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Propriété intellectuelle et anonymat : l’exemple de Banksy. Par Lucie Chênebeau, Avocate.
Parution : mercredi 15 septembre 2021
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Nombreux sont les auteurs et artistes qui choisissent de rester anonymes, quel que soit leur domaine de prédilection. Parmi eux ceux de l’univers très particulier du street art, où bon nombre préfère garder leur identité secrète.
Banksy, artiste britannique et figure majeure du street art, fait partie de ces artistes dont l’identité n’a jamais été dévoilée au public. Rencontrant un énorme succès depuis quelques années, Banksy est confronté à une exploitation de ses œuvres reproduites sans son accord sur des articles les plusdivers proposés à la vente.

Si en théorie l’artiste n’aurait pas eu de mal à faire reconnaître l’originalité et la titularité de ses droits sur ses œuvres dans une action en contrefaçon, c’est à condition qu’il accepte de dévoiler son identité pour que la titularité de ses œuvres puisse être reconnue par la juridiction saisie.

En France, par exemple, l’article L113-1 du Code la propriété intellectuelle dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée », imposant là encore de renoncer à son anonymat.

Ne l’entendant pas ainsi, Banksy a donc privilégié un autre droit de la propriété intellectuelle - le droit des marques - lui permettant de conserver son anonymat. Mais son choix va rapidement connaître ses limites.

En 2014, la société britannique Pest Control Office Limited, représentant Banksy, dépose plusieurs marques figuratives de l’Union européenne représentant certaines des œuvres de l’artiste. Les marques ont été enregistrées et gérées par la société britannique Pest Control Office Limited.

Forte de ses marques, la société Pest Control Office Limited s’est ensuite opposée à diverses exploitations commerciales des œuvres de Banksy, dont la reproduction de certains dessins de l’artiste sur des cartes de vœux distribuées par une société Full Color Black Limited.

En 2019, la société Full Color Black Limited se défend en réclamant la nullité des marques reproduisant les œuvres de Banksy. Elle soutient la mauvaise foi lors du dépôt, arguant que l’artiste Banksy - représenté par la société Pest Control Office Limited - n’avait jamais eu l’intention d’utiliser ces signes à titre de marque, c’est-à-dire pour permettre au public d’identifier l’origine commerciale de produits ou services qui les distingue sur un marché concurrentiel.

Par ailleurs, les marques françaises et de l’Union européenne peuvent être déchues lorsque leur titulaire ne rapporte pas la preuve de leur usage à titre de marque pendant cinq ans.

Les marques reproduisant les œuvres de Banksy ayant été déposées en 2014, elles encouraient ainsi la déchéance lors de l’introduction de la demande devant l’office européen par la société Full Color Black Limited si la société Pest Control Office Limited ne parvenait pas à démontrer que ces marques étaient exploitées.

En cours de procédure, Banksy tente alors de démontrer une exploitation des marques en développant une enseigne éphémère et une boutique en ligne, le Gross Domestic Product.

Cependant la première ne sera jamais ouverte au public et la seconde ne permet pas de démontrer que des articles étaient proposés à la vente.

L’artiste avait par ailleurs déclaré publiquement que ces démarches avaient pour unique but de contourner les exigences propres au droit des marques et non de faire du merchandising autour de ses œuvres.

Le 14 septembre 2020, malgré une présomption simple de bonne foi à l’égard du déposant, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle annule la marque figurative européenne n° 12575155 représentant le très célèbre « lanceur de fleurs ».

Tout d’abord, l’office constate très logiquement que si l’artiste ne peut se fonder sur le droit d’auteur pour défendre ses droits, il ne peut pas non plus certifier être l’auteur des œuvres lorsqu’il s’agit de faire enregistrer des marques figuratives les reproduisant, conduisant là encore à lui reconnaître des droits privatifs sur celles- ci.

Par ailleurs, non convaincue par les preuves d’usage produites par le titulaire, l’office prend soin de relever les interventions publiques de l’artiste dévoilant sa stratégie pour contourner les exigences juridiques qu’on lui opposait.

Or, l’EUIPO affirme avec force, et rappelle de manière très pédagogique, que le droit des marques n’a pas pour but de contourner les exigences propres au droit d’auteur, ces différents droits de propriété intellectuelle poursuivant des objectifs différents.

Ces constats le conduisent à reconnaître la mauvaise foi de la déposante, la société Pest Control Office Limited lors du dépôt, position qui sera confirmée entre mai et juin 2021 conduisant à l’annulation de quatre autres marques reproduisant des œuvres de Banksy :
« D’après les éléments de preuve produits, Banksy n’a fabriqué, vendu ou fourni aucun produit ou service sous la marque contestée, ni cherché à créer un marché commercial pour ses produits juste avant le dépôt de la présente demande en nullité. Ce n’est qu’alors, en octobre 2019 (...) qu’il a ouvert un magasin en ligne (et disposait d’une boutique physique, mais qui n’était pas ouverte au public). Toutefois, par ses propres mots, publiés dans plusieurs publications différentes au Royaume- Uni, il ne tente pas de faire face à une partie du marché commercial en vendant ses produits, il s’est borné à tenter de remplir les catégories de marques pour démontrer l’usage de ces produits pour contourner le non-usage (...). Banksy et M. M.S, qui est directeur de la titulaire, ont fait des déclarations selon lesquelles les produits ont été créés et vendus uniquement pour cette cause. Dès lors, par leurs propres termes, ils admettent que l’usage du signe n’était pas un usage sérieux de la marque pour créer ou maintenir une part de marché en commercialisant des produits, mais uniquement pour contourner la loi » [1].

Ainsi, s’il décide de rester dans l’anonymat, il ne reste guère à Banksy de solutions pour s’opposer aux exploitations commerciales de ses œuvres.

Lucie Chênebeau Avocate du département IP-IT d'Aston Avocats

[1Décisions de l’EUIPO du 14/09/2020 n° 000033843, du 18/05/2021 n° 000039873, du 18/06/2021 n° 000039872 et n° 000040001 et du 19/06/2021 n° 000040000 et n° 000039921.