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L’exercice d’une curatelle renforcée par deux membres de la famille. Par Morgane Hansebout, Avocate.
Parution : jeudi 16 septembre 2021
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Au terme d’onze longues années de procédure devant les juridictions civiles de première et de seconde instance - Madame D… épouse de Monsieur D… - majeur protégé - s’est vue restaurée en tant que co-curatrice de son époux, statut qui lui avait été refusé jusqu’alors par les magistrats.

Dans un arrêt du 25 mai 2021 (20/06923), la Cour s’est basée sur un certificat médical établi par un médecin psychiatre inscrit sur la liste établie par le Procureur de la République et sur les éléments intra familiaux positifs, relevant notamment le « dévouement » sans faille de l’épouse du majeur.

I. Une mesure de protection mise en place depuis 2010.

A) Un placement sous protection souhaité.

Monsieur D… est placé sous curatelle renforcée à l’âge de 67 ans en raison d’un trouble neurologique aggravé par un alcoolisme chronique, l’individu refusant toute prise en charge médicale.

L’altération des facultés du majeur au sens de l’article 425 du Code civil étant avérée, le principe de la mesure de protection n’est pas remis en question. La procédure est d’ailleurs initiée par la famille.

B) L’exercice de la mesure de protection.

Faute d’identification des membres de la famille par la juridiction saisie, l’exercice de la mesure est confié à un mandataire extérieur.

Un professionnel extérieur à la cellule familiale est désigné : « lorsqu’aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle ». Les articles 436 et 437 du Code civil ont trait à la désignation de ce mandataire spécial.

Dans notre espèce un appel est interjeté suite au renouvellement de la mesure de protection en 2015.

Comme souvent dans ce type de litiges, le débat ne porte pas sur le principe de la mesure de protection - l’incapacité du majeur à pourvoir seul à ses intérêts étant établie - mais sur les modalités d’exercice de celle-ci.

II. Les critères de détermination des modalités d’exercice de la mesure de protection.

A) Une pluralité de critères.

Selon les textes, l’organisation de la mesure de protection est une prérogative du juge des tutelles.

Il doit désigner en qualité de curateur en priorité le conjoint, à moins qu’il existe un motif pour ne pas lui confier la mesure.

Le juge peut alors désigner en lieu et place du conjoint un parent ou un allié du majeur protégé, ou bien encore une personne entretenant avec lui des liens étroits et stables.

On le comprend, la désignation d’un mandataire judicaire professionnel n’est que subsidiaire et n’intervient qu’en l’absence des acteurs précités.

Pour se déterminer, le juge prend en considération les sentiments exprimés par la personne protégée, ses relations habituelles, l’intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage.

Pour ce faire et de manière très concrète, le juge se base sur les avis des médecins psychiatres - en particulier le certificat médical circonstancié initialement versé - il procède à l’audition du majeur protégé, du mandataire s’il en a été désigné un, et des membres de la famille.

B) Une primauté accordée aux souhaits du majeur protégé : l’arrêt du 17.05.2016.

Il apparait néanmoins qu’une primauté est accordée « aux sentiments exprimés par la personne protégée », et ce malgré le trouble qui l’atteint.

Dans notre espèce, des tensions familiales sont véhiculées par le majeur, qui argue d’un litige relatif à la répartition des charges quotidiennes de foyer.

A noter qu’en matière de curatelle renforcée, la gestion financière est orchestrée par le curateur, qui a d’ailleurs l’obligation d’ouvrir un compte avec mention de la mesure auprès d’un établissement bancaire. Le majeur se trouve dans une situation où il n’a pas la maîtrise de ses finances ce qui engendre une frustration.

Or c’est à ce point de vue que le juge - garant du respect des libertés individuelles - va s’attacher à donner du crédit ; la contradiction résidant dans le fait que la parole du majeur est par définition altérée par un trouble psychique.

Dans un arrêt du 17 mai 2016, (15/14544), la Cour d’appel - si elle accepte de décharger le mandataire de la curatelle pour la confier aux fils du majeur - va ainsi décider d’écarter l’épouse du majeur de l’exercice de la mesure.

La Cour décide de faire découler de l’opposition caractérisée du majeur des conséquences juridiques, au motif que « même si l’épouse n’a pas démérité, son implication est source de conflits ».

III. 2021 : Le dénouement attendu consécutif au second renouvellement de la mesure.

A) La confirmation de la décision précédente par le juge du premier ressort.

