou serait localisé à l’étranger. En effet, dans ces conditions les poursuites judiciaires peuvent s’avérer très onéreuses en ce qu’elle implique notamment la levée du pseudonymat et l’exécution d’une décision à l’international. Cette solution est également à privilégier lorsque l’impact et la résonance de la vidéo est faible.

Le signalement auprès du réseau :

Tous les réseaux sociaux prévoient la possibilité de leur signaler en ligne les atteintes portées à des droits et d’obtenir la suppression du contenu voire la fermeture définitive d’un compte utilisateur. L’efficacité et la rapidité du retrait des vidéos est le principal atout du signalement auprès des réseaux sociaux ayant pour obligation de supprimer tout contenu manifestement illicite à la suite du signalement.

Le signalement auprès des douanes et de la DGCCRF :

Dès lors que le public français est ciblé par le contenu litigieux, un signalement sur la plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements (PHAROS) est vivement conseillé.

Ces signalements sont réceptionnés et traités par des policiers et gendarmes affectés à la plateforme.

À la suite du signalement, une enquête pénale peut être ouverte, sous l’autorité d’un Procureur de la République.

L’action civile :

Évidemment, les titulaires de droits ont la possibilité de saisir les juridictions civiles pour faire cesser les actes, réparer le préjudice subi et obtenir la publication de la décision.

Une telle réaction aurait pour atout de diffuser un message fort auprès des contrefacteurs et de permettre la réparation du préjudice. Elle est recommandée lorsque l’incitation à l’achat du produit contrefaisant est avérée et qu’elle provient d’un influenceur français.

L’action pénale :

L’action pénale auprès du tribunal judiciaire est préconisée si l’ampleur du trafic de contrefaçons via le réseau social est important et requière des moyens d’investigation réels.

Elle vise à obtenir une sanction pénale vis-à-vis du contrefacteur (amende et peine d’emprisonnement).

Conclusion

Les titulaires de droits ne sont donc pas dépourvus de moyens d’agir pour lutter contre ces pseudos-influenceurs qui valorisent la contrefaçon auprès de leur communauté en vue de s’enrichir.
Toutefois, la réaction du titulaire devra être proportionnelle et adaptée à chaque situation. La posture à adopter sera la conséquence de l’analyse du contenu, de son auteur et de l’environnement numérique et international composite dans lequel il s’inscrit.

Étienne Bucher, Avocat au Barreau de Paris Cabinet Éris Avocat