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Les captures d’écran : moyens de preuve des utilisations illicites de créations sur internet. Par Jean-Marie Léger, Avocat.
Parution : mercredi 22 septembre 2021
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L’hostilité que manifestent certaines juridictions du fond à l’égard des captures d’écran relève d’un amalgame injustifié et d’une curieuse technophobie à laquelle échappent pourtant depuis des lustres les incontournables courriels.

Les motifs conduisant les juges à rejeter ce moyen de preuve tiennent à des considérations générales qui convainquent d’autant moins (I) qu’en la matière la preuve est libre (II).

I. Des arguments qui ne convainquent pas.

- Les arguments critiqués.

Cette hostilité est parfois affichée sans détour. Ainsi, pour la Cour d’appel de Lyon, « la capture d’écran d’un site internet est dépourvue de force probante » [1]. De même pour la Cour d’appel de Paris, rien ne permet de s’assurer des conditions de fiabilité technique d’une capture d’écran qui ne peut suffire à rapporter la preuve de la contrefaçon illicite [2].

En l’absence de description de la procédure suivie pour procéder aux captures ces dernières « réalisées en dehors de l’intervention d’un huissier de justice ou d’un tiers assermenté, ne présentent pas de garantie suffisante de l’authenticité des contenus qui y apparaissent » [3].

Elle se manifeste également sous couvert de la libre appréciation par les juges des pièces produites. Sa valeur probante est contestée au premier motif qu’elle émane de la partie qui la produit [4] alors qu’elle n’est pourtant qu’une copie du site de l’adversaire. Pour la Cour d’appel de Paris, les captures d’écran produites aux débats doivent être écartées dès lors que l’objet social, l’activité de la société auteur de ces captures et les garanties qu’elle présente ne sont pas précisés et que la procédure suivie pour procéder à ces captures n’est pas décrite.

- Des postulats erronés.

Dans les exemples cités, les juridictions saisies partent du postulat qu’une capture d’écran étant falsifiable, rien ne garantit sa fiabilité et donc sa force probante. Un parallèle abusif avec le formalisme exigé des constats d’huissiers parachève le plus souvent une démonstration qui ne convainc pas.

D’une part, toutes les preuves étant falsifiables, le premier énoncé de l’argumentation critiquée ne tient pas : appliqué à toutes les preuves généralement produites en justice, il aboutirait à écarter d’office, emails, télécopies, lettres et copies de documents et de sites internet, soit l’essentiel de ce qui est quotidiennement utilisé devant les tribunaux.

D’autre part, le second énoncé ignore les motifs spécifiques pour lesquels la valeur probante des constats d’huissier est aujourd’hui subordonnée au respect de procédures techniques que le constat se doit de décrire précisément. Il s’agit des fameuses exigences de la norme NF Z 67-147. Ici, de telles exigences se justifient par la force probante particulière attachée à un acte d’huissier : l’acte d’huissier vaut preuve jusqu’à inscription de faux [5], soit jusqu’à l’issue d’une procédure d’une gravité particulière. Inutile de préciser que de telles actions sont peu courantes. On comprend donc que les tribunaux se montrent exigeants quant à la validité de tels constats.

- Un obstacle financier à l’exercice des droits.

Bon nombre de litiges liés à l’utilisation non autorisée sur internet d’œuvres ou travaux dignes de protection, ne présente qu’un enjeu financier limité : quelques centaines d’euros tout au plus. Cumulés, ces litiges représentent néanmoins un pourcentage important du chiffre d’affaires des victimes récurrentes de ces pratiques dont, notamment, les photographes, banques d’images et agences de presse. Au manque à gagner s’ajoutent, pour celles et ceux qui n’entendent pas se voir injustement privés de la rémunération de leur travail, les frais de recherche des exploitations non autorisées - prestataires informatiques dotés des outils logiciels de recherche et d’identification des utilisateurs indélicats - le coût des démarches nécessaires à la résolution amiable des litiges - ressources internes dédiées à la gestion des dossiers, honoraires et frais des professionnels du droit éventuellement mandatés - et les frais divers (poste, informatique …). Ramené à l’enjeu financier d’un cas particulier, le coût d’un constat d’huissier - dont les frais incombent à la victime - peut représenter plus de 100% du montant de la redevance que l’utilisateur fautif aurait dû débourser pour acquérir les droits d’utilisation.