En 2020 - soit dix années après l’instauration de la mesure de protection - intervient le second renouvellement de la mesure de protection. A ce stade, les parties à la procédure peuvent formuler des demandes de modification auprès du juge des tutelles, que ce soit concernant la désignation des titulaires de la mesure ou encore le périmètre d’exercice de celle-ci.

Cinq années s’étant écoulées, les évolutions intrafamiliales sont prises en considération : l’un des fils co-curateur s’étant éloigné tant géographiquement qu’affectivement du majeur protégé, il est demandé qu’il soit déchargé de la curatelle.

L’ensemble des membres de la famille maintiennent leur position relative à l’intervention de l’épouse du majeur en tant que curatrice, aux côtés de son second fils.

La juge qui ne pourra procéder à l’audition du majeur protégé en raison de la situation sanitaire va relayer dans sa décision celle des juges d’appel de 2016 par un nouveau refus de désignation de l’épouse comme co-curatrice.

Il est donc interjeté appel de cette décision.

B) Le dénouement attendu.

1) Les missions de l’expert psychiatre.

Les appelants sont convoqués à nouveau devant la même juridiction qu’en 2016 afin de faire valoir leur point de vue.

Le majeur protégé, âgé à présent de 77 ans, n’a pu se déplacer devant le Juge ; et ce en accord avec l’avis du médecin de famille.

Or en l’absence de comparution du majeur, la nécessaire actualisation de la situation de celui-ci ne peut être effectuée.

C’est pourquoi le magistrat ordonne une expertise du majeur, laquelle viendra se substituer à son audition.

En la matière, l’avis de l’expert médical est primordial et conditionne même la mise en œuvre des règles de droit.

Le médecin psychiatre désigné par le juge interviendra dans le cadre d’une visite domiciliaire, ce qui lui permet d’apprécier l’environnement du majeur. Selon les directives du magistrat, le médecin a pour rôle de :


- « dire si Monsieur D souffre d’une altération de ses facultés personnelles, et la décrire avec précision ;
- donner tout élément d’information sur l’évolution prévisible de l’altération ;
- préciser les conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation de l’intéressé dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu’à caractère personnel ;
- donner toutes précisions utiles, en particulier sur les possibilités pour l’intéressé d’exprimer valablement sa volonté sur l’organisation de sa mesure de protection et notamment sur le choix de son curateur ;
- dire si notamment il exprime désormais son accord pour que son épouse gère ses affaires ;
- préciser les conséquences de cette altération sur la possibilité pour la personne examinée de rester vivre à son domicile, et sous quelles conditions
 ».

2) Les conclusions de l’expert psychiatre.

Suite à son entrevue avec le majeur protégé, le médecin psychiatre dresse les conclusions suivantes :
- Le majeur se focalise quasi-exclusivement sur le refus catégorique de la mesure de protection ;
- Il n’est à ce jour plus apte de se prononcer de façon éclairé sur le choix de son curateur ;
- Son état n’a pas vocation à s’améliorer, en raison de la sénilité augmentant au fil des ans ;
- Le rôle de l’épouse est prépondérant dans le fonctionnement du foyer et l’organisation du quotidien, et ce d’autant plus que le fils du majeur, exerçant la fonction de curateur, sera moins disponible à court terme.

3) La décision de justice attribuant à l’épouse le rôle de co-curatrice.

Il est constaté via l’expertise médicale que l’opposition du majeur est généralisée à l’ensemble de la mesure de protection, venant ainsi englober les modalités de son exercice.

Le refus s’axant sur la mesure elle-même, ses conditions d’exercice sont éclipsées d’autant.

Dès lors, un renversement est opéré par les magistrats dans la considération de la situation : la présence et le dévouement de l’épouse au quotidien ne sont plus considéré.e.s comme des facteurs venant alimenter un conflit mais conditionnent le maintien du majeur à son domicile.

A ce titre, on relèvera les dispositions de l’article 426 du Code civil, faisant de la préservation du logement du majeur protégé une priorité.

L’on conçoit dans cette décision à quel point un certificat établi dans de bonnes conditions peut venir éclairer la prise de décision des acteurs judiciaires, permettant ainsi de considérer au mieux les intérêts du majeur protégé.

Il est à noter que les évolutions de la situation d’un majeur, dont la mesure de protection a démarré il y a plus d’une décennie sont à prendre en compte pour adapter au mieux les conditions d’exercice de la mesure, véritable outil de protection.

Morgane HANSEBOUT Avocate à la Cour