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Télétravail et caméras de surveillance : un mariage impossible ? Par Caroline Diard, Enseignant-chercheur.
Parution : mercredi 22 septembre 2021
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La mise en oeuvre de technologies de contrôle dont les caméras soulève des problèmes à la fois juridiques et managériaux.

Le télétravail a été consacré dans un premier temps par les grèves engendrées par la crise des gilets jaunes puis par le premier confinement de mars 2020. Ce mode d’organisation du travail qui a concerné jusqu’à 41% des salariés en février 2021 a tout d’abord été utilisé comme une modalité ponctuelle et exceptionnelle en réponse à la pandémie.
Le télétravail s’installe actuellement dans les entreprises, souvent en mode hybride, de façon structurelle et pérenne (1 900 accords portant sur le télétravail ont été signés en 2020 par 26% des salariés en télétravail en mai 2021, d’après la DARES).

Télétravail et technologies de contrôle : des liaisons dangereuses.

L’utilisation de technologies à domicile questionne la notion de contrôle et interroge sur l’éventualité de la mise en œuvre d’une forme de cybersurveillance. L’utilisation de nouveaux logiciels (microsoft 365, zoom, teams,… ) et la nécessaire mobilisation de caméras lors de visioconférences nécessite une vigilance toute particulière. En effet, la tentation est grande de multiplier les réunions à distance en exerçant une forme de contrôle officieuse [1].

Il s’agit de reporter le contrôle social traditionnellement exercé en entreprise et de le transposer à domicile [2].
Il s’agit là d’un jeu dangereux.
Certains logiciels affichent d’ailleurs clairement la promesse d’un contrôle des salariés notamment microsoft 365 en ce qui concerne la productivité [3].

Caméras de vidéosurveillance : petit tour d’horizon.

Les caméras de vidéosurveillance existent sur la voie publique tout comme sur le lieu de travail [4].
En situation de télétravail, le lieu de travail est soit le domicile soit un tiers lieu. Le tiers lieu peut être doté de caméras et l’ordinateur du salarié également. La question de la vidéosurveillance est donc posée !
La loi autorise la mise en œuvre d’un système vidéo dans les entreprises, mais il ne faut pas oublier que celle-ci est soumis au respect de contraintes strictes : consultation des représentants du personnel avant sa mise en œuvre, déclaration à la CNIL et éventuellement à la préfecture selon la typologie de l’organisation (privée, ouverte au public ou mixte), information individuelle des salariés, affichage des droits d’accès aux enregistrements, etc. [5].

Video-surveillance en entreprise : jeux interdits.

Les contentieux et les manquements sont pléthore et la jurisprudence devient abondante en matière d’utilisation déviante des caméras.
Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 20 novembre 1991 avait ouvert la voie et déjà énoncé ce principe qu’un employeur ne peut pas utiliser les images d’un système de vidéosurveillance installé sur le lieu de travail comme élément de preuve à l’encontre d’un salarié si celui-ci n’était pas informé de l’existence du système de surveillance dans l’entreprise au risque de voir le licenciement requalifié car sans cause réelle et sérieuse. Ceci a été confirmé par l’arrêt n°16-26482 de la Cour de cassation du 20 septembre 2018 qui contestait ce mode de preuve.
Plus récemment, dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2021 la haute cour considère que le salarié était soumis à une surveillance constante de la caméra installée. Les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance sont considérés comme attentatoires à la vie personnelle du salarié et disproportionnés au but de sécurité des personnes et des biens. Ils n’étaient donc pas opposables au salarié.
De même, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a statué en faveur du salarié
Il apparaît en effet que le système de vidéosurveillance a été mis en œuvre dans l’entreprise préalablement à l’information-consultation du comité d’entreprise (désormais CSE) et n’a pas fait l’objet d’une déclaration à la Cnil.

En conséquence, « l’enregistrement vidéo, les images extraites de cet enregistrement et l’analyse effectuée par l’huissier de justice de cet enregistrement dans le cadre d’un procès-verbal de constat du 5 février 2018 constituent des moyens de preuve illicite ».

En situation de télétravail.

En situation de télétravail la cybersurveillance potentiel soulève des interrogations juridiques et managériales : le lieu de travail étant déplacé, on peut supposer une transposition des règles de mises en œuvre de technologies de contrôle et l’émergence de risques de harcèlement [6].

Dans le cas de mise en place de technologies de contrôle, les employeurs ont tout intérêt à appliquer les mêmes règles qu’en présentiel, un télétravailleurs ayant les mêmes droits que tout salarié. Il s’agira donc d’être particulièrement prudent et de suivre les procédures régulières, utilisées habituellement sur le lieu de travail.

Caroline Diard Enseignant-chercheur en management des RH et droit - ESC Amiens

[1Voir le lien suivant : https://bit.ly/3u0EezH

[3Voir le lien suivant : https://bit.ly/3udOlBD

[4Voir le lien suivant : https://bit.ly/39qHLxN

[5Voir le lien suivant : https://bit.ly/3hDSdES