Est-il économiquement acceptable que la victime de ces pratiques ait à débourser plus de 100% du manque à gagner subi avant de pouvoir envisager d’obtenir réparation de ses préjudices ? Il va de soi en effet qu’aucune démarche ne pourrait être entreprise sans la réalisation préalable d’un constat dès lors que le fautif ne manquera pas de procéder à l’effacement des preuves au premier signe d’hostilité.

En outre, la facture, même amiable, pour le contrefacteur sera considérablement alourdie. Les chances d’un règlement transactionnel s’en trouvent d’autant plus compromises.

Certains utilisateurs indélicats ne manqueront pas du reste de contester l’imputation de frais inutilement engagés dès lors que, reconnaissant leurs torts, l’idée de contester l’utilisation litigieuse ne leur a jamais traversé l’esprit. Les aléas multiples - liés notamment à l’identification du responsable, à la négociation, aux capacités financières inconnues de l’utilisateur, aux procédures judiciaires, à la solvabilité finale du contrefacteur après deux ans ou plus de procédure - rendent parfaitement illusoires le « droit » de la victime d’obtenir à terme le remboursement de ses frais. Economiquement, les victimes ne peuvent supporter une telle charge.

Alors quoi ? Doivent-elles se résigner à se laisser « dépouiller » ? Doivent-elles renoncer à recourir si nécessaire à un juge au risque de discréditer leurs démarches par l’impuissance où devrait les laisser l’échec de tentatives amiables d’indemnisation ?

En droit, un tel constat n’est rien d’autre qu’une violation manifeste de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. On sait en effet que le droit d’accès à un juge doit être effectif tant en droit qu’en fait et qu’un obstacle financier est susceptible de caractériser une violation de ce principe [6]. Dans un arrêt du 22 novembre 2018, la Cour d’appel de Versailles a ainsi estimé qu’une clause attributive de compétence à une juridiction étrangère devait être écartée au motif, notamment, que le coût de la procédure induit par une telle clause était de nature à entraver l’accès effectif à un juge [7].

L’importance des frais mis à la charge d’un plaideur est susceptible de faire obstacle à son libre accès à la justice [8].

- Un encouragement à la fraude.

Obliger un justiciable à préconstituer des preuves qu’il n’est pas en mesure d’obtenir conduit inévitablement à multiplier les fraudeurs et les fraudes : l’impunité n’est pas la meilleure des politiques judiciaires fussent-elles destinées à désengorger les tribunaux.

La Cour de cassation n’est jamais indifférente à la mauvaise foi des contrefacteurs qui utilisent la règle de droit pour se disculper d’une faute qu’ils savent avoir commise. Preuve en est la jurisprudence sur la présomption de titularité des droits attachée à l’exploitation non équivoque d’une œuvre de l’esprit. De même, on sait qu’en matière pénale, le contrefacteur est présumé de mauvaise foi. Il s’agit certes d’une présomption simple. La charge de la preuve pèse néanmoins sur le contrefacteur.

Pourquoi donc en matière civile, faudrait-il affliger la victime d’une présomption de falsification de preuve ? Est-elle donc coupable d’être victime d’une exploitation sans contrepartie de ses biens ?

L’encouragement à la fraude est d’autant plus patent que le contrefacteur a, par hypothèse, la maîtrise intégrale du site internet mis en cause. Supprimer l’œuvre litigieuse ne lui demande que quelques « clics ». La facilité déconcertante avec laquelle il peut à son tour falsifier le passé devrait conduire à plus de discernement dans les exigences probatoires.

II. Une preuve admissible soumise à l’appréciation du juge.

- Le principe de la liberté de la preuve.

Selon le principe énoncé à l’article 1358 du Code civil, « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ».

A ce titre, la Cour d’appel de Versailles rappelle utilement, dans un arrêt du 7 septembre 2018, que « la contrefaçon étant un fait, elle se prouve par tous les moyens » [9]. De même, pour la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, « la capture d’écran d’un téléphone portable montrant une photographie … est parfaitement recevable » [10].

La Cour de cassation vient du reste de rappeler, au visa des articles L332-2 et L332-4, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, que « la contrefaçon de logiciel peut être prouvée par tout moyen… qu’elle peut notamment l’être par des captures d’écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues par nature de force probante » [11].

Si l’article L332-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la contrefaçon de logiciels et de base de données peut se prouver par tout moyen, il ne fait que confirmer le droit commun de la preuve des faits juridiques sans rien y ajouter. La Cour de cassation a du reste précédemment jugé que la preuve de faits juridiques pouvant être rapportée par tous moyens, les constatations de l’Agence pour la protection des programmes excédant son champ de compétence, valent à titre de simple renseignement [12].

Le principe est donc solidement ancré. Pourtant, certaines décisions n’hésitent pas à s’en affranchir.

- Le pouvoir d’appréciation.

Un pouvoir dénaturé.

La capture d’écran est une preuve pleinement recevable qui reste toutefois soumise au pouvoir d’appréciation du juge saisi.

Ainsi, pour la Cour d’appel de Grenoble, s’agissant de capture d’écran, « si la cour doit apprécier la valeur probante des pièces qui lui sont soumises, cela ne rend pas pour autant ces pièces irrecevables de sorte que la demande de l’appelante visant à ce qu’elles soient écartées des débats doit être rejetée » [13].

De même, la Cour d’appel de Montpellier rappelle, dans un arrêt du 15 mai 2020, que si « la preuve des faits juridiques est libre et peut être rapportée par tous moyens, le juge dispose d’un pouvoir souverain dans l’appréciation de la force probante des éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties » [14]. Pourtant, dans cette même décision, la Cour d’appel rejette des impressions d’écran au motif qu’elles « ne comportent pas de garantie quant à la fiabilité de leurs dates et de leur contenu qui n’a pas été authentifié ou vérifié dans le cadre des diligences habituelles » d’un huissier de justice. Et d’ajouter qu’elles « n’offrent ainsi aucune assurance quant au support à partir duquel ces captures ont été effectuées ».

De même, dans un arrêt du 18 janvier 2013, la Cour d’appel de Paris a rejeté une capture d’écran au motif

« qu’alors que le tribunal a rejeté sa demande à ce titre en énonçant qu’il était impossible de donner date certaine à ce document, que rien ne permettait de s’assurer des conditions de fiabilité technique de la capture de cette page et qu’en conséquence elle ne pouvait suffire à rapporter la preuve de la contrefaçon illicite, l’appelant reprend son argumentation en négligeant de répondre aux motifs qui ont conduit le tribunal à statuer comme il l’a fait » [15].

Cette même cour a encore jugé que des impressions d’écran ne comportent pas de garantie quant à la fiabilité de leurs contenus et de leurs dates, aucune des recommandations de la norme AFNOR NF Z 67-147 - qui n’est certes pas d’application obligatoire mais qui fournit des repères utiles pour apprécier la force probante de documents issus de l’Internet - n’a été observée, les indications (dates adresses...) figurant sur les captures d’écran n’offrant pas de garantie suffisante faute d’assurance de la stabilité du support à partir duquel ces captures ont été effectuées [16].

Ces décisions illustrent que, sous couvert d’exercice de son pouvoir d’appréciation, le juge se borne le plus souvent à une analyse in abstracto, détachée de la pièce effectivement produite aux débats. Ainsi, les preuves produites sont rejetées au seul motif qu’elles relèveraient d’une catégorie spécifique, « la capture d’écran », qui, par nature, serait viciée.

De telles considérations ne relèvent aucunement du pouvoir d’appréciation mais de l’a priori et du préjugé. Elles sont manifestement contraires au principe énoncé à l’article 1358 du Code civil qu’à l’obligation faite aux juges de procéder à une appréciation personnelle des preuves. La possible falsification d’une preuve n’est pas suffisante pour l’écarter des débats ou lui dénier toute valeur. La liberté de la preuve nécessite un respect plus que formel.

Pour une méthodologie conforme au droit.

Le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, même s’il échappe largement au contrôle de la Cour de cassation, n’en est pas moins soumis à des règles de droit.

Le juge se doit tout d’abord de respecter les règles de preuve et le principe selon lequel, s’agissant des faits juridiques, la preuve est libre. À ce titre, sauf à violer ledit principe, une preuve ne peut être écartée des débats que s’il existe des preuves de sa falsification ou de son illicéité.

Preuve contre preuve.

Il ne suffit pas de contester, par principe, la valeur probante d’une capture d’écran. Il appartient à celui qui la conteste d’apporter la preuve de ce que la pièce produite présente effectivement des irrégularités, incohérences ou autres curiosités de nature à la rendre douteuse. Pour la Cour d’appel de Paris, les contestations émises doivent être sérieuses [17]. Le plus souvent les décisions critiquées se bornent à quelques généralités sur la fiabilité des captures d’écran sans expliquer en quoi celle produite aux débats ne mérite pas qu’on s’y attarde.

Comme le rappelle la Cour d’appel de Rennes, « il appartient au juge d’apprécier la force probante des pièces qui lui sont soumises … seules les pièces obtenues par fraude ou en contravention avec une prohibition légale ou encore communiquées dans des conditions portant atteinte au principe du contradictoire doivent être écartées des débats » [18]. Les causes du rejet doivent être explicitées sur le fondement de contre-preuve effective, elle-même jaugée à la hauteur de leur pouvoir réel de conviction.

Une bonne foi présumée.

A bien y réfléchir, à défaut d’éléments intrinsèques ou extrinsèques à la capture d’écran concernée de nature à mettre en cause sa fiabilité, son rejet par principe ou sous couvert de généralités conduit à présumer que la partie qui l’a produite s’est rendue coupable d’un faux et qu’il encourt, par sa demande en justice, les peines attachées à l’escroquerie au jugement. La falsification qui consisterait ici à insérer la reproduction d’une œuvre qui n’est pas présente sur le site nécessite des manipulations révélatrices d’une intention coupable.

L’accusation est grave, si grave qu’elle heurte le bon sens.

Quel contexte permet ainsi de préjuger de la mauvaise foi du demandeur ? Il arrive parfois que les tribunaux fassent état de circonstances propres à affecter les conditions de réalisation de la capture d’écran. Ainsi, dans son arrêt précité du 18 décembre 2018, la Cour d’appel de Paris a pris soin de relever que, dans le cas d’espèce qui lui était soumis, les modalités d’obtention des captures « sont sujettes à caution » eu égard aux conditions d’accès à la base de données et qu’une procédure pénale initiée à l’encontre de l’attestant laisse craindre un manque d’objectivité de sa part.

Toutefois, le plus souvent, rien ne laisse présumer d’une fraude. Et si les juges tirent de l’article 1382 du Code civil la faculté d’user de présomptions encore faut-il qu’elles soient graves, précises et concordantes et qu’elles s’appuient sur des faits établis [19], les présomptions étant classiquement définies comme les conséquences que le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu.

Une clarification de la jurisprudence des cours et tribunaux s’impose. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 juillet dernier devrait y inciter.

Jean-Marie Léger, avocat associé, Barreau de Paris Cabinet Enthémis www.enthemis.com [->jean-marie.leger@enthemis.com]

[1CA Lyon, 17 novembre 2020, Dalloz Avocats, n° 19/06334.

[2CA Paris, 18 janvier 2013, Dalloz Avocats, n° 12/01583.

[3CA Paris, 28 janvier 2020, n° 019/2020, Dalloz Avocats.

[4CA Grenoble, 23 mars 2021, n° 17/04709, Dalloz Avocats.

[5Art. 1371 du Code civil.

[6Notamment CEDH, 19 juin 2001, n° 28249/95 ; aff. Kreuz c. Pologne.

[7CA Versailles, 22 novembre 2018, n° 18/00438, Dalloz Avocats.

[8Cass. Civ. 1, 16 mars 1999, Légifrance n° 97-17598.

[9CA Versailles, 7 septembre 2018, Dalloz Avocats, n° 16/08909.

[10CA Aix-en-Provence, 5 novembre 2019, n° 18/17633, Lamyline.

[11Cass. Com., 7 juillet 2021, Légifrance n° 20-22048, publié au bulletin.

[12Cass. Com., 3 mai 2021, Légifrance n° 11-10505 et n° 11-10508.

[13CA Grenoble, 28 janvier 2021, n° 18/01581, Dalloz Avocats.

[14CA Montpellier, 15 mai 2020, n° 17/02469, Dalloz Avocats.

[15CA Paris, 18 janvier 2013, n° 12/01583, Dalloz Avocats.

[16CA Paris, 18 décembre 2018, n° 17/05069, Dalloz Avocats.

[17CA Paris, 28 juillet 2020, n° 19/19427, Lamyline.

[18CA Rennes, 17 septembre 2019, Dalloz Avocats, n° 17/06387.

[19Voir à ce titre, Cass. Civ. 3, 18 mai 2011, Légifrance n° 10-17645.